Pourquoi, avec sa conférence de consensus sur la prévention de la récidive, Christiane Taubira prend un pari risqué<!-- --> | Atlantico.fr
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La ministre de la Justice veut s’inspirer du modèle canadien. Celui-ci a-t-il fait ses preuves ?
La ministre de la Justice veut s’inspirer du modèle canadien. Celui-ci a-t-il fait ses preuves ?
©Reuters

Consensus mou

La "conférence de consensus sur la prévention de la récidive" initiée par Christine Taubira a présenté ses travaux. Peu ou pas de place accordée aux professionnels de terrain ou aux associations de victimes, et une idée retenue : promouvoir les peines de substitutions.

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Atlantico. Jeudi et vendredi dernier la "conférence de consensus sur la prévention de la récidive", lancée par Christiane Taubira en septembre, a présenté ses travaux. Le défaut de diversité dans le choix des experts et des membres du jury n'a pas manqué d'être souligné. La conférence du consensus n'aura-t-elle pas au final été un peu trop consensuelle ?

Alexandre Giuglaris : Effectivement, il est beaucoup plus facile de parvenir à un consensus lorsque les personnes choisies pour former le comité d'organisation et le jury de cette conférence sont assez largement d'accord entre elles avant même d'avoir commencé leur travail. La proximité idéologique ou politique de nombreux membres du comité avec le gouvernement n’a d’ailleurs pas échappé aux observateurs.

Mais le plus ennuyeux est que tout cela aboutit à une simple opération de communication où une partie des experts invités à s'exprimer sont sélectionnés parce que leur travaux ou leurs expériences de terrain correspondent aux mesures qui vont être prises et ont déjà été décidées depuis plusieurs mois. Je pense à la création d'une peine de probation annoncée par François Hollande il y a un mois, ou à la suppression de toutes les peines spécifiques pour les récidivistes comme les peines plancher.

La police a-t-elle été associée à ce travail de réflexion ?

Les chiffres sont particulièrement parlants. Près de trente experts ont été auditionnés pendant les deux journées de la conférence de consensus. Parmi eux, aucun représentant de la police ou de la gendarmerie…

Il semble que les organisateurs de cette conférence n'aient pas jugé utile d'avoir l'avis de professionnels directement confrontés à la récidive. C'est une véritable faute car les forces de sécurité jouent un rôle essentiel dans la prévention et la lutte contre la récidive.

Il faut aussi souligner qu’une seule association de victimes a été invitée à s’exprimer en deux jours. Et cette intervention a surtout porté sur la justice réparatrice, idée qui vise à faire dialoguer victimes et condamnés pour lutter contre la récidive. Il s’agit d’une démarche à laquelle nous pensons qu’il faut s’intéresser avec précaution, en garantissant avant tout qu’elle ne soit pas imposée aux victimes. En tout cas, n’inviter qu’une seule association de victimes, c’est là encore une faute, car il est impensable d'envisager un quelconque consensus si on continue d'écarter les victimes du débat public.

En occultant les forces de sécurité et les victimes, on conforte le sentiment que la justice est coupée du reste du pays et des institutions avec lesquelles elle travaille quotidiennement. Cette logique est incompréhensible.

Mme Taubira avait promis cet été de rompre avec le "consensus sécuritaire" des années Sarkozy et annoncé sa volonté de mettre en place en France une peine de probation. S’agit-il d’une piste intéressante ?

C'est une piste intéressante à la condition que le suivi des personnes condamnées soit réel et efficace, ce qui est loin d’être toujours le cas déjà aujourd’hui. Mais surtout il faut que cette peine de probation soit créée pour augmenter le taux de réponse pénale et non comme un nouvel expédient pour ne pas incarcérer les personnes qui le méritent. Nous sommes d'ailleurs très inquiets par les propos de Mme Maestracci, la présidente du comité d’organisation de cette conférence, qui a clairement dit que les peines alternatives, dont la probation, devaient se substituer à l'incarcération plutôt que de s'y ajouter.

Comment ne pas penser qu’il s’agit là d’un nouveau message d’impunité et de laxisme. En effet, après la confirmation de la suppression des peines plancher, de la rétention de sûreté, des tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes et l’arrêt du plan de construction de places de prison, on est en train d’expliquer que la probation va venir remplacer la prison. C’est un non-sens dangereux alors que les statistiques des derniers mois montrent une augmentation très inquiétante de la criminalité et des violences aux personnes.    

La ministre de la Justice veut s’inspirer du modèle canadien. Celui-ci a-t-il fait ses preuves ?

Il y a de nombreux dispositifs canadiens qui devraient inspirer notre pays. L'Institut pour la Justice se mobilise depuis plusieurs années pour la modernisation de l'évaluation de la dangerosité des personnes condamnées en mettant en avant les échelles actuarielles notamment. C’est un outil statistique qui évalue le potentiel de risque de récidive. Quand nous avons commencé à en parler en nous inspirant du Canada ou de la Belgique, nous avions soulevé beaucoup de critiques. Aujourd’hui, la conférence de consensus a évoqué ce sujet en auditionnant des criminologues et des praticiens spécialisés dans ce domaine. C’est une des rares raisons de nous réjouir de cette conférence mais il faut le saluer. Cependant, il faudra encore attendre de savoir si le gouvernement reprend cette idée.

Plus généralement, on devrait surtout s’inspirer du pragmatisme canadien ou anglo-saxon qui, en matière de sécurité et de justice, cherche avant tout à mettre en place ce qui marche, ce qui est efficace. C’est le modèle du "what works". Un peu moins d’idéologie et un peu plus de bon sens en matière de justice, voilà qui serait la meilleure des inspirations.

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