La Pologne, un an après le drame<!-- --> | Atlantico.fr
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Les frères Kaczynski, surprenant tandem politique, brisé par le destin.
Les frères Kaczynski, surprenant tandem politique, brisé par le destin.
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Mémoire

Le 10 avril 2010, l'avion du président polonais Lech Kaczynski s'écrasait dans la forêt de Katyn tuant le Président et une large partie des élites du pays. Depuis, les luttes de pouvoir se multiplient et l'interprétation donnée à l'accident est devenue l'enjeu majeur de la vie politique polonaise

Eryk  Mistewicz

Eryk Mistewicz

Eryk Mistewicz est polonais francophone, consultant politique et conseiller en communication institutionnelle et politique en Europe de l’Est.

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Le 10 avril 2010, la Pologne a perdu ses élites : les 96 femmes et hommes en charge du pays sont décédés dans un terrible accident d’avion. Le président et sa femme, son chef de cabinet, et aussi les deux autres candidats potentiels aux élections présidentielles de gauche et du centre. Fait remarquable : trois autres se sont retirés de la course après ce drame. Le 10 avril, sont également disparus les chefs des armées de Terre, de l’Air, de la Marine, le vice-maréchal de la Diète, le chef de la banque centrale, etc... Et un nombre considérable de politiciens de divers partis politiques.

La genèse d’un drame   

Il y a un an, j’affirmais dans une interview que je donnais à l’Express : « La politique est morte en Pologne ». Mais nous sommes dans l'Union européenne, nous sommes une démocratie, il n'y a pas de danger pour le fonctionnement institutionnel du pays. Comme après le premier Katyn, il va désormais falloir se relever, reconstruire cette élite.

L’accident est survenu alors que le président Lech Kaczynski se rendait à Katyn avec sa délégation pour célébrer l’anniversaire du massacre de Katyn, lors duquel, 22 000 officiers polonais, médecins et des membres des élites polonaises avaient été massacrés par l’armée russe en 1940. Ils ont étaient tués d’une balle dans la nuque dans cette même forêt où s’est écrasé le Tupolev de Lech Kaczynski. On imagine alors la symbolique qui relie ces deux drames à 70 ans d’intervalle. Il y a dans cette histoire, un pathos digne d’une tragédie grecque et il est impossible de réduire cette catastrophe à un simple accident d’avion.

Les deux énigmes de Katyn

Douze mois après, alors que la Pologne s’apprête à prendre la Présidence de l’Union européenne le 1er juillet 2011, et qu’elle va connaître les élections parlementaires en octobre 2011, le drame est toujours omniprésent : dans le discours politique, dans la mémoire de la population, aussi bien dans les médias et les conversations quotidiennes. Tous les Polonais ont perdu quelqu’un ce jour là. Même si ce proche n’était qu’un visage connu de la télé [1]. Comment imaginer qu’il en soit autrement ?

Ce sentiment est d’autant plus fort qu’il y a désormais deux énigmes de Katyn : alors que les Polonais ont attendus presque 70 ans pour recevoir de la part des Russes ce « pardon » pour le crime commis en 1940, ils ne disposent toujours pas de la liste complète des victimes. De même une quantité de questions restent en suspens à la suite du crash de l’avion présidentiel. Il faudra du temps pour effectuer des tests sur place avec un avion comparable et dans des conditions semblables. Il faudra également vérifier la boîte noire de l’avion, toujours en possession des autorités russes.

A ce jour, la coopération de la part des institutions de la Fédération de Russie pour les enquêteurs polonais est toujours insuffisante. Cela avantage sans doute les Russes. N’oublions pas qu’il s’agissait d’un avion « made in Russie » et que les autorités russes n’ont pas fermé leur aéroport sous-équipé. La commission russe des autorités aéroportuaires n’a pas pris sur elle la moindre responsabilité. Tout cela rend très compliqué la possibilité de mener correctement l’enquête.

Cette histoire pourrait paraître anecdotique si ce que l’on peut appeler « l’énigme du deuxième Katyn », n’était pas à l’origine d’une division au coeur du pays. Or les politiques se sont emparés des symboles pour aménager leur communication dans la perspective des élections qui auront lieu en automne.

Une Pologne coupée en deux

Imaginez un pays où tous les « 10 » de chaque mois, un groupe de citoyens se rassemble devant le Palais présidentiel à Varsovie en présence de Jaroslaw Kaczynski (frère jumeau, leader du parti Droit et Justice et candidat malheureux aux présidentielles de juillet 2010) pour porter le deuil. Ils sont persuadés que le gouvernement de Donald Tusk ne fait pas tout pour résoudre l'énigme. Ils dénoncent une collaboration entre le gouvernement du Premier ministre polonais et les autorités russes. Ils affichent la photo de Tusk et Poutine ensemble, symbole d’une Pologne encore une fois soumise devant les Russes.

A côté de ce groupe de « nostalgiques », une deuxième partie des gens veulent « vivre, travailler, gagner et même oublier ». La présidente de Varsovie, Hanna Gronkiewicz-Waltz (vice-présidente de la Plateforme Civique) a voulu supprimer l'atmosphère de deuil à Varsovie, allant même jusqu’à proposer un quartier « sans manifestations » autour de Palais Présidentiel. Certains jeunes, eux, vont jusqu’à réaliser des happenings en faisant une croix avec des canettes de bière. Les forces municipales, quant-à-elles, ramassent les bougies, même allumées.

Jaroslaw Kaczynski, le conservateur, est persuadé d’avoir perdu les dernières élections présidentielles qui l’ont opposé à la Plateforme Civique, mouvement plutôt libéral, parce qu’il n’a pas utilisé suffisamment les symboles. Aujourd’hui, il est persuadé que pour gagner contre Tusk, il doit mettre davantage de pathos dans sa communication.

Pendant ce temps, Donald Tusk créé chaque jour des contre-récits basés sur le succès économique de la Pologne : création d’entreprises, hausse du pouvoir d'achat, présidence de la Pologne à la tête de l’Union européenne, la préparation de son pays pour le bon déroulement de l’Euro 2012, la construction des réseaux autoroutiers presque inexistants jusqu’à aujourd’hui...

On assiste à un débat entre « romantiques » et « pragmatiques », entre les « nostalgiques » et les « progressistes ». L’énigme du 10 avril 2010 n’a toujours pas été résolue. A quelques mois également de la présidence de l’Union européenne par la Pologne, un front anti-Tusk semble se dessiner au travers d’une coopération entre Jaroslaw Kaczynski (Droite et Justice) et Grzegorz Napieralski (Alliance de la Gauche), rejetant la Plateforme Civique. Pour Donald Tusk, l’étape du 10 avril sera cruciale. Et cela ne pourra se faire sans un travail de communication qui intègre la gestion des émotions.

[1] Rappelons tout de même, qu’un million des Polonais se sont massés dans les rues entre l'aéroport de Varsovie et le Palais présidentiel le jour du rapatriement de Smolensk a Varsovie, en avril 2010.

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