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Polémique sur les chiffres : Piketty écrasé par un débat plus grand que lui
©Reuters

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Nouveau chapitre de la Pikettymania : cette semaine l'hebdomadaire anglo-saxon Bloomberg Businessweek qualifie Le capital au XXIe siècle de "lecture de plage", qui "entretient l'anxiété collective", "d'un avenir de plus en plus pauvre".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Thomas Piketty ne maîtrise plus son nom, Il est aujourd’hui une marque. Stéphane Hessel fut le symbole de l’indignation, Piketty est le mot magique pour se référer à la lutte contre les inégalités. Cette semaine, Bloomberg Businessweek consacrait sa couverture à l’économiste français, une couverture modelée sur la base des meilleures revues adolescentes des années 80, ou les étoiles mauves et les cœurs brisés se mêlent aux traces de rouge à lèvres maquillant le visage du théoricien du capital au XXI siècle. Une manière d’évoquer l’hystérisation du débat autour de Piketty.

Car la comparaison avec Stéphane Hessel ne s’arrête pas là. Dans l’ambiance actuelle, critiquer les travaux de Thomas Piketty reviendrait à refuser la notion d’inégalités et à en nier l’existence même. Un combat des gentils "fans" qui soutiennent l’auteur sans réserve, contre les méchants. Le magazine Causeur se posait une question en 2011, "Est-il permis de critiquer Stéphane Hessel" ? Tout en précisant sa pensée, avec "Indignez-vous, pour 3 euros t’es Jean Moulin". De la même manière, avec le "capital au XXI siècle", il est possible de mettre en avant sa conscience sociale. Aucune critique ne sera tolérée.

C’est la douce expérience que vient de vivre Chris Giles du Financial Times, qui a eu l’outrecuidance de contester la véracité des chiffres avancés par l’auteur du bestseller. En réponse, L’intéressé pointa une charge "idéologique" du quotidien financier. Pourtant, le FT s’était bien gardé de tout jugement et s’est bien contenté de critiquer les chiffres.

J’ai pu également pu faire cette expérience. Suite à un article, Ryant Avent de "the economist" avait pu s’indigner de ma référence aux travaux du FMI, car ceux-ci indiquaient que les inégalités mondiales se réduisaient depuis 2005. Le fait de pointer une bonne nouvelle me disqualifiait, cela ne pouvait être qu’un moyen de nier l’accroissement des inégalités au sein des pays développés. Cela n’a pourtant jamais été le propos, qui ne consistait qu’à s’alarmer devant certaines affirmations fallacieuses de Thomas Piketty qui lui permettaient de justifier ses propositions de fortes taxations.

Pourtant, au-delà des chiffres, et comme le rappelle Clive Crooks de Bloomberg : 

"J’avançais que l’erreur du livre était de défendre une théorie qu’il ne parvenait pas à soutenir. Piketty dit que le capitalisme contient une contradiction fondamentale : dans la nature du système, les inégalités de revenus et de richesses tendent à augmenter de façon inexorable, et la ploutocratie en est la conséquence logique. Il délivre une théorie de circonstance pour soutenir tout cela, mais cela est loin d’être une théorie, plutôt un mélange d’identités comptables et de suppositions. Les chiffres du livre lui-même ne prouvent rien non plus. Et cela tout en considérant alors que les chiffres étaient corrects…". Une vision que Clive Crooks soutenait déjà dans un article précédent, au titre sarcastique : "Le livre le plus important de tous les temps est entièrement faux". Car pour l’éditorialiste de Bloomberg, les arbres de l’actuelle bataille de chiffres ne font que masquer la forêt ; c’est bien la théorie avancée par Thomas Piketty qui est douteuse.

Une théorie qui affirme que les inégalités vont continuer à se creuser de manière inéluctable puisque le phénomène est inhérent au capitalisme. Les démocraties sont en danger  mais heureusement, pour l’auteur, il existe une solution : taxer plus. Pourtant, Thomas Piketty reconnait lui-même que la part de richesse détenue par les "élites" du capital européen est moins importante aujourd’hui qu’il y a deux siècles. L’idée d’une "loi fondamentale du capitalisme" parait dès lors bien fragile. Suite à la destruction des sociétés européennes au cours des deux guerres mondiales, et après le passage d’une période de croissance forte, "les 30 glorieuses", le partage n’aura jamais été aussi "équitable" que dans le courant des années 70.

Un renversement de tendance a bien eu lieu depuis lors. Mais les données fournies par Thomas Piketty sont à nouveau suspectes pour des économistes de L’institut d’études politiques de Paris. La prise en compte du capital immobilier dans les données a en effet permis à l’auteur de présenter une réalité biaisée, et de l’extrapoler pour obtenir un résultat concordant avec sa théorie. "Cette note démontre que cette tendance (de l’augmentation des inégalités) n’est pas confirmée par les chiffres. Ceci n’enlève rien à l’intérêt considérable de la collecte de données et de leur mise en perspective historique".  

La solution de "taxer plus", par la voie d’un impôt mondial progressif sur le capital, n’est pourtant qu’un outil permettant de redistribuer la richesse. Un outil dont les conséquences négatives sur la croissance ne sont pas écartées. La question de la cause de l’accroissement des inégalités dans une période où les taux de croissance des pays occidentaux n’ont fait que baisser reste posée. Et la corrélation entre les deux offre une sérieuse piste de recherche.

Mais de tout cela il n’est plus question. Chris Giles du Financial Times m’exprimait ses doutes sur les méthodes de l’auteur du Capital au XXI siècle, les chiffres avancés ne semblent pas toujours être des outils destinés à la recherche de la vérité. Thomas Piketty a pu répondre aux critiques du "FT" en concluant "Néanmoins, il s’agit d’un débat intéressant pour l’avenir, et nous devons tous reconnaître que nous en savons trop peu". En effet.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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