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Pourquoi l'absence d'emballement du crédit en France ne signifie pas que le risque lié à notre système bancaire et financier soit totalement maîtrisé
©ERIC PIERMONT / AFP

Les leçons mal apprises de 2008

Fin décembre, Michel Sapin a fixé le niveau de fonds propres contra-cyclique, une mesure prudentielle contre l'emballement potentiel du crédit, à 0%. Cette décision semble indiquer que les risques liés au secteur bancaire sont actuellement limités.

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran est maître de conférences en économie à l'université Paris I, où elle dirige le Master 2 Professionnel "Contrôle des risques bancaires, sécurité financière et conformité". Elle est l'auteure de Blablabanque. Le discours de l'inaction. Ed. Michalon, sept. 2015.

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Atlantico : Le 30 décembre dernier, le ministre des finances Michel Sapin a fixé le "niveau de coussin de fonds propres contra-cyclique à 0%" pour le 1er janvier 2016. De quoi s'agit-il exactement ?

Jezabel Couppey-Soubeyran : Avant la crise, il était reproché aux mesures prudentielles de ne pas être ajustées au cycle financier. Les exigences de fonds propres avaient en effet tendance à renforcer le cycle : facile à satisfaire en phase ascendante du cycle, le ratio de fonds propres pouvait renforcer l’emballement du crédit ; contraignant dans la phase de repli, il pouvait accentuer la restriction du crédit. D’où l’idée d’un coussin contracyclique pour contrer le cycle et ainsi mieux le réguler. Cette disposition fait partie des recommandations qui ont été adoptées dans le cadre des accords de Bâle 3. En plus de l’exigence de 10,5% de fonds propres (en % des actifs pondérés par les risques) pourront ainsi venir s’ajouter jusqu’à 2,5% de fonds supplémentaires dans la phase ascendante du cycle financier en cas d’emballement du crédit. Moins, voire 0 si la croissance du ratio crédit sur PIB comparée à sa tendance de long terme apparaît normale.

La mesure entre en application le 1er janvier 2016 et reste à la discrétion des autorités nationales. Dans le cas français, la décision revient au ministre des finances qui, sur recommandation du Haut Conseil de stabilité financière (autorité nationale en charge de la politique macroprudentielle), après examen de la proposition du gouverneur de la Banque de France (membre de droit de ce Haut Conseil), a signé le 30 décembre 2015 un coussin de fonds propres contracyclique fixé à 0. Le haut conseil a en effet estimé « qu’il n’y avait pas à ce stade de croissance excessive du crédit dans le secteur bancaire français qui pourrait être source de risque systémique ». Si par la suite la croissance du crédit s’accélère au point de faire craindre un emballement porteur de risque systémique, le Haut Conseil, toujours sur proposition du gouverneur de la Banque de la France, pourra hausser le coussin contracyclique jusqu’à 2,5%.

Cette décision est-elle adaptée à la réalité actuelle du secteur bancaire ?

En dépit de la politique monétaire ultra-accommodante de la BCE, il est vrai que le crédit n’est que très timidement reparti. Donc de ce point de vue, pas d’emballement à l’horizon ! Si l’on s’en tient au cycle du crédit, la décision est adaptée au cas français. Il faudra toutefois rester attentif, non seulement au cycle du crédit mais également aux autres sources du risque systémique. Celles-ci sont multiples. Il importe notamment d’examiner la tendance des prix d’actifs, notamment ceux de l’immobilier, des titres actions, … pour endiguer à ce niveau aussi le risque systémique. Il s’avère que pour la France l’atonie de l’économie réelle coïncide actuellement avec un cycle financier plutôt atone également.

Ce n’est pas le cas partout. Le cycle financier décrit depuis quelques décennies des mouvements de grande amplitude, bien au-delà et parfois même déconnectés du cycle des affaires. En Espagne, en Irlande, au Royaume-Uni, en Suède, le cycle financier, après s’être très brutalement replié pendant la crise, a amorcé une nouvelle phase haussière, justifiant par exemple la décision prise par la Suède (comme la Norvège) de fixer le coussin contracyclique à 1,5% ou celle du Royaume-Uni de confier à la Banque d’Angleterre une mission macroprudentielle. Les filiales de banques françaises installées dans ces pays devront s’y plier.

Les différentes réformes du secteur bancaire menées depuis l'entrée en crise sont-elles à la hauteur des déclarations politiques ? La France fait elle figure de bon élève en la matière ?

L’Europe dans son ensemble a plutôt été bon élève dans la foulée des accords de Bâle 3, les transposant rapidement dans le cadre de la directive CRDIV. L’union bancaire permet également de mieux organiser la supervision des groupes bancaires européens, d’installer un cadre de résolution des défaillances bancaires et d’espérer une garantie européenne des dépôts. Globalement, on est allé dans la bonne direction, mais à trop petits pas et sans prendre la mesure de la capacité de résistance des lobbies bancaires. Il est clair que l’écart reste immense entre les déclarations chevaleresques du type « Mon ennemie c’est la finance » et les dispositions prises, comme par exemple la loi française de séparation et de régulation des activités bancaires qui ne sépare pour ainsi dire rien du tout et n’a que très peu d’incidence sur les activités de marché à risque.

Quels sont les risques principaux que fait encore peser le secteur bancaire sur l'économie française ? Les leçons de 2008 ont-elles été tirées ?

Le problème qui demeure me semble-t-il est celui d’un secteur bancaire et financier encore surdimensionné par rapport à l’économie réelle et qui ne travaille pas suffisamment au service de cette dernière. Nos gouvernants continuent de voir dans ces grands groupes bancaires des champions nationaux qu’il faut préserver à tout prix. Or ils ne profitent ni au consommateur de services bancaires, car ils sont en mesure de facturer leurs services à prix fort (la preuve en est par exemple la prochaine facturation des frais de tenue de compte), ni à la stabilité financière car ces mastodontes font courir un risque systémique. Leur poids leur confère en outre une force politique et financière qui les rend capables de contrer les réformes ou d’en ralentir le cours. Dernier exemple en date, avec dans le cadre des dispositifs de résolution, la mise à contribution des créanciers (bail-in) en cas de défaillance ou d’insuffisance de fonds propres. Qui n’a pas lu dans la presse ou sur les réseaux sociaux ces dernières semaines que le bail-in mettrait en danger les dépôts des clients des banques ? Une belle campagne de désinformation alors même que le bail-in évitera au contribuable d’être le premier à mettre la main à la poche et qu’il ne change strictement rien à la garantie des dépôts (les dépôts restent assurés comme avant dans la limite de 100000 euros par banque et par déposant). Un vœu pour 2016 : halte au blabla du lobby bancaire (1) !

(1) Voir Blablabanque. Le discours de l’inaction. Editions Michalon (septembre 2015).

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