Pourquoi Google s'intéresse tant à l'allongement de la vie <!-- --> | Atlantico.fr
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Calico, la nouvelle entreprise lancée par Google souhaite faire des recherches pour allonger la vie des hommes
Calico, la nouvelle entreprise lancée par Google souhaite faire des recherches pour allonger la vie des hommes
©Robert Scoble

Eternel moteur de recherche

Larry Page, le PDG de Google, a annoncé l'arrivée d'une nouvelle entreprise du géant : Calico. Son but est de se pencher à long terme sur des questions de santé, notamment celles de l'allongement de la vie.

Atlantico : Le géant du web Google a annoncé le lancement d'une nouvelle société : Calico. Cette entreprise sera en charge de s'attaquer au défi "de l'âge et des maladies associées". Pourquoi Google et son dirigeant Larry Page, s'intéressent-ils à cette question de l'allongement de vie ? Dans quel but et depuis combien de temps ?

Daniel Ichbiah : Larry Page par nature, est friand de défis insensés. En 1996, alors qu’il avait mis les pieds à l’université de Stanford et que le Web devenait le fait du jour, il a eu cette idée qui pouvait alors paraître folle de répertorier une copie entière du Web sur des ordinateurs. Il voulait faire cela en vue de créer un moteur de recherche, bien évidemment, mais c’était alors un challenge incroyable que Google poursuit encore aujourd’hui. Et il y est parvenu. En parallèle, un autre étudiant, Sergey Brin – qui allait devenir le co-fondateur de Google – s’est associé à Larry Page. La spécialité de Brin, c’était le "data mining". En gros, faire ressortir une tendance de l’analyse de millions de données. La combinaison des talents de Page et de Brin a donné le moteur de recherches Google.

Pourtant, très vite, Page s’est donné d’autres défis de même envergure. Numériser toute la littérature mondiale, par exemple, ce qui a initialement fait bondir les éditeurs de livres. Il n’empêche que cela impliquait de faire venir des millions de livres jusque dans des locaux spécialement affectés par Google pour les numériser. Ce sont des projets d’une ampleur pharaonique et Page aime cela.

Il en résulte toutefois que Page et Brin ont une sorte de foi dans le brassage d’immenses volumes de données. Or, dès lors que l’on parle de l’ADN, il y a de quoi être servi. Séquencer le génome humain, c’est quelque chose qui paraissait presque utopique il y a encore 20 ans – c’est un code qui correspond à 3 ou 4 Go d’informations. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour que la société Celera annonce qu’elle avait réussi à coder le génome d’une personne. Depuis 2005, de nouvelles technologies sont arrivées comme celle de la société Roche Diagnostics qui permet d’obtenir le séquençage de l’ADN en quelques mois seulement. Plus récemment, d’autres sociétés comme Illumina et Life Technologies ont annoncé pouvoir produire ce codage en moins d’une semaine.

Du coup, aux USA, un nouveau marché a progressivement émergé : disposer de son génome sur soi, pourquoi pas dans son iPhone par exemple. Il y a des sociétés qui vous proposent cela, et le tarif, qui se situait d’abord aux alentours de 20 000 dollars, est peu à peu en train de chuter vers le millier d’euro.

Google étant spécialiste du "data mining", il va de soi que ce type de défi puisse intéresser Larry Page : stocker le génome de millions d’individus, et pourquoi pas – je suis sûr que cela lui plairait beaucoup – de la planète entière. Et à partir de là, faire ressortir certaines tendances qui permettraient d’enrayer certaines maladies.

Bien évidemment, il y aurait un autre facteur à prendre en compte, qui est davantage personnel. En 2006, Sergey Brin a eu connaissance qu’il était porteur de l’un des gènes qui peut provoquer la maladie de Parkinson – à long terme. Par la suite, il a lui-même donné 50 millions de dollars à la recherche contre cette maladie. Il est possible que Brin se dise qu’en stockant et analysant l’ADN de millions de personnes, la recherche sur cette maladie puisse s’accélérer.

En quoi cette activité peut-elle être stratégique pour Google ?

Daniel Ichbiah : À court terme, elle ne l’est sans doute pas. Il faut en revanche se rendre compte que Google est une société ultra profitable, dans la mesure où elle domine très largement le marché publicitaire mondial. Elle a donc les moyens d’investir dans toutes sortes de projets. À vrai dire, le fait n’est pas nouveau. C’est ce qu’a fait Bill Gates dans les années 1990, qui a notamment investi un peu de sa fortune personnelle dans les nano-technologies. Ces sociétés ont un cash tellement élevé qu’elles peuvent placer énormément d’argent dans la recherche, sans être particulièrement certain qu’elle aboutisse.

À plus long terme, cela pourrait devenir stratégique car Google pourrait détenir les informations d’ADN, qui sait, de milliards d’individus. Or cette société adore l’idée d’avoir un profil le plus exact possible d’un internaute, afin qu’il soit possible de cibler ses publicités de la manière la plus exacte possible. Il n’est pas impossible que Page ait, en filigrane, l’idée que détenir le code ADN d’une personne pourrait aider à raffiner ce profil.

Qu'est-ce que l'expérience de Google peut apporter au domaine scientifique ?

Roland Moreau : L’expérience de Google s’inscrit dans un très large contexte qui est celui de l’homme augmenté. C’est un changement radical dans le domaine de la médecine, puisque jusqu’à présent elle consistait à améliorer et à réparer. Or, aujourd’hui le concept de l’homme augmenté consiste à améliorer et augmenter les performances humaines physiques, intellectuelles mais également la vie indépendamment des maladies.

Grâce aux nanotechnologies, on peut  réaliser des manipulations génétiques, réparer des organes et surtout augmenter la vie humaine jusqu’à des âges très avancés, même le tabou de l’immortalité est levéSon expérience est essentielle et très importante dans ce contexte d’une augmentation volontariste des capacités humaines. C’est une révolution dans la recherche biomédicale, il s’agit de changer profondément la nature humaine et ce n’est pas anodin. Sur cette question, il y a un gouffre entre l’Europe et les Etats-Unis, ils sont largement en avance sur nous, car cela ne s’inscrit pas dans le cadre de l’éthique européenne qui est restée à des conceptions plus traditionnelles.

Larry Page insiste sur les vertus de l’approche statistique mais que penser de ses conclusions sur le cancer selon lesquelles la disparition n'ajouterait "que" trois ans à l'espérance de vie humaine ?

Roland Moreau : Il faut avoir une approche très précise de la façon dont est calculée l’espérance de vie, car cela peut tout et rien dire. Il est évident qu’en Afrique, les gens ne meurent pas de cancer, car d’autres maladies les emportent beaucoup plus tôt. Le cancer est un problème pour les pays développés, c’est la première cause de mortalité depuis 3 ans, devant les maladies cardiovasculaires. Ce n’est pas parce que le nombre de cancers augmente, mais parce que les progrès dans le domaine du cardiovasculaires ont été considérables. De plus, comme l’espérance de vie augmente, la probabilité de contracter un cancer augmente aussi.

Le but de Larry Page, n’est pas de trouver un remède contre le cancer, il y a un changement de paradigme chez les transhumanistes : on n’est plus là pour traiter les maladies, car les médecins le font, mais leur but est de programmer l’individu pour vivre plus vieux.

Par ailleurs, cette diversification stratégique de Google comporte-t-elle des risques ?

Daniel Ichbiah : Le souci, si l’on se place au niveau de l’internaute, est toujours le même et il n’est pas seulement lié à Google. Sommes-nous d’accord pour voir autant d’informations personnelles être détenues par des sociétés de droit privé. Sur les 3 ou 4 Go que représente le génome, est-ce qu’une société comme Google pourrait trouver un jour quelques codes qui amènent à contrôler une partie de la population ? Bon, cela fait un peu Big Brother comme hypothèse, et Page n’est pas dans cette mouvance. Mais il n’est pas éternel et un autre dirigeant lui succèdera tôt ou tard. Est-ce que vous souhaitez confier votre information de génome à Google ? That is the question !

Finalement, faut-il y voir davantage une lubie de la part de son dirigeant qu'un véritable investissement d'avenir ?

Daniel Ichbiah  : Non, Larry Page est une personnalité qui aime se donner des défis en apparence irréalisables et les accomplir. À ce titre, c’est quelqu’un d’assez remarquable. Mais, au risque de me répéter, le problème ne réside pas chez Page et Brin, qui sont des gens qui, en apparence au moins, semblent animés d’intentions altruistes. Toutefois, tout se passe comme si un pays qui a toujours affiché une attitude pacifiste, comme la Suisse, accumulait un arsenal lui permettant de détruire toute la planète si elle le voulait. Personne ne s’inquiéterait car depuis mille ans, la Suisse n’a participé à aucun conflit. Toutefois, comment être sûr que dans les cent ans à venir, peut-être mois, il en sera de même ? Aucune entreprise au monde ne dispose d’autant d’informations sur chacun de nous que Google. Et il n’existe pas de loi qui permette à un citoyen d’intervenir sur ce qu’il veut rendre public ou non aux autres à partir des informations que détient Google. L’affaire Prism a montré que les sociétés du Net étaient prêtes à collaborer avec des entités de renseignement. Il faut donc établir des limites. Voir Google stocker le génome de milliards d’individus ne me paraît pas une situation rassurante.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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