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Pour Wright Morris, "Les écrivains disposent d’une île, un endroit où se réfugier pour méditer. C’est l’ancre de l’esprit, cet endroit génial au creux de votre âme."
Pour Wright Morris, "Les écrivains disposent d’une île, un endroit où se réfugier pour méditer. C’est l’ancre de l’esprit, cet endroit génial au creux de votre âme."
©Reuters

THE DAILY BEAST

Pour cette romancière américaine, pour que l’envie de lire, d’écrire et de vivre perdure, il ne faut jamais cesser de découvrir de nouvelles choses, de nous confronter à l’inconnu.

Jonis  Agee

Jonis Agee

Jonis Agee est l’auteure de nombreux récits, essais, scénarios et romans, dont le plus récent, The Bones of Paradise, a été publié ce mois-ci. Elle vit dans le Nebraska et possède 20 paires de bottes de cow-boy.

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The Daily Beast, Jonis Agee

Passé l’âge de 21 ans, notre corps commence à sécréter une hormone importante, l’H.G.H. (l’hormone de croissance humaine). Elle régit tout, des cheveux gris à la libido. Et oui, notre déclin est inéluctable. On m’a récemment téléphoné pour me demander de partager ma vision d’une vieillesse réussie. J’ai accepté, puis j’ai raccroché, en état de choc. J’étais donc vieille. Assez vieille pour qu’on me demande de donner des conseils pour bien vieillir. Ce qui veut dire qu’on me trouve vieille. Mince, me dis-je, il me faudrait peut-être un lifting, à moins qu’il ne faille que j’achète une nouvelle selle pour mon cheval ?

J’ai médité là-dessus pendant une semaine, puis j’ai fini par me dire que j’allais acheter deux gros rouleaux de scotch, de ceux qu’on utilise pour relier les manuscrits, et que je m’en collerais autour du visage de temps en temps en guise de lifting. De toute façon, j’avais surtout besoin d’une nouvelle selle. Groucho Marx était un grand critique littéraire. Il a dit un jour : "En dehors du chien, le livre est le meilleur ami de l’homme. En dedans du chien, il fait trop sombre, on ne voit rien". J’imagine que vous vous demandez où je veux en venir avec mes chiens et mes livres - qui sait, je vais peut-être juste vous parler de chiens, voire du débat "livre relié ou livre de poche".

Tous les écrivains sont confrontés aux mêmes questions : que faire pour donner à nos lecteurs, voire à nos proches, un sentiment d’émerveillement ? Comment trouver l’inspiration pour mieux les atteindre ? Pour ma part, j’aimerais bien que mon mari - non, oubliez que j’ai écrit ça. Les personnages fictifs partagent ces trois caractéristiques : ils rêvent, désirent et maudissent. J’aimerais savoir pourquoi nous finissons souvent par ne plus partager que la dernière caractéristique avec eux.

Gabriel Garcia Marquez a dit un jour que son roman Cent ans de solitude laissait une marge au lecteur. C’est pour cela qu’il ne souhaitait pas que son livre soit adapté au cinéma, bien qu’il ait lui-même été scénariste dans sa jeunesse. C’est grâce à cette marge que nos lecteurs peuvent s’attarder, bien souvent sans nous, dans un paysage imaginaire tantôt vaste, tantôt minuscule. Parfois, il ne parviennent pas à pénétrer dans cet espace, ils ne trouvent pas la porte ; ou peut-être ont-ils juste perdu la clé. Les écrivains ont de multiples manières de donner une définition de leur travail : informer, présenter un matériau bien spécifique, persuader, apporter du réconfort, mettre de l’ordre dans le chaos, divertir.

Le romancier Brent Spencer a dit un jour : "J’ai commencé à écrire pour que le monde m’écoute." Pour Wright Morris, "Les écrivains disposent d’une île, un endroit où se réfugier pour méditer. C’est l’ancre de l’esprit, cet endroit génial au creux de votre âme." Donc, si nous voulons faire en sorte d’être entendus, mais aussi que nos lecteurs découvrent cette partie de leur esprit dans laquelle ils pourront trouver refuge, par quoi commencer ?

Plus on vieillit, plus cette tâche semble ardue. Ce n’est pas tant que nous nous assagissons, on est juste plus prudent qu’avant. En vieillissant, les écrivains se demandent si tout ce qu’ils ont écrit en valait vraiment la peine, si leur travail a eu un impact. Puis plus tard, ils se demandent si quelqu’un les écoute encore. Comment s’adresser aux jeunes lecteurs ? En tant qu’écrivaine, j’ai un penchant pour le mystère, et j’aime à penser que mes lecteurs aussi. Écrire, c’est aller au-delà de la capacité à rendre les choses intéressantes. Le fait que ce soit difficile rend la chose encore plus gratifiante. En tant que professeure de littérature et d’écriture, je me demande tout le temps si le travail que j’impose à mes étudiants est trop difficile, et je me demande souvent si je serais capable de parler aux étudiants d’aujourd’hui de mes écrivains préférés, William Faulkner, Flannery O’Connor ou Louise Erdrich, car l’étude du contexte et les explications qui vont avec seraient extrêmement chronophages.

Certains écrivains de ma connaissance ont peur que leurs livres soient trop compliqués, trop obscurs, trop en marge de la culture populaire pour plaire aux jeunes lecteurs. Se pourrait-il que nous ayons tout simplement vieilli, comme cette bouteille de lait périmée ou ces vieilles fraises qui traînent dans le frigo ? L’art a-t-il une date d’expiration ? Beaucoup d’écrivains se sont posé la question avant moi - notamment Tolstoï et Tchekhov -, mais je ne crois pas que je pourrais arrêter d’écrire. Ça fait trop longtemps que j’écris, je ne saurais pas quoi faire d’autre de mes journées. Qu’est-ce que je pourrais bien faire de tout ce temps ? Et puis je viens d’une famille dans laquelle les femmes vivent plus de cent ans, et je ne peux pas m’imaginer passer tout mon temps devant la télé.

En tant qu’écrivaine, j’ai entre autres appris que les lecteurs veulent de l’authentique. Il se peut qu’ils soient obligés d’appréhender des notions complexes, de se confronter à la difficulté, mais quel que soit leur âge, ils savent si ce qu’ils expérimentent est aussi concret que la réalité. Il peut sembler étrange qu’en tant que romancière qui s’inquiète de vieillir et de rester pertinente, j’ai choisi de retourner dans le passé pour mieux recréer et livrer ma vision de l’histoire de notre pays, et non d’intégrer la culture contemporaine à mes romans.

Mais j’ai fini par réaliser que les jeunes lecteurs cherchent à avoir un aperçu contextualisé de notre passé, cela les aide à donner un sens au présent. Au travers de mes romans, je cherche à faire comprendre à mes lecteurs que l’émerveillement et le mystère ne coulent pas de source. Je veux qu’ils comprennent ce qu’est cette marge dont parlait Garcia Marquez, cet espace dans lequel leur imaginaire peut faire d’eux des créateurs, et je veux les aider à voir les immenses paysages qui leur permettront de se réinventer.

Me replonger dans le passé m’a permis de redécouvrir ce sentiment d’émerveillement qui sommeillait en moi. J’ai commencé à m’intéresser à des domaines qui me faisaient peur depuis trop longtemps, et notamment à lire des ouvrages portant sur la biologie, l’astronomie, la physique, les mathématiques. En tant qu’artiste qui ne se fait plus toute jeune, je ressens plus que jamais le besoin de recueillir des informations, d’apprendre, d’assimiler, de m’ouvrir au monde, pour tenter de mieux comprendre le sens de la vie. Selon Edward O. Wilson, "Nous avons tous besoin de faire partie d’une tribu, nous mourrons tous d’envie d’avoir une raison d’être autre que nous. Au fond de nous, nous avons tous cette profonde envie d’être plus que l’ombre de nous-mêmes, et nous avons forcément une histoire à raconter à propos de l’endroit d’où l’on vient, et de ce qui nous a amené là où l’on se trouve." Je dois donc "réveiller ce qui sommeille", aussi bien en moi que chez les autres. Car comme le disait Sophocle au 5ème siècle après J.C., "Nombreuses sont les merveilles du monde."

Mais en vieillissant, nous nous retrouvons confrontés à la question de savoir comment "se libérer de ce que nous connaissons et de ce qui nous est familier." "Tout le mal humain vient d’une seule cause, l’incapacité de l’homme à rester assis dans une pièce." Les mots de Pascal résonnent comme un bon conseil pour tout écrivain qui se respecte. Et ils résument parfaitement bien les notions d’intrigue et d’action, tout en suggérant - cela va de soi - que si l’esprit humain reste renfermé sur lui-même trop longtemps, il se créera automatiquement de vastes espaces imaginaires. La conscience est comme un métier à filer des narrations à la première personne, des histoires que nous n’avons de cesse d’améliorer, et qui nous rendent meilleurs en retour ; les histoires dans lesquelles mon narrateur rencontre le vôtre. C’est à nous d’agrandir l’espace dans lequel nous nous retrouvons, tous ensemble. Dans son livre L’acte de création, Arthur Koestler explique que "Tout comme l’univers dans lequel il vit, (l’homme) est dans un état de création continue. Il est dans la nature humaine d’avoir envie d’explorer, et d’adopter le principe de parcimonie dans une tentative d’automatiser les tâches complexes...".

J’ai un autre exemple : un de mes plus vieux amis et compagnon d’écriture, qui vient tout juste d’avoir 60 ans et enseigne dans une université privée, m’a récemment parlé de son nouveau projet de vie. Il planifie de changer radicalement de cap en renonçant à toute augmentation de salaire, rémunération au mérite et reconnaissance. Il veut devenir un citoyen moyen - un Monsieur Tout-le-Monde - et adopter un style de vie sobre, un style de vie qui lui permette de s’asseoir, de parler, de lire et de penser ; bref, d’apprécier les petits plaisirs qui l’avaient amené à lire et à enseigner la littérature. Il est donc allé voir le directeur de son département, et il a demandé à ce qu’on "arrête de me surévaluer ou de m’encenser, et qu’on me traite comme un citoyen lambda. Accordez le mérite et l’argent aux jeunes enseignants, car ils en ont besoin. Moi je vais bien. Arrêtez de me porter aux nues. Arrêtez de me demander de siéger dans des comités, d’apporter mon expertise, de faire semblant. Je ne ferai rien de tout ça. Dorénavant, je serai Monsieur Tout-le-Monde, je ne mérite pas votre attention. Je ne vais pas me mettre à faire n’importe quoi, je vous le promets, mais je ne compte plus travailler autant qu’avant, ça c’est sûr. Ceci dit, vous pouvez compter sur moi, je serai là, j’enseignerai, ne vous en faites pas."

Mon ami s’était éteint à force d’être hors du commun. Il lui fallait reprendre sa vie en main, comme Thoreau, et se rendre vers cet espace inconnu, l’espace dans lequel il pourra de nouveau explorer et créer. Il est devenu mon modèle. On a tous des modèles, des gens à qui on voudrait ressembler en vieillissant, que ce soit des proches qui se plaignent d’avoir été abîmés par la vie, ou d’autres plus chanceux, comme mon amie Nancy, qui à l’âge de 75 ans, m’avait raconté une histoire d’après-midi coquin un jour où nous nous trouvions dans sa ferme dans les Monts Berkshire (Massachussetts), avec comme bruit de fond le vrombissement de l’avion qui survolait la ferme. Elle l’a conclue en enlevant son tee-shirt et en me disant, "Je lui ai agité mes seins sous le nez."

Pour paraphraser la pensée du poète américain Galway Kinnell, "Pour que le feu soit grand, il faut parfois se jeter dedans." Quel mystère recèle le cœur de chaque être humain ? Découvrir ce mystère, s’y confronter, tenter de le comprendre, tel est notre destin. C’est la question de l’expérience de la vie, de l’état d’émerveillement qui agit comme un moteur, de l’effort fourni pour se libérer l’esprit. Que l’on y parvienne ou non, c’est en agissant que l’on devient honorable et digne de mérite. À l’image d’Icare, que l’on se brûle en volant trop près du soleil ou non, on peut au moins dire qu’on a essayé de se libérer en traversant un paysage imaginaire.

Albert Einstein a dit, "Le mystérieux est la chose la plus noble dont nous puissions faire l’expérience. C’est l’émotion fondamentale qui se tient près du berceau de la véritable science. Celui qui ne le sait pas et qui ne peut s’émerveiller ni s’étonner, celui-là est comme s’il était mort." C’est pourquoi nous devons réveiller ce petit quelque chose qui sommeille en nous, et le guider pour qu’il nous aide à nous émerveiller de nouveau. Dans son essai Better and Sicker, la romancière Lorrie Moore explique que "L’art nous a été donné pour maintenir notre intérêt et faire de nous des êtres engagés, plutôt que de nous laisser distraire par des considérations matérialistes ou s’ennuyer à mourir—il nous permet de nous attacher à la vie. Sans lui, la vie serait insupportable... bon nombre d’œuvres d’art sont nées et vivent dans la marginalité, dans les méandres de notre conscience. Elles permettent de localiser et de délimiter notre conscience." Face au défi que pose le vieillissement, nous n’avons pas d’autre choix que de partir en quête, que de reconstruire, ré-imaginer l’endroit où l’on vit, le centre névralgique de notre imaginaire.

Une quête n’est pas une recherche. Nous n’essayons pas de confirmer des théories, des notions préconçues ou des plans. Nous essayons parfois d’éliminer des possibilités, mais la plupart du temps, nous sommes en quête de possibilités, d’opportunités à saisir. À l’instar de la création, de l’écriture et de la lecture, le simple fait d’imaginer requiert que nous passions un certain temps dans un état d’inconfort psychique. L’émerveillement est l’élément clé de notre quête, il rend ce qui nous est familier étrange, quand il ne nous donne pas tout simplement l’impression de ne plus rien connaître. L’émerveillement nettoie notre mémoire et restaure la vue, il nous permet de faire des rencontres authentiques et d’avoir le sentiment de voir pour la première fois, d’entendre de nouveaux mots, de mettre un nom, aussi étrange soit-il, sur les objets pour créer un écho, les faire voyager dans le temps pour mieux se les approprier—affirmer qu’il nous appartiennent pour mieux éveiller notre sensualité. Quel que soit son âge, deux choix s’offrent au lecteur : refermer le livre et refuser de se confronter à l’inconnu, ou entrer dans cet état d’émerveillement et partir en quête dans cet étrange nouveau pays. Avant, je me moquais des personnes âgées qui voyagent en camping-car ou tractent une caravane. Aujourd’hui, je les vois comme une tribu. Il y a quelques temps, une amie âgée de 86 ans a dit à sa fille : "Je ne t’invite jamais aux soirées que j’organise, même si mes invités ont parfois ton âge, car à tes côtés, je me sens vieille. Quand tu es là, je suis ta mère, et plus rien d’autre." Il est difficile de prévoir ce dont on aura besoin en vieillissant. Pour cela, il faut parvenir à se libérer afin de trouver ce qui nous importe vraiment, plutôt que faire ce qu’on nous dit de faire. Il nous faudrait suivre le conseil du poète Richard Wilbur : "Pénétrez dans cette partie inexplorée de votre conscience, vous y découvrirez quelque chose." Tout a un potentiel quand on est émerveillé, c’est pour cela qu’il est difficile de passer beaucoup de temps dans cet état. La vue est le dernier sens que nous développons, car on ne peut voir que ce que l’on connaît vraiment, et avant de connaître l’émerveillement, il nous faudra lâcher beaucoup de lest.

Lorsque nous nous retrouvons confronté à l’inconnu, nous avons tendance à combler nos lacunes en nous basant sur ce que nous connaissons, au lieu de nous asseoir et de prendre le temps de réfléchir, comme dans l’histoire qui suit : une jeune éditrice new yorkaise est partie en voyage dans le Nebraska il y a quelques temps. Quand on lui a demandé comment ça s’était passé à son retour, elle a répondu qu’elle ne pensait pas qu’il y avait autant de granges rondes dans le Midwest. Ses interlocuteurs ont fini par comprendre qu’elle parlait de silos à grains. J’ai l’impression que dès que nous nous retrouvons face à un paysage peu familier, nous voyons bien souvent des granges rondes. Il nous faut résister à la tentation, ne pas nous contenter de voir les choses ainsi.

Il nous faut comprendre que l’émerveillement est un excellent compagnon de voyage qui nous permet d’expérimenter la beauté des langues inconnues. Pour citer Marcel Proust, "Le véritable voyage de la découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à voir avec de nouveaux yeux." Je conclurai en vous donnant mon humble avis, qui se trouve être l’une des règles centrales de la recherche scientifique : "Faites vos erreurs le plus tôt possible." En d’autres termes, ne vivez pas dans le passé, mais allez de l’avant !

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