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Pourquoi Arnaud Montebourg a été surnommé "Récupérator" à l'Elysée
©capture écran BFMTV

Bonnes feuilles

L’enquête qu’a menée Frédéric Charpier permet de dévoiler les zones d’ombre et les louvoiements de ce personnage insaisissable, et rétablit les faits. De la Convention pour la 6ème République devenue un simple instrument du pouvoir personnel de son créateur, à sa carrière de ministre du Redressement productif, il se dégage surtout le profil d’un homme girouette, politiquement versatile, capable de s’allier avec Martine Aubry aussi bien qu’avec DSK. Extrait de "Montebourg, l'homme girouette, de Frédéric Charpier, aux éditions La Découverte 1/2

Frédéric Charpier

Frédéric Charpier

Frédéric Charpier, né en 1955, auteur de films documentaires, a écrit plusieurs ouvrages sur les affaires, les services de renseignement et l’extrême droite, notamment, au Seuil : Génération Occident. De l’extrême droite à la droite Madelin (2005) et La CIA en France (2008); et aux Presses de la Cité, Les Dessous de l’affaire Colonnaet Nicolas Sarkozy, enquête sur un homme de pouvoir (2007). Son livre, Arnaud Montebourg, l'homme girouette (2016) est publié chez La Découverte, juste avant la primaire du PS.

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Montebourg alias « Récupérator »

Anonyme ou quasi inconnu, procédurier hors pair et inventif, Pierre-François Divier a porté les coups les plus sévères à la Chiraquie en étant le pionnier des attaques contre le système chiraquien. Il est connu pour une procédure qu’il a mise au point et qui va s’avérer d’une rare efficacité. Elle permet de prendre l’initiative de poursuites quand ceux qui sont censés les engager ne le font pas dans un délai précis. Il suffit d’obtenir l’aval du tribunal administratif et, pour cela, d’être un peu patient.

Pierre-François Divier explique sa trouvaille, qu’il rode tout d’abord dans l’affaire Urba, cette vieille et officielle « pompe à fric » du PS brusquement mise sur la sellette à la fin des années 1980 : « Je suis allé rechercher le vieux texte du code administratif remontant au xixe siècle et permettant à un contribuable d’intenter une action qu’une commune refuse d’engager en justice. En l’espèce, la commune socialiste de Marseille ne voulait pas déposer plainte et se porter partie civile dans l’affaire de corruption locale d’Urba. J’ai donc pris un contribuable de Marseille, un lieutenant d’Antoine Waechter (Gérard Monier-Bésombes), alors député européen des Verts […]. J’ai obtenu le 11 juin 1991 du tribunal administratif de Marseille l’autorisation de porter plainte à la place de la Ville de Marseille défaillante pour ouvrir une instruction judiciaire sur tout le volet sud-est de l’affaire Urba-Gracco. » On connaît la suite…

Les socialistes le mettent aussitôt en quarantaine et ses camarades écologistes le traitent comme un pestiféré. Certains, plus réalistes que d’autres, lui reprochent d’avoir manqué de solidarité envers leurs alliés socialistes. Divier finit par démissionner des Verts en mars 1995. À cette époque, il est la bête noire du RPR parisien qui lui colle aux trousses ses équipes de pisteurs, alors que sa messagerie téléphonique est placée sous surveillance et ses bureaux visités. Quand, en juillet 1995, Arnaud Montebourg se manifeste, Pierre-François Divier le baptise « la Mouche » alors qu’à l’Élysée on l’a déjà surnommé « Récupérator ».

« Il suffisait que la mouche éternue et le Premier ministre [Alain Juppé] explosait en vol », écrit Divier dans son livre peu connu publié à compte d’auteur. Il fait allusion aux relais dont bénéficie Montebourg dès la création de l’Association de défense des contribuables parisiens. Il songe en particulier au Monde et au journaliste Hervé Gattegno qui couvre avec faveur les interventions de son ami. Divier adresse une sévère critique à son confrère. Il reproche à Arnaud Montebourg ses gesticulations, d’avoir écrit au procureur alors qu’il savait d’avance que sa démarche n’aurait aucune suite et de s’être avant tout préoccupé de sa carrière politique. Ainsi écrit-il : « Tout compte fait, l’art dans lequel la Mouche excellait c’était la récupération du travail d’autrui. »

Divier écrit aussi qu’Arnaud Montebourg s’est illustré sans raison dans une autre affaire, celle des employés municipaux mis à la disposition par la mairie d’élus RPR de la capitale, donc aux frais des contribuables parisiens. Deux d’entre eux étaient particulièrement mis en cause : Robert Pandraud, ex-ministre délégué à la sécurité et congénère de Chirac à l’ENA, et Camille Cabana, un élu de la capitale, deux piliers du chiraquisme parisien.

Cette affaire d’employés fournis et payés par la Ville de Paris a été révélée le 20 décembre 1995 par Le Canard enchaîné. Montebourg et son association s’en emparent. Ils fournissent alors leur propre estimation du préjudice pour la ville – 423 000 francs. Ils la transmettent par voie d’huissier à Matignon. Agacé par ce goût de la mise en scène et cette recherche de l’effet médiatique, Divier écrit : « La Mouche, alias Récupérator, s’était aussitôt emparée de cette considérable affaire et avait déposé le 29 décembre au nom de son association une plainte pénale au parquet 1. » Sa plainte sera classée le 27 janvier 1996, l’infraction de détournement de fonds publics n’étant pas constituée, selon le nouveau procureur de Paris Gabriel Bestard. Déboutés, Arnaud Montebourg et son association ne sont plus dans la course et sont définitivement hors jeu.

Quelques jours plus tôt, le 7 janvier 1996, Divier a ressorti sa botte secrète, cette astuce juridique. La mairie a maintenant quatre mois pour répondre. Elle devra impérativement le faire avant le 5 juillet 1996. L’affaire se poursuit devant le tribunal administratif. Camille Cabana et Robert Pandraud se disent disposés à restituer sur-le-champ leurs employés municipaux à la ville. Il faut dire que chacun a en tête le précédent de l’affaire Patrick Balkany et la sanction prise à l’encontre du maire de Levallois-Perret qui a lui-même utilisé des employés municipaux pour son service personnel : 15 mois de prison avec sursis, 200 000 francs d’amende et 700 000 francs à rembourser.

L’avocat des deux élus RPR annonce au tribunal administratif que ses clients s’engagent également à rembourser la ville. Le 31 mai 1996, Robert Pandraud s’accorde avec Jean Tibéri sur les modalités du remboursement. Quant à Camille Cabana, il veut sortir de cette histoire la tête haute. Il argue de son bon droit, évoque la plainte de Montebourg rejetée et classée par le parquet mais, « magnanime », il s’engage lui aussi à rembourser. L’affaire se règle entre amis. Jean Tibéri fixe la somme dont devra s’acquitter Robert Pandraud, soit 99 228 francs, tandis que Cabana devra lui rembourser 618 450 francs. L’un obtient un prêt de l’Assemblée nationale et l’autre des facilités de paiement – son ardoise sera échelonnée sur trois ans. L’arrangement permet surtout au tribunal de rejeter la demande du client de Pierre-François Divier, les deux élus ayant remboursé à la Ville ce qu’ils lui devaient. 

« Il ne restait plus à la Mouche qu’à s’attribuer la paternité exclusive de ce succès », écrit Divier. Dans son livre La Machine à trahir, Arnaud Montebourg écrit : « La dénonciation au procureur de l’utilisation abusive de moyens publics a amené les intéressés à rembourser spontanément les caisses publiques municipales. » La formule est pour le moins vague. Arnaud Montebourg oublie de préciser que le procureur Bestard a classé sans suite sa plainte dès le 27 janvier 1996, et que son action n’a été en aucune façon contraignante. Ajoutons que l’« affaire Juppé » qui a fait la notoriété de Montebourg et a lancé sa carrière politique n’a donc pas été une entreprise isolée. Arnaud Montebourg a bénéficié de nombreuses complicités, en particulier au sein du SCPC. Ses faits et gestes ne sont pas seulement épiés par la droite parisienne et ses hommes de main, le PS à son plus haut niveau se tient lui aussi informé.

Quant au déménagement d’Alain Juppé dont Montebourg s’attribue depuis plus de vingt ans le mérite, on peut dire sans se tromper que seul Le Canard enchaîné y a été réellement pour quelque chose.

Extrait de "Montebourg, l'homme girouette", de Frédéric Charpier, publié aux éditions La Découverte, décembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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