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Pourquoi cacher sa tristesse est nuisible pour l'éducation de son enfant
©Reuters

Bonnes feuilles

Aujourd’hui, de nombreux parents se sentent démunis face aux comportements de leur enfant et se demandent comment l'éduquer de manière bienveillante et sécurisante. Car vouloir conditionner les enfants, en leur donnant des ordres, en leur faisant des reproches, en les culpabilisant ou en leur demandant « pourquoi » ils ne font pas ce qu’on voudrait qu’ils fassent génère souvent des conflits, parfois de la violence... Pour autant, on ne peut pas « tout laisser faire » sans intervenir : un vrai casse-tête ! (Extrait de "Parents bienveillants, enfants éveillés" de Laurence Dudek, publié aux éditions First 2/2)

Laurence Dudek

Laurence Dudek

Laurence Dudek est psychothérapeute.

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La tristesse est une émotion nécessaire à l’enfant. Pourtant, elle est souvent difficile à admettre pour l’adulte qui la reçoit. Les toutes premières tristesses apparaissent au moment des séparations d’avec la maman : l’enfant a besoin d’être triste pour comprendre la séparation. Je ne parle pas de l’angoisse de séparation au moment où la maman s’en va, ni des effusions qui l’accompagnent (les pleurs ne sont pas toujours l’expression d’une tristesse), mais de ce qui se produit une fois qu’elle est partie et que l’enfant se retrouve dans l’expérience de son individualité et de la solitude. Sans acceptation de la tristesse, pas de consolation possible. Il convient donc que l’adulte accueille la tristesse de l’enfant1, comme toute autre émotion, même si elle peut sembler inquiétante, indésirable et qu’on a souvent envie d’en limiter l’expression. La tristesse est une émotion silencieuse. Elle entre facilement, car elle suit généralement une autre émotion qui a « ouvert la porte ». Une fois à l’intérieur, elle a tendance à rester plus longtemps que d’autres émotions : ce qu’elle vient faire bouger est lourd et le mouvement est une course de fond, en endurance. Elle s’exprime d’abord à l’intérieur, par un repli sur soi. C’est pourquoi on peut passer à côté de la tristesse d’un enfant. C’est une phase délicate de l’émotion, car il convient de l’accompagner tout en respectant le besoin de l’enfant de ressentir la tristesse. Comme il a été dit plus haut, l’exemple facilite l’apprentissage : si l’adulte a pris l’habitude de ne pas dissimuler sa propre tristesse quand elle survient, l’enfant aura plus de facilité à reconnaître la sienne et à la vivre.

Quand un parent est triste, il est plus efficace de ne pas faire semblant d’être gai – contrairement aux idées reçues, qui prétendent que cacher sa tristesse permet d’en protéger l’enfant. Bien sûr, il ne s’agit pas de lui transmettre sa tristesse en lui racontant par le menu l’événement qui l’a provoquée, mais on peut lui dire : « J’ai besoin d’être triste, tu vois, j’ai besoin de pleurer, je vais me retirer un moment, j’ai besoin de laisser passer ma tristesse, et puis ça va aller. »1 Lors d’un événement qui affecte durablement la vie, un deuil ou une séparation des parents, un déménagement ou un changement de situation sociale, les enfants perçoivent inconsciemment la tristesse des adultes, sans en être informés et sans pouvoir confier leur propre tristesse. Car si l’adulte est occupé à essayer de cacher sa tristesse, il n’y a pas d’espace pour celle de l’enfant. Or dire sa tristesse à un enfant, c’est lui apprendre à vivre sans crainte de lui-même. Le contexte social dans lequel nous vivons n’autorise ni de se replier sur soi, ni de prendre le temps de souffrir.

C’est pourquoi nous devons l’imposer lorsque c’est nécessaire. Nous avons la responsabilité de créer des espaces d’assimilation pour nos enfants : la tristesse prend du temps, elle demande de s’arrêter un moment sur le changement, sur le manque, sur la vie et sur la mort. J’ai dit plus haut que la colère donne la force d’agir sur soi et sur son environnement. La tristesse, au contraire, empêche d’agir : elle conditionne l’acceptation de ce que l’on ne peut pas changer. C’est un point crucial de l’apprentissage des émotions : savoir qu’un enfant qui est triste est en train d’assimiler une situation douloureuse, donc de se préparer à s’en relever. La tristesse accompagne toutes les prises de conscience existentielles de l’enfant, en particulier la conscience que ses proches sont mortels et que lui aussi l’est. Une fois qu’il a pu ressentir et exprimer sa tristesse, on constate que l’angoisse existentielle disparaît pour faire place à l’acceptation. Bien sûr, cela ne se fait pas en un jour – rappelez-vous que sa lenteur de cheminement est inhérente à la tristesse –, mais cela doit être fait pour passer cette étape existentielle. Si cela ne se fait pas, ou pas suffisamment, une mélancolie risque de s’installer durablement, se répercutant parfois sur le caractère du sujet (imprégnant son identité). 

En consultation, certains enfants me disent qu’ils « aiment être tristes ». En réalité, ce qu’ils aiment, c’est exprimer leur tristesse : la faire sortir en provoquant les larmes. Pour cela, ils imaginent des histoires dans lesquelles ils perdent leurs proches, d’où le succès des Malheurs de Sophie, de Jane Eyre ou encore de Sans famille. Cela ne doit pas affecter les parents : c’est un phénomène normal et sain, qui révèle simplement qu’une émotion réelle est en train de s’évacuer par le jeu. Les émotions dites « négatives » sont donc loin d’être aussi indésirables, en matière d’éducation, qu’on pourrait le croire en observant leur manifestation parfois violente et les états de détresse qu’elles peuvent engendrer chez les enfants. Car non seulement elles sont utiles pour l’enfant, mais elles permettent aussi au parent de comprendre ce qui se passe en lui et servent à repérer les besoins qu’elles révèlent. Ce qu’il faut retenir de cette clé n° 2, c’est d’une part que l’apprentissage des émotions permet à l’enfant de maîtriser son environnement et d’agir lui-même pour son bien-être, d’autre part qu’il est fondamental, en matière d’éducation, de laisser plus de place au ressenti qu’à l’analyse et au jugement. C’est la raison pour laquelle, quel que soit le problème, on posera toujours la question « quoi ? », qui permet de comprendre vraiment ce qui se passe, plutôt qu’un « pourquoi ? », qui favorise l’interprétation et non l’observation et la description des faits.

Extrait de "Parents bienveillants, enfants éveillés" de Laurence Dudek, publié aux éditions First

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