Portrait de l’envahisseur : voilà qui sont vraiment les soldats russes envoyés en Ukraine <!-- --> | Atlantico.fr
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Après plus de 100 jours de conflit, des éléments filtrent sur les profils des soldats russes engagés sur le front en Ukraine.
Après plus de 100 jours de conflit, des éléments filtrent sur les profils des soldats russes engagés sur le front en Ukraine.
©Alexander NEMENOV / AFP

Combattants

Les messages interceptés et les témoignages de civils à travers l'Ukraine permettent de dresser un portrait des troupes russes. Beaucoup de soldats en Russie ont rejoint les forces armées parce qu'ils n'avaient pas d'avenir professionnel.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Peut-on tirer un portrait des soldats russes en Ukraine ? D'où viennent-ils ? Géographiquement et socialement ?

Viatcheslav Avioutskii : On découvre ces soldats notamment par les yeux des Ukrainiens qui ont été en contact avec eux. Globalement, ce qu’on constate est que l’image qu’on avait des soldats est assez différente de ce que l’on a observé pendant la guerre. Les soldats russes sont plutôt jeunes (20-25 ans), ou en tout cas plus jeunes que les soldats ukrainiens (30-35 ans). Pour beaucoup, ils ont récemment signé leur contrat d’engagement et étaient jusqu’à présent engagés dans un service militaire classique d’un an. Les soldats russes venus en Ukraine forment plusieurs groupes. On retrouve d’abord des soldats russes bien formés, avec une expérience de combat, passés par la Syrie, membres de troupes d’élites. On trouve ensuite un groupe plus large, moins préparé. On observe, à travers un échantillon composé de prisonniers de guerre mais aussi de morts russes, que ces soldats-là viennent de ce qu’on appelle la Russie profonde. Ce sont des régions russes souvent sous-développées par rapport aux agglomérations de Moscou et de Saint-Pétersbourg et en même temps plus conservatrices, attachées à des valeurs traditionnelles. On les appelle parfois « régions dépressives » en raison du manque d’activité économique. Ces soldats sont là car ils voulaient un emploi stable, un salaire élevé et une possibilité d’ascension sociale. Ce sont probablement des jeunes gens sans études universitaires et relativement pauvres. Le troisième groupe de soldats est issu des Républiques, des territoires « non-russes » qui font partie de la Fédération de Russie. Trois en particulier sont très représentées : la Tchétchénie, le Daghestan et la Bouriatie. Ces républiques sont parfois encore plus pauvres que les oblasts de la Russie profonde, notamment le Daghestan où "40% à 80% de la population vivrait sous le seul de pauvreté" (Le Daghestan, république pauvre mais porte stratégique sur la Caspienne, Les Echos, Le Daghestan, république pauvre mais porte stratégique sur la Caspienne.)  Les Tchéchènes sont évidemment à part car ce sont des fidèles du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov. Souvent ces combattants arrivent après la première avancée et constituent l’arrière-garde, mais ils aiment bien se mettre en scène. Ils se filment eux-mêmes et vantent leurs exploits sur les médias sociaux. A cela, il faut ajouter un groupe de volontaires, des personnes ayant une expérience de combat – notamment dans le Donbass en 2014-2015 -. Et il ne faut évidemment pas oublier, car ils sont assez nombreux, les hommes issus des milices des Républiques de Donetsk et de Lougansk. Ce sont des groupes hétérogènes, avec d’une part des soldats aguerris ayant fait la guerre de 2014-2015 et étant jusqu’à présent postés à la ligne de démarcation, d’autre part des recrues très récentes ayant rejoint ces milices à la suite de la mobilisation générale de février. Enfin, on peut ajouter les membres de la compagnie de sécurité privée Wagner. Ils sont beaucoup plus professionnels et expérimentés. Ils ont été sûr de nombreux théâtres d’opération et ont une grande expérience de combat, mais ils ne sont pas très nombreux.

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Quelle formation ont ces soldats ? Et quelles compétences ?

Les Ukrainiens rapportent un professionnalisme très hétérogène. On remarque un bon niveau de formation des unités qui viennent de l’arrondissement central – Moscou et les oblasts environnants -. Mais on observe aussi une certaine désorganisation, un manque de professionnalisme chez d'autres notamment dans les combats assez chaotiques dans les régions de Kiev, Soumy, Tchernihiv et Kharkiv. Je ne suis pas sûr qu’on puisse faire de distinction géographique pour autant. D’autant qu’il y a actuellement plus de 5000 plaintes pour crimes de guerre (dont une condamnation pour l’instant, celle de Vadim Chichimarine). Il est difficile d’évaluer la qualité de la formation. On peut penser qu’ils ont reçu une formation un peu plus approfondie que les appelés classiques, mais, sur le terrain, leur niveau s’est retrouvé en contraste par rapport au professionnalisme des forces ukrainiennes. Certes, ces soldats russes savent manipuler les chars, l’artillerie, mais ils n’étaient pas prêts au niveau de résistance des Ukrainiens, qui sont des soldats plus aguerris ayant fait leur service militaire ou servi dans le Donbass depuis 2015.

Les Ukrainiens ont aussi le sentiment que le professionnalisme de l’armée russe s’est amélioré depuis environ un mois, ce qui est logique puisque les soldats s’adaptent et apprennent l’art de la guerre. Cela explique certains succès russes de ces derniers temps, notamment dans l’oblast de Lougansk. Pour autant, les sous-officiers et les sergents sont aujourd’hui une catégorie en sous-nombre. Ce manque est comblé par les officiers, ce qui pose un problème tactique.

Ont-ils des comportements notables ?

Ce qu’on a vu, ce sont des problèmes de comportement. On a constaté des pillages, d’appartements – occupés ou vides – ou de magasins. Certains soldats se comportent comme des maraudeurs. On a observé un trafic d'objets volés qui ont été expédiés, souvent via la Biélorussie, dans la région d’origine des soldats. Certains objets basiques comme des lave-linges ou des outils de construction ont été volés.

Sait-on quel regard ils portent sur la guerre ?

Une partie est engagée pour des considérations économiques. Selon les informations issues des prisonniers de guerre (et qui doivent donc être prises avec des pincettes), la plupart des soldats partagent la représentation très négative des Ukrainiens issue de la propagande russe. En revanche, on observe un contraste très fort du niveau de motivation entre l’armée ukrainienne et l’armée russe. Car même s’ils adhèrent à une vision négative des Ukrainiens, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas chez eux, qu’ils sont en territoire ennemi et que les Ukrainiens sont déterminés, prêts à mourir (Volodymyr Zelensky estime que l'Ukraine perd "60 à 100 soldats par jour").

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