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Et si le porno pour les femmes était une forme de sexisme caché ?
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Outre-Atlantique, le débat fait rage : le "porno pour femmes" est-il une avancée qui permet de mieux répondre aux fantasmes féminins ou s'agit-il au contraire de limiter leur expression sexuelle à un cadre plus soft que le "porno classique" ?

James Deen vous connaissez ? Pas James DEAN l'acteur américain connu, entre autres, pour son rôle dans À l'est d'Éden. Non. James DEEN, avec deux "e" : l'acteur porno le plus en vogue du moment aux États-Unis. De Seattle à Miami, les adolescentes raffolent des gifs animés qui alimentent jour après jour son Tumblr...

SelonThe Observer, l'acteur (de son vrai nom Bryan Rothstein) aurait a été approché par l'écrivain / scénariste Bret Easton Ellis (American psycho, Les Lois de l’attraction) pour jouer le personnage principal dans The Canyons, film dont il vient d’achever le scénario.

Un premier rôle dans un film plus "classique" mais toujours aussi porté sur le sexe. L'histoire ? La quête de cinq jeunes gens pour le pouvoir, l’amour, le sexe et le succès à Hollywood en 2012. James Deen y incarnerait Christian, un manipulateur qui aime filmer ses parties de jambes en l'air à trois.

Bret Easton Ellis n'est pas le premier à être fasciné par James Deen. Il faut dire que son personnage détonne dans le milieu du porno américain. Avec sa petite taille, son corps mince et peu musclé, ce juif californien a un physique de "boy next door". "Si Deen plaît tant aux filles et que les garçons s’identifient à lui, c’est sans doute qu’il ressemble un peu à monsieur tout le monde", souligne le site des Inrocks.

La journaliste Amanda Hess a récemment fait pour le magazine GOOD le portrait robot détaillé de ce que serait l'acteur porno parfait. Et, oh surprise, on retrouve dans ce portrait imaginaire la quasi-totalité des caractéristiques du chouchou James Deen. S'en est suivi un vif débat autour de la question du sexe et du sexisme dans l'industrie du porno, rapporte le site The Atlantic.

Dans une tribune intitulée "Le porno que les femmes aiment" publiée sur Slate XX Factor, le journaliste Bryan Lowder explique que "les femmes ne peuvent pas obtenir le type de porno qu'elles aiment du courant dominant". Pourquoi ? Tout simplement parce que l'industrie du porno est contrôlée dans l'immense majorité par des hommes. Ces derniers imaginent - à tort, selon lui - que les femmes souhaitent voir des mâles musclés et dominateurs.

Selon Bryan Lowder, les femmes y trouveraient davantage leur compte avec un acteur comme James Deen : un homme qui n'est pas une menace et qui ressemble physiquement davantage à un élève en droit BCBG, qu'à une grosse brute épaisse. Grâce à son regard enfantin et sa capacité apparente à être connecté émotionnellement avec ses partenaires féminines à l'écran, il a su fédérer des hordes de fans : des jeunes femmes qui étaient jusqu'à présent ignorées la plupart du temps par l'industrie du porno. 


Pour The Atlantic, il apparaît clair que ce sont bien des hommes qui font l'industrie du porno, et qui donc ne se préoccupent pas de ce que veulent / pensent les femmes. "Dans les films, la hardeuse a une sexualité d'homme (...) comme un homme s'il avait un corps féminin", résume Virgine Despentes dans son essaiKing Kong théorie.

Mais une autre question se pose : nos attentes face à un film porno sont-elles si différentes selon que l'on soit un homme ou une femme ?

Des études menées par Meredith Chivers, professeur de psychologie à l'université Queens (Ontario) et spécialisée dans les comportements sexuels, indiquent que les hommes et les femmes réagissent à la pornographie avec une excitation égale. Alors que les hommes ne seraient excités que par un porno répondant à leur orientation sexuelle, les femmes seraient, elles, beaucoup moins discriminantes : elles répondraient à peu près à tout.

Le site Cyberpresse rapporte une des expériences menées par Meredith Chivers. Imaginez la scène : des hommes, des femmes, des hétéros, des gays et des lesbiennes, tous scotchés devant une télé. Au programme : des films pornos. L'objectif : mesurer l'excitation objective et subjective des participants. 

Conclusion ? Les hommes ont été excités par les scènes "prévues". Les hétéros : par les images de relations hétéros et lesbiennes. Les gays : par les scènes de pénétration entre gays. Et excitation zéro devant une scène montrant des bonobos en train de "batifoler". Les femmes, en revanche, se sont montrées nettement moins prévisibles. Qu'elles soient hétéros ou lesbiennes, toutes les scènes de relations sexuelles les ont excitées physiquement : entre hétéros, gays, lesbiennes. Et même entre bonobos ! Toutefois, elles n'ont pas connu les mêmes niveaux d'excitation. Ainsi, les femmes hétéros se sont dites moins excitées par les scènes entre lesbiennes, et davantage pas les scènes de pénétration hétérosexuelles.

"Bien sûr, il y a quelque chose de gentil à penser que le 'porno rose bonbon' correspond à ce que les femmes aiment. Et Bryan Lowder n'est pas le seul à penser ça, concède The Atlantic. Les femmes ont été conditionnées à penser que le porno est misogyne, impersonnel, dégradant, répugnant, brutal et obscène." "Nous voulons être des femmes convenables. Si le fantasme apparaît comme trouble, impur ou méprisable, nous le refoulons, explique Virginie Despentes. Petites filles modèles, anges du foyer et bonnes mères, construites pour le bien-être d'autrui (...) Nous sommes formatées pour éviter le contact avec nos propres sauvageries."


Cette position anti-porno a émergé dans les années 1970, et a donné naissance à une seconde vague de féministes, avec à leur tête Gloria SteinemCatherineMacKinnon ou encore AndreaDworkin, toutes fermement persuadées que la pornographie est nocive pour les femmes, et qu'il s'agit d'une violation de leurs droit civils.

"Les femmes, on ne voit pas bien en quoi leur dignité serait spécialement attaquée par l'usage d'un gode-ceinture, estime Virginie Despentes. On les sait suffisamment aguerries pour comprendre qu'une mise en scène SM n'indique pas qu'elles souhaitent se faire fouetter en arrivant au bureau, ni bâillonnées quand elles font la vaisselle. En revanche, il suffit d'allumer sa télé pour voir des femmes dans des positions humiliantes (...) N'empêche qu'elle a bon dos, la 'dignité' de la femme, chaque fois qu'il s'agit de limiter l'expression sexuelle..." S
elon elle, les militants anti-porno "refusent qu'on parle directement de leur propre désir, qu'on leur impose de savoir des choses sur eux-mêmes qu'ils ont choisi de taire et d'ignorer".

Quarante ans après, ce que The Atlantic qualifie de "manque de logique" a toujours la vie dure. Notamment par le biais de personnes comme Gail Dines, une professeur de sociologie qui se définit elle-même comme une activiste anti-porno. Dans un éditorial publié l'an dernier dans le journal australien The Age, Gail Dines explique que la pornographie est "une opération de marchandage dans laquelle le corps des femmes et leur sexualité sont offerts à des consommateurs mâles (...) et sont dégradés au maximum pour illustrer la puissance de l'homme sur la femme.

Dans l'idéologie de Gail Dines, les gentilles filles ne regardent pas de porno - et si elles le font, elles n'admettent certainement pas qu'elles aiment ça.  

"Pourquoi donner du poids à l'idée selon laquelle les femmes sont pudiques et fragiles, et qu'elles ont besoin d'aménagements spécifiques à leur genre", s'interroge le journaliste de The Atlantic. Selon lui, ces "porno pour femmes", pourraient en réalité apparaître à certains comme une trahison de certaines valeurs féministes, car il n'y a rien de féministe dans le fait de vouloir limiter l'expression sexuelle des femmes.

Marie Slavicek

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