Optimistes à titre personnel mais pessimistes concernant l’avenir de leur pays : quel sens donner à ces appréciations contradictoires du moral des Français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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50% des Français restent optimistes concernant leur situation personnelle.
50% des Français restent optimistes concernant leur situation personnelle.
©Pixabay

Tous schizophrènes ?

Le baromètre du moral des Français réalisé par l'institut de sondage CSA et publié le 22 juin montre une baisse du moral des Français au mois de juin par rapport au mois de mai.

Yves-Marie  Cann et Yves-Alexandre Thalmann

Yves-Marie Cann et Yves-Alexandre Thalmann

Yves-Marie Cann est Directeur adjoint du Pôle Opinion Corporate de l'Institut CSA.

Yves-Alexandre Thalmann est l'auteur de l'adaptation du "Bonheur pour les nuls", First éditions. Il exerce comme formateur, professeur et psychologue clinicien. Il anime des ateliers centrés sur le développement de la communication interpersonnelle et la gestion des émotions.

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Atlantico : Après une certaine stabilisation au cours des trois derniers mois, le niveau d’optimisme pour l’avenir de la société française tombe à 26%, soit une baisse de 3 points par rapport au mois de mai, se retrouvant ainsi à son niveau le plus bas depuis le début des mesures réalisées par l’institut CSA en février 2011 (cliquez-ici). En revanche, 50% des Français restent optimistes concernant leur situation personnelle. Comment peut-on interpréter ce décalage ? 

Yves-Marie Cann : Au mois de juin, le moral des Français atteint son plus bas niveau depuis plus de deux ans. Toutefois, comme vous le souligniez, les Français manifestent pour leur avenir personnel un niveau d'optimisme nettement plus élevé que pour la France. Il s'agit ici d'une constante : le regard porté sur sa situation personnelle est toujours meilleur que celui porté sur la société.

Ceci s'explique en fait par une raison assez simple. L'optimisme exprimé pour soi s'appuie directement sur le vécu des interviewés au quotidien : leur situation professionnelle, leur vie familiale, leurs projets personnels, etc. Ainsi chez les actifs, si la progression du chômage marque les esprits et suscite des craintes, beaucoup de personnes occupant aujourd'hui un emploi s'estiment protégées en raison de la bonne santé de leur entreprise, de leur statut, de leur position hiérarchique, etc. Il est à cet égard rassurant qu'une majorité de Français se dit optimisme pour son avenir, même si ce niveau a beaucoup baissé ces derniers mois. La crise se prolongeant voire s'accentuant,  le ressenti de la situation économique à l'échelle individuelle s'est probablement renforcé depuis le début de l'année.

Le regard porté sur l'avenir du pays renvoie quant à lui à des éléments plus subjectifs. Il est fortement influencé par ce que donnent à voir les média de la société française (indicateurs économiques, faits divers, etc.) ou encore les gouvernants à travers leurs prises de parole. Ici, l'accumulation de mauvaises nouvelles et l'absence de signaux laissant entrevoir une prochaine sortie de crise entretiennent et renforcent un pessimisme collectif particulièrement fort.

Yves-Alexandre Thalmann : Il faudrait connaître les critères exacts de l'étude. Il se pourrait que la météo maussade du printemps y soit pour quelque chose. Ou un quelconque événement politique. Il se trouve que ces indicateurs varient beaucoup en fonction d'événements particuliers.Une étude a par exemple montré que la mesure de la satisfaction dans la vie augmentait de façon significative après avoir trouvé par terre une pièce de 2 euros !

Par ailleurs, au niveau personnel, la tendance générale de l'être humain est plutôt l'optimisme.On a même tendance à voir son futur plus rose que celui des autres. C'est aussi valable pour d'autres variables : si le taux de divorce est à 50%, on considère quand même que nos propres risques sont inférieurs. C'est donc un biais cognitif, c'est-à-dire une erreur de raisonnement qui peut expliquer ce décalage.

Que traduit-il de la psychologie des Français ?

Yves-Alexandre Thalmann : De façon générale, les Français n'arrivent pas très haut dans les classements internationaux de bonheur (vers la quinzième place). La culture française fait une large place à l'esprit râleur : manifester son mécontentement fait presque partie des devoirs civiques en France. Or la psychologie positive a trouvé que les personnes qui concentrent leur attention sur ce qui va bien dans leur vie sont plus heureuses (sans surprise). Les râleurs sont donc forcément moins heureux : ils perdent de vue toutes les choses formidables dont ils jouissent pourtant pour se concentrer sur les tracas inhérents à toute vie !

Quelle est la nature du message que souhaitent envoyer les Français à travers ce sondage ?

Yves-Marie Cann : Le baromètre du moral des Français réalisé par CSA pour BFMTV comporte des questions ouvertes permettant aux personnes interrogées d'expliquer spontanément leurs réponses.  En pratique, les causes du pessimisme des Français sont assez diverses avec toutefois une nette domination des inquiétudes liées à la situation économique et sociale. La forte progression du chômage, la baisse du pouvoir d'achat et l'absence de croissance économique suscitent une anxiété sociale importante. Aujourd'hui, nombreuses sont les personnes nous disant avoir davantage l'impression de "survivre" que de "vivre", ce que nous n'observions pas il y a encore quelques mois.

Cette baisse d'optimisme collectif touche l’ensemble des catégories sociales mais plus particulièrement les 35-64 ans et les professions intermédiaires. Comment l’expliquer ?

Yves-Marie Cann : Ce mois-ci, la baisse du moral affecte effectivement plus particulièrement les classes d'âge intermédiaires et les professions issues des classes moyennes. Au moins deux événements récents pourraient avoir contribué à cette évolution. Le premier est la prochaine réforme des retraites, avec la perspective d'un allongement de la durée de cotisation. Ce sujet gagne en importance depuis quelques semaines dans les réponses des personnes interrogées. Le second élément qui pourrait expliquer cette baisse de moral, c'est le prochain abaissement du quotient familial à l'issue duquel les familles des classes moyennes supérieures devraient devoir s'acquitter d'impôts plus élevés sur leurs revenus.

Yves-Alexandre Thalmann : 35-64 ans, c'est large ! Autant dire toutes les personnes adultes inscrites dans un projet de vie. La dimension professionnelle, plus dure actuellement, peut expliquer cela, de même que la fragilisation des couples et des familles. C'est un peu comme si l'avenir était perçu comme pas aussi rose que souhaité. Il y a beaucoup d'insécurité à l'heure actuelle, ce qui alimente le pessimisme.

Par ailleurs l’optimisme pour l’avenir de la société française varie également selon la proximité politique. Par exemple, les sympathisants du Front national (FN) sont encore plus pessimistes que les autres. Quelle interprétation faire de ce résultat ?

Yves-Marie Cann : Il s'agit ici aussi d'une constante dans notre baromètre CSA / BFMTV du moral des Français : de toutes les familles politiques, les sympathisants du Front national sont systématiquement les plus pessimistes. Difficile toutefois d'établir un lien de causalité directe et encore moins exclusif entre la sympathie pour le Front national et le niveau de pessimisme. Le vote en faveur du Front national se nourrit avant tout d'un contexte aujourd'hui particulièrement favorable à son développement : le climat des affaires qui touche aussi bien la droite que la gauche, les difficultés économiques et les drames sociaux qu'elles provoquent, la défiance à l'encontre des gouvernants dont les politiques mises en œuvre ne donneraient pas de résultats, etc.

Yves-Alexandre Thalmann : Des études (réalisées aux Etats-Unis) ont relevé que les électeurs de droite étaient généralement plus optimistes que ceux de gauche. La raison en est la suivante : à droite, on a tendance à considérer que la société est juste, en fonction des mérites de chacun. Celui qui réussit est celui qui a travaillé dur. Celui qui échoue n'as pas assez travaillé. A gauche, on considère la pauvreté comme un résultat des inégalités sociales, indépendant du mérite personnel, ce qui est plus pessimiste : même en travaillant dur, on peut échouer. De plus, on se rend davantage compte de la misère des laissés pour compte.

Pour revenir au FN, il apparaît que pessimisme et inquiétude vont de paire. Ce que savent pertinemment les partis : faire peur est un bon moyen de gagner des suffrages ! Ce n'est donc pas le pessimisme en soi qui pousse vers le FN, mais les réponses simples qu'il donne pour contenir l'angoisse et rassurer.

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