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Politique d’immigration, passer du flou au choix de société
©Reuters

Confusion

Après l’intervention du président de la République sur les grandes orientations de son projet, et celle du Premier ministre exposant son discours de politique générale, on reste inquiet sur ce que l’on entend réellement faire à propos de la politique migratoire.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Comme toujours, Emmanuel Macron entretient le vague. Il affirme la nécessité de l’accueil, « c’est notre honneur » a-t-il dit, tout en considérant qu’il faut maitriser les flux migratoires. Evoquant une réforme du droit d’asile en France, il parle de mettre en place un « traitement humain et juste » des demandes des migrants, au nom de mieux accueillir, sur laquelle il ne dit finalement rien de précis. Dans ce prolongement, « La pression migratoire ne faiblira pas, a prévenu Édouard Philippe devant les députés, affirmant que « La France a été incapable de remplir ses obligations juridiques et morales. »

On s’interroge de savoir de quoi il parle ici, alors que nous avons pourtant largement accueilli dans le cadre de la répartition des rôles qu’à voulu ici l’UE, avec le multiplication par deux depuis 2010 des demandes d’asile en France, pour dépasser, comme on le pressent au rythme des demandes actuelles, un chiffre de 100.000 en 2017. Ces demandes ont donné lieu à 35% de réponses favorables. On a triplé dans la période le nombre d’admis au séjour !

Par-delà le flou, voir la réalité en face en faisant le bon diagnostique

Concernant la notion de réfugiés, pour les premières demandes, la Syrie n’est qu’en cinquième position, derrière des pays comme le Soudan ou l‘Afghanistan, l’Albanie, ce qui peut interroger. Mais plus encore, on sait depuis une enquête de l‘ONU de 2015, que c’est une majorité d’hommes qui migrent, jusqu’à 72% des migrants, et donc qu’une large partie d’entre eux viennent pour motif économique. Le refus des deux tiers des demandes d’asile confirme d’ailleurs, que la fuite d’une situation de danger n’est pas la cause principale des départs vers l’Europe. Pour le confirmer encore, on constate que le nombre de demandes d’asile pour des mineurs a diminué entre 2015 et 2016 de près de 7% (enfants en général accompagnés de leurs mères). Ayons à l’esprit que les déboutés du droit d’asile restent comme illégaux sur le territoire national, avec tous les désordres que cela peut supposer. Plus de la moitié des SDF (200.000 en France) sont des « sans-papiers », et le nombre d’étrangers parmi les écroués est près de deux fois supérieur à la part qu’ils représentent dans la population nationale (51% des écroués ont l’un de leurs parents ou les deux étrangers).

On a multiplié les centres d’accueil, comme celui de la porte de la Chapelle à Paris, qui fait parler de lui chaque jour, autour duquel s’agglutinent les migrants, bien au-delà de ses capacités d’accueil. Ils sont actuellement quelques 1200, rejoints chaque jour par d’autres. C’est la politique des groupes de pression et du fait accompli. On peut voir que ces centres n’ont fait que créer les conditions d’un appel d’air, dans un contexte de soutien inconditionnel d’associations qui leur sont favorables, au nom d’un humanitaire dédaignant toute interrogation sur les conséquences désastreuses de cet engrenage, au regard de l‘intérêt général. Ces migrants viennent de manifester pour demander au gouvernement plus de moyens, brandissant des pancartes où on peut lire « Réfugiés, mes droits sont bafoués ». Mais en venant ainsi à cet endroit pour s’installer dans des conditions très précaires, n’ont-ils pas créé eux-mêmes les conditions de leur propre situation ? Là, on touche à un tabou ! Il ne faut pas compter sur les élus parisiens pour  se poser ce genre de question, de droite comme de gauche, ils demandent au gouvernement la mise à l'abri de ces migrants impérativement "dans les prochains jours".

Calais, ce n’est pas mieux, où à nouveau des centaines de migrants se sont installés. Le tribunal administratif lillois a été saisi par des associations soutenant les migrants en juin dernier pour permettre la réouverture sur place d'un centre d'accueil d'urgence. Dans sa décision, il a refusé, mais tout en contraignant les autorités à «créer, dans des lieux facilement accessibles aux migrants, à l'extérieur du centre de Calais, plusieurs points d'eau leur permettant de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines», au nom d'éviter que les réfugiés ne soient «exposés à des risques de traitements inhumains et dégradants». Le tribunal a également rappelé l'obligation «de laisser les associations continuer à distribuer des repas», une injonction déjà adressée il y a plusieurs semaines aux autorités locales après une demande répétée des bénévoles qui dénonçaient un «harcèlement policier». Quoi de plus ubuesque que cette situation où au nom des Droits de l’homme on entend justifier de ne plus respecter les lois de notre République, et favoriser l‘installation à cet endroit de migrants illégaux en toute illégalité. Est-il ainsi trop difficile au tribunal d’appliquer simplement la loi, car cette décision revient ni plus ni moins à établir une étape dans le rétablissement d’un nouveau camp, puisque c’est le signe attendu par des milliers de migrants en attente pour venir à nouveau se concentrer dans cette zone devenue de non droit, puisqu’il n’y est pas appliqué. Les associations ont bien sûr salué la décision du tribunal, pendant que Gérard Colomb, le ministre de l’intérieur, expliquait avec un certain aplomb que celle-ci allait dans son sens, puisqu’elle prolongeait sa mise en garde contre le risque d'un «appel d'air» dans la région consécutif à l’ouverture d’un nouveau centre. Cherchez l’erreur ! Un nouveau «plan» sur le traitement des demandes d'asile doit être présenté sous quinze jours, selon Gérard Collomb.

Autant de situations qui n’ont rien d’étonnant dans ce contexte flottant où il ne semble qu’aucune politique à cet endroit ne se précise, par-delà ce climat de laisser faire. Les migrants d’ailleurs ne s’y trompent pas, soutenus par des associations à caractère humanitaires comme France terre d’asile, dont on connait la militance pour la fin des frontières. Ce n’est donc pas d’elles, que les bons sentiments aveugles, dont il faut attendre que la chose soit gouvernée par la raison. Nous assistons là à une fuite en avant aux conséquences inextricables. Prend-t-on bien la mesure de ce qui est entrain de s’opérer comme mise en danger des équilibres au sein de notre société, alors que nous connaissons une véritable exponentielle des migrations vers l’Europe, au fur et à mesure où on organise massivement l’accueil des migrants ? Jusqu’en 2013, les entrées en Europe se limitaient à quelques dizaines de milliers par an. En 2014, elles ont atteint plus de 200.000, pour arriver à près d’un million en 2015. 1,2 million de demandes d'asile ont été recensées dans les pays de l'UE en 2016. Si l’on considère que grâce à l’accord passé avec la Turquie pour contrôler les passages terrestres, ils ont été limités, ceux de la méditerranée ne cessent d’exploser. Derrière les  encouragements au départ d’une politique européenne inconsidérée, impulsée par l’Allemagne qui a ses propres raisons dans ce domaine, manque de main d’œuvre et démographie en berne, les départs se multiplient avec une mafia des passeurs qui n’a jamais été aussi puissante autant que dans l’impunité. On déplorera aussi que cela ait pour conséquence que les côtes méditerranéennes de l’Europe détiennent le triste record mondial de la frontière la plus mortelle, avec, entre 2000 et 2015, un risque de décès pendant le voyage de 15‰ en moyenne. On prendra bientôt toute la mesure de la réflexion sur ce sujet de Michel Rocard, lorsqu’il était Premier ministre, considérant que si la France devait jouer son rôle dans le prolongement de sa tradition d’accueil, elle ne pouvait accueillir toute la misère du monde. Nous y sommes !

Rien sur les enjeux de l’intégration, sur quels valeurs et principes accueillir 

Le Président comme le premier ministre, ne disent surtout rien du fond qui préoccupe le plus, celui de savoir comment nous allons accueillir, selon quels valeurs et principes. Si l’on considère que l’intégration républicaine des personnes migrantes reste une dimension centrale de l’accueil, alors on doit s’en donner les moyens. Une telle option, au-delà d’une mobilisation matérielle des pouvoirs publics, implique de développer une politique d’intégration bien pensée, avec pour corolaire la maitrise des flux migratoires. Car, si l’on accueille trop, sans mesure, nous savons bien que cela comprend le risque qu’à défaut de pouvoir s’intégrer, les migrants développent des regroupements communautaires, avec leur fonctionnement clanique, contraire à nos principes républicains et à leur intérêt.

Si l’Egalité est portée à l’Article premier de la Constitution, c’est bien pour affirmer que seuls les individus doivent être titulaires de droits, et ne puissent s’effacer derrière des groupes à la tête desquels des chefs négocient la vie des uns et des autres. En effet, reconnaître des droits à des groupes rompt l’égalité entre les citoyens selon qu’ils appartiennent ou non à tel groupe, comme le constitutionnaliste Guy Carcassonne pouvait nous en alerter, dans son ouvrage essentiel sur « La Constitution ». Sans compter encore que ces groupes puissent se prévaloir d’une religion ou/et de traditions, qui risquent de se placer alors comme premières dans l’ordre de leurs valeurs, et donc au-dessus de la loi civile, télescopant le sens de nos institutions, tout en portant en eux de graves risques de troubles. Ceci, à l’image des affrontements intercommunautaires entre migrants qui peuvent se produire pour faire échos à ces inquiétudes, comme cela s’est passé la semaine dernière à Calais, entre des centaines d’entre eux. Les difficultés d’intégration que pose déjà une partie d’une immigration parfois ancienne en France, tentée par le communautarisme, qui conteste la République, montrent combien on ne saurait accueillir sans penser l’avenir, et anticiper sur les conséquences si on veut maintenir l’unité et la cohésion de notre pays.

La politique d’immigration, reflet d’un choix de société

Pour mieux répondre à la situation, le gouvernement présentera la semaine prochaine des mesures selon trois exigences, a expliqué Edouard Philippe : dignité, efficacité, solidarité. Pour ajouter, que ce plan visera notamment à « réduire les délais moyens » d’instruction des demandes « de 14 à 6 mois » et à « obtenir l’éloignement effectif » des déboutés du droit d’asile, « qui sont en réalité des migrants économiques ». Édouard Philippe a aussi promis de « faire aboutir la réforme du régime européen de l’asile ». « Accueillir, oui bien sûr ; aider, oui évidemment ; subir non jamais », a-t-il conclu sur ce point.

Tout est dit comme pendant la campagne du candidat Macron, tout et son contraire. Le flou d’un programme de campagne dont l’exposé n’en finit pas, qui ne pourra durer face aux exigences d’un exercice du pouvoir qui nécessite à un moment donné de trancher. Comment et dans quel sens ? C’est toute la question qui l’air de rien, engage ici, rien de moins, qu’un choix de société.

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