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Pour comprendre Israël, les Européens ont vingt ans de retard
©AHMAD GHARABLI / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Haïfa, 
Le 22 avril 2018
Mon cher ami, 
J’achève ce jour une semaine très dense de visites à des dirigeants politiques, militaires et économiques israéliens de haut niveau. Cela faisait un peu plus de deux ans que je n’avais pas visité Israël et mon impression est renforcée à chaque fois que je ml’y rends: la plupart des responsables européens - les Russes constituent la plus évidente expression du contraire - ont des années voire des décennies de retard dans l copmpréhension du pays et de la société qui fêtait fièrement, cette semaine, le 70è anniversaire de sa création. 
Je vous écris du balcon de mon hôtel sur les pentes du Mont Carmel. La chaleur est encore supportable en cette fin avril et la vue sur la mer est légèrement brumeuse. Cela n’empêche pas de constater la croissance vertigineuse du port, en moins de dix ans. Haïfa la provinciale met les bouchéss doubles pour rattraper les autres métropoles du pays. Elle sait pouvoir compter sur la réputation mondiale du Technion, son université. Elle attire désormais, dans son parc industriel les plus grandes entreprises mondiales, à commencer par les GAFA. La ville rêve d’un Moyen-Orient pacifié où son port verrait passer le commerce entre la Méditerranée et la Mésopotamie; elle se veut un modèle de coexistence entre Juifs et Arabes. Effectivement, c’est peutêtre à Haïfa que l’on entrevoit le futur de la « start-up nation », comme elle se désigne elle-même. Mais il est difficile pour l’instant de faire abstraction de la situation géopolitique. 
Impossible entente avec les Palestiniens? 

S’il est une question que les visiteurs européens posent systématiquement, c’est celle du conflit israélo-palestinien. Et pourtant, il est frappant de voir les interlocuteurs israéliens, même les citoyens arabes, converger pour dire qu’ils n’entrevoient aucune solution de court terme. Il s’agit, selon tous mes interlocuteurs, d’administrer le statu quo. Les accords d’Oslo, qui occupent tant l’imaginaire européen, sont très loin déjà. Le texte relevait plutôt de la déclaration de principe. Les deux parties n’ont pas réussi à en faire une réalité. Quand on leur pose la question, tous mes interlocuteurs accepte de parler de leurs échecs: les propositions de règlement des années 2000 ont été rejetées. Les Israéliens se sont retirés de la bande de Gaza mais les premières élections libres ont vu l’arrivée au pouvoir d’un mouvement islamiste. A tout prendre, les Israéliens préfèrent la situation bâtarde qui caractérise la Cisjordanie: Ils coopèrent avec les forces de sécurité palestinienne. Il n’y a pas eu d’élection depuis 2006 et l’Autorité Palestinienne a intérêt au statu quo. Bien entendu, tout est supsendu à Mahmoud Abbas, à sa longévité. Mais mes interlocuteurs me disent « better the devil you know!’
Il y a quelque chose en effet dont mes amis isréliens semblent avoir encore plus peur, c’est la proposition de règlement que va produire Donald Trump. C’est l’occasion de citer Louis-Philippe: « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis! ». Les Israéliens préféreraient infimniment un statu quo. Ils ne voient pas avec qui ils peuvent négocier. Avec le Hamas, c’est exclu. Et ni Mahmoud Abbas ni ses successeurs ne pourront faire aucune concession aux Israéliens, sous peine d’être accusés de traitrise par « la rue arabe ». Ce qui dérange, en fait, tous les interlocuteurs, américains comme européens, c’est le fait que leurs interlocuteurs israéliens semblent préférer désormais un long statu quo à la recherche, qu’ils jugent vaine, d’un règlement territorial et politique avec les Palestiniens. 
L’obsession iranienne
Les dirigeants israéliens n’ont jamais entendu un dirigeant arabe allié, qu’il soit égyptien, jordanien ou même, aujourd’hui saoudien, demander en arabe, ni à leur société ni à l’ensemble de ce que Nasser appelait « la nation arabe », d’accepter les inéluctables concessions sur la Palestine. Nous sommes dans une situation absurde mais provisoirement stable où l’Egypte, quiu contribue au blocus de Gaza, et la Jordanie, qui est en partie un Etat des Palestiniens, encouragent Israël au statu quo tandis que l’Arabie Saoudite propose une alliance des Etats sunnites avec Israël pour contrer l’expansionnisme iranien. 
Telle est l’obsession de tous mes interlocuteurs: l’Iran. C’est la menace n°1 à leurs yeux. Ils subissent le fait que les médias occidentaux, durant le dernier mois, se sont focalisés sur les tensions à la frontière avec Gaza; tandis que leur préoccupation majeure est la frontière du Nord. Celle où le Hezbollah, allié de l’Iran, son instrument même, est devenu une véritable armée, équipée de roquettes et missiles qui peuvent atteindre tout le territoire d’Israël. Les Israéliens ont gardé un très mauvais souvenir de la guerre de 2006, où ils s’étaient mal préparés à affronter le Hezbollah et où ils considèrent, en privé, qu’ils ont été inférieurs. Ils ne veulent pas se retrouver dans une situation d’infériorité à nouveau. Et ils ont beau être très fiers de leur technologie, ils savent que le « Dôme de Fer » ne doit pas devenir leur Ligne Maginot. 
Au passage, mon cher ami, si vous voulez savoir ce qui s’est vraiment passé à Douma, apprenez qu’aucun de mes interlocuteurs ne m’a parlé de l’ « attaque chimique »; en revanche tous se sont réjouis que les Occidentaux aient signifié, par leur attaque, qu’ils voulaient rester présents en Syrie, surtout les Américains. Si la crainte d’un plan de règlement américain avec la Palestine est redouté avec le sourire, en revanche le gouvernement israélien jugerait tragique un retrait américain de Syrie. A la différence de beaucoup, ils prennent Trump au sérieux - comment ne pas apprécier l’homme qui réalise l’engagement américain, datant de quinze ans, de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem?  Et ils jugent possible que les USA se retirent de Syrie. Or cela les laisserait à la merci des Russes pour contrebalancer les Iraniens. 
D’un côté, les Israéliens sont loin de tous les discours effarouchés sur la présence russe en Syrie. Elle relève pour eux des faits et ils sont persuadés que Poutine, à la différence de Trump, est dans la logique d’installer son pays dans la région pour très longtemps. D’un autre côté, les Israéliens n’aiment pas le fait que les Russes placent tous les belligérants sur un pied d’égalité. Ils concèdent que les Russes sont bien ceux qui sont capables de parler avec toutes les parties (Occidentaux, Assad, Iraniens, Hezbollah, Turcs, Kurdes). Mais ils subissent le fait que les Russes aient accepté une présence iranienne en Syrie, au-delà du Hezbollah. Et ils ne cessent de répéter à leur interlocuteur russe qu’ils se réservent de riposter contre toute provocation iranienne;  et qu’ils ne préviendront le commandement russe qu’au dernier moment. Fanfaronnade? Pas quand on connaît les Israéliens, même s’ils reconnaissent qu’ils doivent ménager un pays qui pourrait bien établir un autre statu quo, au Nord, et que, pour leur démographie, l’afflux de Juifs de Russie ne peut pas se tarir. 
Realpolitik et conservatisme
Ce qui déstabilise le plus un interlocuteur européen, et même américain, c’est l’absence totale d’invocation des principes dans la présentation des politiques menées. Les Israéliens se savent entourés de contrainte avec lesquelles ils doivent vivre.Et ils ne parlent que Realpolitik. Au-delà des dirigeants sunnites, ils connaissent l’hostilité de l’opinion publique arabe à leur égard. La Turquie est devenue incontrôlable. La relation avec les Palestiniens a été stabilisée grâce à la construction d’un mur et la mise en place d’une sécurité de tous les instants, fondée sur le civisme, le service militaire, la réserve et une technologie de pointe. Les Israéliens subissent le fait que les Américains aient été, depuis des décennies, leur allié le plus constant - mais qui, comme ils le disent, « aggrave régulièrement les problèmes quand il veut les résoudre ». Ils se sentent au fond Européens mais ils doivent bien constater que peu nombreux sont les gouvernements européens qui les comprennent. La conviction que les Iraniens représentent une terrible menace ne les conduit pas pour autant à adopter une attitude géopolitique autre que défensive. 
La préoccupation israélienne, le dilemme, soixante-dix ans après la création de l’Etat, est en effet de ne pas compromettre l’extraordinaire essor du pays comme l’un des grands de la « troisième révolution induistrielle ». Aujourd’hui, Israël ne dépend plus de personne économiquement sinon des marchés qui achètent sa technologie de pointe. Le pays a le plus fort nombre de start-ups par habitant au monde; il investit à peu de choses près autant que la Corée du Sud (4,5% du PIB) dans la recherche civile. L’essor de Haïfa es spectaculaire mais il faudra que je vous parle, quand nous nous verrons, de la croissance de Tel Aviv, du décollage de Beersheva ou même de cette extraordinaire aventure qu’est Jerusalem Venture Partners, l’un des fonds d’investissements les plus efficaces au monde dans les nouvelles technologies. 
Je me suis trouvé sur place la semaine du Jour de l’Indépendance et du soixante-dixième anniversaire. Comment ne pas être ému par la liesse populaire, la fierté de cette petite nation capable de transformer le désert en terre fertile? Comment ne pas voir dans Israël comme le patriotisme est un puissant moteur pour le développement économique, pourtvu qu’il soit canalisé par une éducation de tous les instants? Commen ne verrais-je pas dans l’Etat d’Israël une référence pour les conservateurs du monde entier? Mes interlocuteurs me l’ont souvent dit: vous autres Européens vous finirez par nous suivre et défendre votre modèle contre la violence et les faux-semblants. Comment, en effet, ne pas voir dans le massacre dans une boite de nuit de Tel Aviv, en 2008, le précurseur de l’attentat du Bataclan? 
J’ai souvent repensé, durant ce voyage, au romantisme de ce Disraëli dont je ne possède aucun des talents, malgré l’homonymie, puisqu’il fut romancier et Premier Ministre.  Benjamin le Grand avait anticipé sur le sionisme et ses extraordinaire succès. Il serait déçu, aujourd’hui, de voir qu’aucune entente n’a été possible avec le monde arabe. Et il reprocherait clairement aux actuels Israéliens, d’avoir si peu misé sur les chrétiens arabes pour en faire des alliés. Benjamin l’Ancien était fier de ses ancêtres juifs mais il pensait profondément que judaïsme et christianisme sont les deux rameaux d’un même tronc. 
Je lui donnerai raison sur ce point: les grands absents de toutes mes conversations au plus haut niveau, ce sont les chrétiens. Aucune distinction, parmi les Arabes israéliens, entre musulmans et chrétiens quand les dirigeants israéliens en parlent; aucun regret que les guerres successives lancées par les Etats-Unis depuis 1990, aient largement contraint à l’exode les chrétiens d’Orient. Aucun regret formulé sur le fait que l’absence d’un tiers parti rend inéluctable le face à face tendu entre Juifs et musulmans. Evidemment, la situation est plus complexe: Jean-Paul II et Benoît XVI sont encore dans la mémoire de tous. Et les Israéliens se demandent quelle naïveté peut motiver le pape François à réclamer ainsi l’ouverture des frontières européennes. Mais, globalement, je me suis souvent demandé durant ces conversations si mes interlocuteurs, au fond, n’avaient pas besoin d’une tension permanente, qui maintient l’effort national à son plus haut degré d’intensité. Israël est le résultat impressionnant d’une tension féconde, d’un défi jeté à la face de la terre - et de Dieu! - par un peuple qui avait traversé deux millénaires d’isolement et de malheurs. 

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