Pour la Cour suprême américaine, discrimination positive et ségrégation = même combat <!-- --> | Atlantico.fr
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Le 24 juin dernier, la Cour suprême des Etats-Unis a décidé de renvoyer l’affaire Fisher vs. Université du Texas devant la Cour d’appel du Texas.
Le 24 juin dernier, la Cour suprême des Etats-Unis a décidé de renvoyer l’affaire Fisher vs. Université du Texas devant la Cour d’appel du Texas.
©Reuters

Bonnes intentions et route de l'enfer

La Cour suprême des Etats-Unis a renvoyé devant la Cour d'appel la plainte d'une étudiante blanche estimant ne pas avoir été admise à l'université du Texas en raison de sa couleur de peau. La Cour d'appel avait précédemment donné raison à l'Université. Une victoire partielle et temporaire pour les opposants à la discrimination positive.

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Le 24 juin dernier, la Cour suprême des Etats-Unis a décidé de renvoyer l’affaire Fisher vs. Université du Texas devant la Cour d’appel du Texas, sans toucher à la jurisprudence sur l’affirmative action à l’Université qu’elle a élaborée à travers trois arrêts précédents, l’arrêt Bakke vs. Université de Californie en 1978 et les arrêts Gratz et Grutter vs. Bollinger en 2003. Dans l’affaire Fisher, il a été demandé à la Cour suprême de dire si la Cour d’appel texane avait appliqué correctement ses décisions précédentes, ce qui n’ouvrait pas sur une remise en cause éventuelle de ces décisions.

Mise en place à la fin des années 1960, l’affirmative action était censée permettre aux noirs de rattraper leur retard - interprété comme une séquelle de l’esclavage et de la ségrégation - par l’application de politiques préférentielles qui, dans les faits, ont souvent consisté en quotas ou en ajouts de points aux tests d’aptitude SAT. En 1978, l’arrêt Bakke a jugé que les quotas mis en place par la faculté de médecine de l’Université de Californie violaient les droits civiques.Mais il n’a pas remis en cause l’affirmative action. Il lui a trouvé une autre justification : la diversité du corps étudiants sur les campus, présentée comme un intérêt contraignant (compelling). La race ne devait être qu’un des éléments de cette diversité. C’était un "plus" parmi d’autres. Cette jurisprudence donna une grande marge de manœuvre aux universités pour poursuivre leurs politiques préférentielles, pourvu qu’elles soient suffisamment habillées. D’après Richard H. Sander, cet arrêt a eu pour conséquence d’élargir le nombre des groupes ethniques ou raciaux susceptibles de bénéficier des politiques préférentielles et a favorisé l’opacité des pratiques.

En 2003, les arrêts Gratz et Grutter devaient ajouter à cette opacité. Ils interviennent après que certains États, dont la Californie, par référendum en 1996 (après une décision du Conseil d’administration  de l’Université allant dans ce sens en 1995) et le Texas la même année par décision de justice, ont interdit ces politiques préférentielles. Ces arrêts ont permis le recours à la race afin de diversifier le corps étudiant, légitimant l’argument de la masse critique (les noirs ne peuvent s’épanouir et réussir s’ils sont trop peu nombreux sur un campus) sans pouvoir le chiffrer. Mais cela devait se faire dans le cadre d’une approche dite globale (holistic admission), à travers un examen individuel des candidatures, dans lequel on pouvait tenir compte de la race. Pour la juge O’Connor qui rédigea la décision, ces mesures étaient nécessaires mais provisoires et ne seraient plus nécessaires dans un quart de siècle (c’est-à-dire en 2028). Le juge David Souter écrivit dans son opinion que cela revenait à un jeu dans lequel ce sont ceux qui gagnent qui cachent la balle. L’arrêt Grutter a été l’occasion donnée aux universités qui avaient abandonné les politiques préférentielles directes d’y revenir subrepticement. Ainsi l’Université du Texas qui, pour contourner l’interdiction, avait mis en place le système dit "Eligibility in the Local Context", lequel revient à réserver des places à l’université pour les 10 % des meilleurs lycéens de l’État, a profité de cet arrêt pour réintroduire des politiques préférentielles dans les 25 % de places restant à pourvoir.C’est cette pratique qui l’a conduite au tribunal en 2008 à la suite de la plainte déposée par Abigail Fisher.

Que reproche la Cour suprême à la Cour d’appel texane ? De s’en être remise à la bonne foi de l’université. La justice aurait dû vérifier si, effectivement, les pratiques de cette dernière respectaient bien les limites posées par la Cour suprême, si les moyens employés étaient justifiés et si la diversité du corps étudiant ne pouvait pas être atteinte par d’autres moyens. Ce ne fut donc pas l’occasion d’une remise en débat de l’affirmative action, ce qui n’a pas empêché le juge Thomas, qui a concouru au jugement rendu, d’exprimer à nouveau tous les arguments en faveur d’une interdiction définitive des politiques préférentielles. Il déplore le recours aux mêmes types d’arguments que ceux soutenus par les ségrégationnistes en leur temps (les noirs sont plus à l’aise et moins exposés au racisme dans des écoles pour noirs),  qui devient dans l’arrêt de la Cour suprême de 2013 : "la réalisation d’un corps d’étudiants diversifié […] a un intérêt qui va au-delà de la race, incluant le dialogue dans la classe et l’atténuation de l’isolement racial et des stéréotypes". Dans les deux cas, on assigne des vertus à la discrimination. Pour le juge Thomas, si la Constitution ne peut empêcher les préjugés, elle ne doit pas non plus les tolérer en leur attribuant un effet par la loi. Il déclare qu’il ne voit pas de distinction de principe "entre l’affirmation de l’université selon laquelle la diversité produit des avantages éducatifs et celle des ségrégationnistes qui évoquaient les mêmes avantages." Il ajoute, en s’appuyant sur des études récentes, que ces politiques préférentielles, en plus de léser les blancs et les Asiatiques, nuisent à ceux à qui elles sont destinées en les plaçant dans des situations où ils sont surclassés par un effet en chaîne qui touche l’ensemble du système universitaire. Les établissements d’élite raflent les meilleurs qui auraient été mieux à leur place dans des établissements moins prestigieux, lesquels doivent abaisser leurs exigences et accroître encore leurs politiques préférentielles pour diversifier leurs étudiants. Ainsi de suite.

Nul doute que le juge Thomas reviendra à la charge à l’automne pour traiter de l’université du Michigan. Le référendum interdisant les politiques préférentielles en 2006 a été privé d’effet par la Cour d’appel de l’État pour violation de la clause d’égale protection de la Constitution (contrairement aux jugements de la Cour d’appel de Californie en 1997 et en 2010 dans la même situation). L’État a porté l’affaire devant la Cour suprême qui l’a acceptée. Cette fois, ce sont les pratiques préférentielles qui seront jugées sur le fond et pourraient être remises en cause.

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