Gaspard Koenig : « Pour simplifier radicalement la France, il ne faut pas se demander quelles normes ôter, mais lesquelles garder »<!-- --> | Atlantico.fr
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Gaspard Koenig à Paris, 7 décembre 2018
Gaspard Koenig à Paris, 7 décembre 2018
©ERIC PIERMONT / AFP

Simplifions-nous la vie !

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Vous venez de lancer votre mouvement Simple qui vise à faire de la simplification la priorité du prochain quinquennat. Comment le qualifieriez-vous ?

Gaspard Koenig: C'est un parti politique. Je suis arrivé à la conclusion que c'est le meilleur moyen de peser politiquement. J'anime un think tank depuis dix ans : j'ai donc vu à la fois les forces et les limites de la production d'idées. Pour imposer ce thème, dans un pays où l'ensemble des partis reste très jacobin et peu imaginatif et radical dans leurs propositions, il faut créer un rapport de force. Ce parti a donc des adhérents, des militants, et a vocation à être pérenne dans le champ politique français.  

Vous avez fondé Génération libre en 2013, avant d’en céder la présidence. Ce think tank n'a pas suffit pour imposer votre vision libérale dans le débat public ?

Génération libre fait des propositions de politiques publiques, ce qui est très bien. Il continue d'ailleurs à exister de manière autonome. Mais la proposition fondée sur la liberté et la confiance en l'individu est très esseulée sur le champ politique. Sujet par sujet, nous arrivons à toucher telle ou telle catégorie de la population, mais il n'y a pas de force politique qui représente cette voie. La Macronie avait été une forme de possibilité au début, mais très vite s'est révélée, comme les autres, être une formation très verticale et très peu soucieuse des libertés en général. Ce quinquennat a été l'exemple parfait de cela, avec la création d'un commissariat du Plan, des freins aux libertés disproportionnés, des états d'urgence que j'estime pas nécessaires... Nous n'avons pas eu le renversement du paradigme jacobin que j'appelle de mes vœux, qui consiste à faire confiance au petit échelon, à l'individu, à l'entreprise, en lui laissant un espace de liberté. Pour moi qui ai sillonné le territoire, le sujet de la bureaucratisation me semble tout à fait prioritaire. J'ai constaté sur le terrain à quel point il est vital de s'en préoccuper.

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Concernant Emmanuel Macron, n'est-ce pas le problème du néo-libéralisme que de prôner des idées libérales et, arrivé au pouvoir, ne pas les mettre en œuvre ?

Emmanuel Macron n'a pas de doctrine politique très structurée, même s'il rentre bien dans le moule néo-libéral, avec l'aspect régulateur d'un côté, et une forme de capitalisme de connivence de l'autre. Il a une politique d'ajustements marginaux dont certains sont pertinents, mais qui ne changent rien de manière systémique. Je pense, moi, que nous avons besoin de radicalité, y compris au sein de la grande famille centrale. Les simplifications que l'on formule sur la simplification sont radicales : diviser par 100 le solde de normes, comme on le propose, recodifier les lois comme l'avait fait Napoléon, ne peut pas se faire avec une commission ou un secrétariat d'Etat : cela doit se faire au plus haut niveau. Faire moins est beaucoup plus difficile que faire plus ; ça demande plus de courage. Et c'est ce dont le pays à besoin, car la simplification a un impact sur le pouvoir d'achat, la sécurité, le vivre-ensemble...

Est-ce vraiment possible ? Chloé Morin, dans Les inamovibles de la République, expliquait que même avec la meilleure volonté du monde, on n'y arrive pas.

Je ne crois pas. Quand je travaillais dans un cabinet ministériel, j'ai suivi la réforme de l'auto-entrepreneuriat, une des rares réformes de simplification des vingt dernières années, voire la seule. Elle a rencontré beaucoup de résistances mais a été menée à terme, car la volonté politique finit par s'imposer : l'administration française reste légitimiste, compétente et non-corrompue.

En outre, aujourd'hui, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui demandent la simplification. Ce n'est pas du tout un mouvement contre l'administration. Au contraire ! Tout en haut, le Conseil d'Etat ne cesse de publier des rapports dénonçant l'inflation normative. Les fonctionnaires de terrain, les infirmiers, les policiers, etc., nous ont beaucoup écrit pour témoigner de leur vécu. Il y a un vrai malaise dans la fonction publique car les fonctionnaires considèrent que leur métier perd de son sens. Ils n'ont aucun plaisir à contrôler et appliquer des normes qu'ils considèrent non-adaptées.

Même les hauts-fonctionnaires ?

Surtout les hauts-fonctionnaires, qui ne sont pas stupides ! A partir du moment où l'on arrivera à faire émerger le sujet politiquement, à construire une force militante autour de cela, à poser les termes du débat de manière correcte, il y aura une volonté dans l'administration d'entreprendre cette tâche qui est une véritable nécessité publique. Aujourd'hui, les préfets sont les premiers à reconnaître que le pays est ingérable et donc à fermer les yeux sur telle ou telle circulaire, ou à calmer telle ou telle administration territoriale. Les maires ruraux dénoncent aussi l'enfer territorial. C'est vraiment consensuel. A tel point que depuis que j'ai lancé cette initiative, je n'ai rencontré aucune résistance, comme si le sujet était déjà gagné. Si j'avais fait la même chose il y a quinze ans, j'aurais fait face à plus de réactions légitimant le jacobinisme, l'approche verticale, au nom de l'égalité. Aujourd'hui, à part Eric Zemmour, plus personne n'a cette vision obsolète de l'Etat.

Si c'est si simple que cela, pourquoi personne ne s'est occupé du problème ?

Parce que cela nécessite d'en faire une priorité. On ne peut pas dire « on fera tel grand plan de transformation ; par ailleurs, on simplifiera ». Il faut en faire un projet de société. Considérer que ce n'est pas une réforme technique mais une réforme culturelle, qui d'une certaine manière remet en cause des siècles de jacobinisme. C'est un sujet radical qui demande d'avoir porté le sujet lors d'une campagne. Je parle avec beaucoup de responsables en charge de ces sujets de simplification et de diminution des normes : tous me disent que les commissions ad hoc pour simplifier ne fonctionnent pas. Il ne faut pas se demander quelle norme ôter, ce qui est leur mission, mais se demander quelle norme garder, ce qui est beaucoup plus structurel. C'est ce qu'a fait le Consulat : la France a donc déjà la méthode. C'est donc maintenant une question de pédagogie et de volonté.

Le fait qu'il y ait un secrétariat d'Etat à la Simplification n'est-il pas la preuve que le problème existe ?

Eric Zemmour propose même un haut-commissaire à la Simplification, c'est pire ! De la bureaucratie pour lutter contre la bureaucratie, ça montre à quel point les gens sont parfois déconnectés du sujet. Dans notre livre Simplifions la vie, nous avons défini une méthode, avec le public, pour le faire. Nous ne sommes pas là pour changer le monde ou « réinventer la vie », mais c'est une tâche considérable et donc radicale pour la famille centrale du spectre politique.

N'y-a-t-il pas un risque de cliver la société ?

C'est la complexité qui clive, car elle crée des injustices entre ceux qui ont le bon statut et ceux qui ne l'ont pas, ceux qui connaissent le système ou qui peuvent se payer des gens qui le connaissent (cabinets d'audits, avocats fiscalistes, experts comptables, etc.) et les autres. La complexité crée une société à plusieurs vitesses pleine de ressentiment, de jalousie et de suspicion : c'est cela qui clive. Alors que des lois simples sont générales, compréhensibles par tous. C'est facteur d'égalité. On pourrait le comparer à la révolution protestante, quand chacun a pu lire la Bible au lieu de passer par l'intermédiaire du prêtre. Il faut aujourd'hui pouvoir lire la loi sans passer par l'intermédiaire du parti politique, du syndicat ou du cabinet de juristes. Les acteurs de terrain ne demandent que ça. Je l'ai vu lors de centaines de réunions sur le terrain cet été : partout, dans des domaines différents, le même discours se dégage. Les citoyens se sentent perdus, dénoncent l'arbitraire, et ont le sentiment d'une perte de temps et d'énergie considérables, de chaînes dont on pourrait s'affranchir à coût zéro.

Comment ce sujet est-il vu à l'étranger ?

La bureaucratisation est un phénomène mondial, qui vient d'une aversion au risque généralisée. La France n'est pas un cas particulier. Elle a une tradition centralisatrice, certes, mais cette question se pose maintenant dans les autres pays. La question est philosophique : accepte-t-on de vivre dans une sorte de prison ultra-régulée, ou accepte-t-on une part d'incertitude et de risque qui fait partie de la vie ? Il y a une contrepartie à la simplification qui est d'accepter le risque, d'accepter le fait qu'il n'y a pas toujours un responsable à chaque incident ou accident. 

Quelle forme pourra prendre la simplification ?

Il faut faire quelque chose de prioritaire dont découlent d'autres mesures. Le revenu universel, par exemple, découle très naturellement d'une simplification du droit fiscal et social ; l'autonomie locale est une simplification du droit local... On peut faire tout un projet de société autour du thème de la simplification. Et au-delà de la simplification, il y a dans la société un désir de simplicité, de sobriété, d'un éloignement de l'hyper-consommation qui correspond bien à ce souci d'une vie plus simple. Regardez le succès de la médiation : le fait que les gens arrivent à résoudre des problèmes quand on les assoit en face à face est un bon exemple de simplification.

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