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Pourquoi Édouard Philippe est une menace pour Emmanuel Macron. Mais pas du tout celle que le président croit...
©Philippe LOPEZ / POOL / AFP

A double tranchant

Édouard Philippe, qui n’est nullement le chef de la majorité, ne peut pas faire grand-chose contre le Président de la République. En revanche, il incarne, sur une série de sujets, une forme de sérieux technocratique et empêche Emmanuel Macron d'apparaître comme un technicien d’État hors pair.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Atlantico : En quoi Edouard Philippe représente-t-il une menace pour Emmanuel Macron ?

Les Arvernes : En rien, du moins au sens politique. Il est de coutume, avec la personnalisation de la Ve République, elle-même liée à l’élection présidentielle au suffrage universel direct – système qu’aucun pays démocratique comparable à la France ne connaît et qui est la clé de voûte du caractère monarchique des institutions – de toujours voir dans le Premier ministre un rival du Président de la République. La réalité, hormis la situation de cohabitation, a pu parfois être celle-là, par exemple si l’on songe à la période Chirac/ Giscard d’Estaing (1974-1976) ou Rocard/ Mitterrand (1988-1991). Mais pour ce qui concerne Édouard Philippe, la situation est autre. Édouard Philippe, au plan politique, n’est rien. Il n’est pas le chef d’un parti. Il n’est pas l’incarnation d’une tradition politique, comme pouvait l’être Philippe Seguin. Il n’est que la créature d’Emmanuel Macron, qui cherchait précisément une personne sans relief, personne n’ayant vocation à prétendre faire l’ombre à Jupiter.

Est-ce à dire qu’Édouard Philippe, ne pose pas de difficultés à Emmanuel Macron ? La vérité, au-delà des péripéties des dernières semaines qui ont vu le Premier ministre ne pas hésiter à contredire le Président et vice-versa, est un peu différente. Il faut, à cet égard, revenir à la distinction de Montesquieu entre le pouvoir de faire et le pouvoir d’empêcher. Édouard Philippe, qui n’est nullement le chef de la majorité, ne peut pas faire grand-chose contre le Président de la République. En revanche, il incarne, sur une série de sujets, une forme de sérieux technocratique. Ce faisant, il empêche Emmanuel Macron, que ceux qui ne le connaissent pas et n’ont pas d’yeux pour juger son bilan, d’apparaître, en plus du politicien de génie qu’il se croit, comme un technicien d’État hors pair. Or, parmi toutes les impostures qui entourent Emmanuel Macron, il en est une qui est rarement relevée : ce n’est pas parce qu’il a fait l’ENA qu’il a l’étoffe ou la forme de pensée d’un haut fonctionnaire. Il n’y a rien, chez lui, des qualités du haut fonctionnaire tel que le Général de Gaulle voulait en faire le soldat du relèvement : désintéressement, humilité, efficacité, discrétion. Non pas qu’Édouard Philippe puisse se targuer de ces qualités. Mais l’on sent que chez lui, une forme de sérieux – pas toujours très drôle d’ailleurs – s’exprime…

Édouard Philippe peut-il et doit-il rester au gouvernement ?

Oui, il le peut pour deux raisons.

La première raison, c’est qu’il peut le souhaiter. A cet égard, pas d’erreur. Édouard Philippe n’a pas de « plan B ». L’on ne distingue chez lui rien qui puisse s’apparenter à une seconde carrière. Comme d’autres Premiers ministres avant lui, le plus caricatural à cet égard ayant été François Fillon, que serait-il s’il n’était pas à son poste ? Emmanuel Macron dirait : « rien du tout ». C’est un peu exagéré. Mais il y a sans doute du vrai.

Il peut rester également car Emmanuel Macron peut le souhaiter. Au fond, son départ poserait au Président un problème difficile. Le remplacer par une personne de meilleur niveau – encore faudrait-il la trouver compte tenu de l’assèchement tragique du personnel politique – n’est pas facile, et exposerait Emmanuel Macron, dont l’impopularité pourrait conduire, comme François Hollande, à ce qu’il ne se présente même pas en 2022, à mettre en selle un rival. Pas une personnalité du gouvernement ne se distingue, même s’ils sont nombreux à vouloir être calife à la place du calife, le plus zélé en ce sens étant Bruno Le Maire, dont le comportement lors de la primaire de la droite nous renseigne sur la valeur de l’homme. Le remplacer par une personne (encore) plus médiocre, alors que la France connaît une crise économique majeure, que l’État est en lambeaux, que la société danse sur un volcan, serait prendre le risque de fragiliser plus encore le Président. Il est vrai que comme Jupiter, Emmanuel Macron ne connaissant pas l'histoire de Prométhée, se croit à tort invincible...

Le doit-il ? La vraie question n’est pas celle-là. Elle est : après tant d’échecs et face à une situation manifestement aussi dégradée, comment Emmanuel Macron peut-il encore prétendre gouverner la France ? La logique institutionnelle exige de dissoudre l’Assemblée Nationale à l’automne, et, si le résultat l’indique, que le Président parte, afin de ne pas connaître à nouveau ce que les institutions permettent hélas de pire : la cohabitation.

Comment son départ pourrait-il affecter la politique d'Emmanuel Macron ?

En rien. Politiquement, il ne représente rien. Bien sûr nombreux sont ceux qui pointeraient le rôle de Matignon dans ces erreurs technocratiques qu’ont été les 80 km/ heure sur les routes, l’âge pivot en matière de réforme des retraites, etc.

Nous pensons que c’est une analyse qui passe à côté du véritable sujet. Le véritable sujet, c’est la mainmise du Conseil d’État sur l’appareil d’État, au travers de deux personnages centraux que sont Marc Guillaume (Secrétaire général du Gouvernement) et Benoit Ribadeau Dumas (directeur de cabinet d’Édouard Philippe). Comme Olivier Schramek (directeur de cabinet de Lionel Jospin quand celui-ci était Premier ministre), à travers ces personnages, c’est la main du Conseil d’État – pour le meilleur pour le pire – qui conduit les institutions. 

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