Pour Benoît Hamon, noter c’est stigmatiser : misère, misèreuh, c'est toujours sur les pauvres gens que la gauche s’acharne obstinément <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Pour le ministre de l'Education Nationale, le concept de notation induit des classements stigmatisant.
Pour le ministre de l'Education Nationale, le concept de notation induit des classements stigmatisant.
©Reuters

L'élève Ducobu, mouru ?

Aux yeux de Benoît Hamon, le système de notation à la française est stigmatisant pour les élèves. Pourtant, notre système n'est qu'un outil au service du professeur. Le principe de notes, souvent malmené, n'est pas mauvais : il n'est simplement pas mené à bout. Pour poursuivre le raisonnement jusqu'à son terme, l'élève qui connait plus de difficultés devrait également être plus aidé, à la mesure de ses lacunes.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

Voir la bio »

Atlantico : Dans sa circulaire de rentrée publiée le 22 mai, Benoit Hamon a expliqué vouloir "éviter que l'évaluation ne soit vécue par l'élève et sa famille comme un moyen de classement, de sanction, ou bien réduite à la seule notation". Pour le ministre de l'Education Nationale, le concept de notation induit des classements stigmatisant. Existe-t-il d'autres systèmes d'évaluation plus efficaces que les notes ? Sont-ils pour autant moins stigmatisant ?

Pierre Duriot : "Vécue comme", là est bien le problème. La note est un étalonnage par rapport à une norme et des attendus de la part d'un élève en fonction de son âge. Elle évalue un travail et non une personne et c'est bien toute la confusion qui règne autour de la perception de ce chiffre généralement compris entre zéro et vingt, également entre zéro et dix ou entre A et D, ce qui ne change pas grand chose. En pratique, dans une classe, avec ou sans note, chacun sait exactement là où il se trouve et quand l'enseignant lui-même se refuse à "classer" en fonction des notes, cela lui est le plus souvent reproché, par les élèves eux-mêmes, mais aussi par leurs parents.
Mais dans notre société sacralisant l'enfant et donc l'élève, cette note "est vécue" régulièrement comme une notation non plus du travail mais de la personne. Elle est souvent marchandée par l'élève, lequel marchande aussi souvent avec ses parents les modalités de vie à la maison, quel que soit d'ailleurs le niveau de classe. Et l'on entend souvent dire chez les élèves, le prof "ne m'aime pas", "m'a dans le nez", plutôt que "j'ai mal travaillé". Symptôme d'une époque moderne où les affects régissent les relations humaines sous la forme bien connue "j'aime/j'aime pas". Ainsi, des composantes humaines et affectives aboutissent au fait que ce qui devrait être la simple évaluation d'un travail à un instant T sur une copie est ressenti comme une atteinte à la personne, un déclassement, un désamour, quand la note ne flatte pas l'ego. Quand l'élève est dans cette disposition devenue fréquente, aucune note, aucune forme d'évaluation n'est vraiment possible. Il faut bien à un moment donné, dire qu'une dictée est bourrée de fautes quand elle est bourrée de fautes, même si cela ne fait pas plaisir et la recherche d'un autre système de notation s'apparente plus souvent à une tentative d'évitement du déplaisir qu'à l'évaluation sereine d'un travail. Nous avons des cas très concrets dans l'histoire récente, tel ce papier rose du permis de conduire, jadis délivré par l'inspecteur dès la fin du parcours mais depuis quelques années envoyé par courrier. Les manifestations de déplaisir en cas d'échec se traduisaient de plus en plus fréquemment par des agressions des inspecteurs du permis. On a alors différé la manifestation du déplaisir pour la reporter non plus sur le fonctionnaire, mais sur l'entourage du recalé à la réception de la mauvaise nouvelle. L'école ne peut procéder de la même manière avec ses notes et un système de notation, quel qu'il soit, sera mal perçu tant que l'échec au devoir sera vécu comme un échec intime de la personne. La solution facile consiste à créer une forme d'illusion en surnotant ou en ne notant pas, ce qui se pratique d'ailleurs régulièrement de manière totalement démagogique.

Comment, sans système de notation, rendre compte des difficultés des élèves ?

Ce n'est donc pas le système qui est en cause, mais la manière dont les élèves le vivent et leurs parents avec, mais également de la manière dont les professeurs peuvent l'asséner. Le système d'évaluation doit ou devrait permettre de cibler les points forts et les points faibles, afin de permettre à l'élève et au professeur de prendre en charge les items échoués pour les faire remonter. Quand en cas d'échec grave dans le primaire, un psychologue scolaire est amené à pratiquer un test complet avec un élève, celui-ci renseigne sur les éventuels troubles ou déficiences mais également sur les compétences échouées ou réussies. Les résultats complets, compartiment par compartiment, vont permettre de réorienter la pédagogie, contenus et méthodes. C'est là le vrai sens de l'évaluation. Si l'on reprend l'exemple de la dictée, l'évaluation peut mettre en exergue une faiblesse sur le participe passé et induire un travail sur cette thématique particulière... sauf si l'élève refuse de s'entendre signifier son échec sur le participe passé, ou si le professeur n'entame pas le travail de remédiation nécessaire.

Le ministère présentait en avril un nouveau système de notation de la dictée consistant à valoriser les bonnes réponses plutôt que de sanctionner. Le système de notation pourrait-il être utilisé de manière différente ? Un telle démarche rendrait-elle service aux élèves ?

On peut retourner un système de notation dans tous les sens, une faute restera une faute et vouloir en atténuer la perception débouche fréquemment sur l'illusion. D'ailleurs, les élèves des petites classes ont développé une dialectique bien à eux : "Alors c'est presque juste ?", les entend-on quémander des trémolos dans la voix. Mais tout cela est très paradoxal chez les parents donc chez les électeurs. Quoiqu'ils en disent, ils tiennent aux notes et ils tiennent par exemple au baccalauréat sous sa forme actuelle, même s'il pourrait être avantageusement remplacé par le contrôle continu au lieu du barnum pédagogique et médiatique que l'on connaît. La note sur 20, le bac, sont des repères initiatiques, symboliques, qui parlent aux parents qui les ont eux-mêmes vécus dans un temps ancien qui était forcément le bon temps, puisque l'on sait maintenant que le cerveau magnifie les bons souvenirs, voire les fabrique et relègue les mauvais dans nos oubliettes neuronales. Le système de notation ne doit pas être changé mais suivi. Suivi d'un travail de remédiation, d'exercices de stimulation, d'une vraie pédagogie, non pas de la réussite, mais du traitement de l'erreur en vue de son dépassement. Cela est long, difficile, nécessite une vraie connaissance des rouages de l'apprentissage et de la pédagogie. Pour cela il faut se sortir des affects liés à la note, sortir du dogme de la sacro-sainte "pédagogie de la réussite" ou "mise en situation de réussite" qui crée de l'illusion et nivelle vers le bas. A-t-on déjà vu une personne sensée, même douée, tout réussir du premier coup et apprendre un métier ou un sport sans jamais le moindre échec ? La progression ne résulte jamais d'une série de réussites artificiellement organisée, mais toujours du traitement rationnel de l'erreur.

La majorité des nations du monde basent leurs principes éducatifs sur des systèmes de notations. Quels sont ceux qui marchent mieux que le système français, et comment s'en inspirer ?

On peut évidemment se pencher sur les classements européens dans lesquels la France fait désormais pâle figure. Le modèle nordique reprend les items expliqués à la réponse précédente. Vivre l'erreur comme un indicateur, rebondir sur les faiblesses mises en exergue par l'évaluation, travailler sur la "réparation" de l'erreur dont on tire des enseignements et des réorientations. Plus que le système de notation, c'est l'exploitation qui en est faite qui est en cause. Soit qu'il soit jeté en pâture au public, désignant de fait les bons et les mauvais élèves aux yeux de tous. Nous avions la traditionnelle "remise des prix", jusqu'au début des années soixante-dix. Soit que l'erreur ne soit pas traitée, pas suivie d'effet, laissée en seule digestion à l'élève et à ses parents, auquel cas l'erreur devient l'élève lui-même avec les dégâts que l'on sait. Le meilleur système est celui dans lequel parents, élèves et enseignants prennent conscience, sans affects, ensemble, des lacunes et travaillent ensemble à les combler, chacun dans leurs missions respectives auprès de l'enfant.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !