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Plus de morts dans les salles de bains que sur les routes : ces causes de mortalité évitables qu’on oublie souvent
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Triste réalité

Beaucoup de décès pourraient être évités, mais ils sont souvent négligés : chutes, suicides, accidents domestiques, expositions aux radiations, noyades, etc.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le ministre du Logement, Julien Denormandie a présenté un plan dans lequel il ambitionne notamment de débloquer 1 milliard d'euros pour rénover et transformer 200 000 salles de bain, notamment pour installer des douches à la place de baignoires. Le but : lutter contre les chutes (9600 morts), qui représenteraient un nombre de morts plus important que les accidents de la route (3645 morts en 2012). Si on entend souvent parler des accidents de la route, quelles sont les causes de mortalité oubliées - si on enlève les principales, accidents cardiovasculaires et cancers ? Qu'est-ce qui les explique et comment lutter contre?

Stéphane Gayet : On oppose habituellement les décès causés par l’évolution d’une maladie chronique (cancer du pancréas, insuffisance respiratoire chronique) ou parfois aiguë (méningite, encéphalite) et ceux qui sont provoqués par un accident (événement brutal). Certains accidents de santé mortels relèvent d’une cause endogène (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, embolie pulmonaire), mais on évite de les appeler des accidents, pour bien les distinguer des accidents de cause exogène (blessure mortelle, intoxication chimique, brûlure étendue, suffocation par inhalation accidentelle d’un corps étranger). Les accidents de cause exogène sont classés en cinq groupes. Le premier est constitué des « accidents dits de la vie courante » ou AcVC, qui comportent ceux survenant à domicile, sur les aires de sports ou bien de loisirs, ou encore à l’école. Le deuxième est constitué des accidents de la circulation ou de la voie publique. Le troisième des accidents dits du travail. Le quatrième de ceux qui sont causés par des éléments naturels (séismes, raz-de-marée, tempêtes, foudroiements, inondations, épidémies). C’est dans le cinquième que se trouvent les accidents qui relèvent d’une intention : les suicides et les agressions avec ou sans arme.

Les accidents de la vie courante (AcVC) sont donc des accidents non intentionnels et qui ne sont en lien, ni avec un mode de transport ni avec une activité professionnelle. Ils surviennent en grande partie dans le cadre du domicile qui est un lieu de vie où sont menées de nombreuses activités, mais le plus souvent sans culture sécurité. La culture sécurité s’est beaucoup développée et pour cause, dans les domaines de l’armée, de l’énergie, des transports, du bâtiment, de la finance et du sport de compétition, en somme dans toutes ou presque les activités professionnelles ; mais elle est encore presque absente dans le cadre du domicile ; les Français sont tout de même plus latins que germaniques et la prévention n’est pas leur point fort.

Les accidents de la vie courante ont eux-mêmes des causes multiples. Parmi celles-ci : les chutes, les noyades, les blessures liées à un appareil ou un outil, les intoxications, les brûlures et électrocutions, les suffocations et les défenestrations (non intentionnelles) sont les plus fréquentes. Les AcVC graves concernent principalement les jeunes enfants et les personnes âgées. Ils sont bien sûr favorisés par une vulnérabilité particulière aux âges extrêmes de la vie ainsi que, chez l’enfant, par un manque d’expérience et, chez la personne âgée, par des limitations locomotrices et sensorielles. On considère que 90 % des parents d’un jeune enfant ont déjà au moins une fois laissé leur enfant exposé à un grave danger, par méconnaissance ou par négligence. Il est bien sûr difficile pour des parents de trouver le juste milieu entre l’autoapprentissage de l’enfant par les expériences et une tendance naturelle à la surprotection. Mais beaucoup de documents clairs et assez concis sont élaborés et proposés par les ministères concernés ainsi que par les agences nationales de santé. L’Institut national pour l’éducation et la prévention dans le domaine de la santé (INPES) - qui fait maintenant partie intégrante de « Santé publique France » - a toute une gamme de documents à visée préventive, vraiment utiles : http://inpes.santepubliquefrance.fr

Chez le petit enfant, les chutes, les blessures avec des outils ou appareils, les brûlures, les intoxications, les noyades et les suffocations font partie des causes les plus fréquentes d’accident possiblement mortel. Les difficultés de prévention sont liées au fait qu’il ne faut quelques secondes pour que l’accident survienne ; c’est dire toute l’importance d’une réflexion en amont et d’une anticipation au moment des projets et des achats. C’est également toute l’importance du choix avisé de la personne à laquelle on confie son enfant pendant notre absence.

Chez la personne âgée, les chutes occupent une grande place dans les causes d’accidents domestiques. Leur prévention est complexe, car beaucoup de facteurs s’associent pour les favoriser : faiblesse musculaire (sarcopénie), raideurs articulaires (arthrose), troubles de l’équilibre, ralentissement des réactions, baisse de l’acuité visuelle (cataracte, presbytie) et auditive, affaiblissement cognitif (mémoire, compréhension) qui est source de difficultés d’appréciation des obstacles, etc. D’une part, la personne âgée est diminuée et ainsi fort exposée à la chute, d’autre part, et on le comprend, elle tient à garder son autonomie et à agir comme bon lui semble. Parmi les lieux de chute à la maison, il y a d’abord la salle de bains, la cuisine, les toilettes et les escaliers. La salle de bains est une pièce qui est particulièrement dangereuse ; c’est surtout la baignoire dont il faut enjamber le bord ; mais, même si l’on remplace les baignoires par des cabines de douche, les dangers ne sont pas éliminés : avant, pendant et après la douche, le corps est nu et sans aucune protection contre les blessures ni le froid, les pieds sont nus et il y a de l’eau savonneuse par terre, les objets blessants ne manquent pas ; de plus, la toilette du corps est pratiquée en général tôt le matin ou le soir, à des heures où le corps est plus vulnérable, car soit endormi, soit fatigué. En outre, pour une raison de pudeur bien compréhensible, la personne âgée, malgré ce qu’on lui recommande, tient à faire sa toilette seule, c’est naturel.

Certes, le plan de remplacement des baignoires par des cabines de douche est un bon projet (de surcroît, la douche est à la fois plus saine et plus écologique) ; mais cela ne suffit pas : c’est toute l’ergonomie de la salle de bains qui doit être revue. Les radiateurs sont redoutables : quand le crâne heurte l’un deux dans sa chute, il est souvent fortement blessé. Il convient encore d’équiper les salles de bains des personnes âgées de dispositifs d’alarme opérationnels ; les médaillons ne suffisent pas. On retrouve des dangers comparables dans la cuisine, mais ils sont plus faciles à gérer. À ce sujet, il y a une tendance actuelle presque obsessionnelle à vouloir supprimer tous les tapis au domicile des personnes âgées ; c’est parfois simpliste : il vaut mieux dans certains cas un tapis mince et à bords plats qu’un sol nu qui peut être glissant : ce qu’il importe surtout de supprimer, ce sont les tapis épais à bords qui se relèvent. Et puis l’ergonomie des chaussures d’intérieur est essentielle : les chaussures dont l’avant se relève légèrement évitent que le pied ne bute sur des aspérités du sol.

Par ailleurs, il est souvent possible d’apprendre aux personnes âgées à chuter de façon à réduire le risque de blessure ; car la phobie de la chute et l’absence d’éducation à l’amortissement de la chute (sans parler des accessoires de protection) sont de nature à accroître son danger. Il n’en reste pas moins vrai que de nombreuses chutes ne produisent aucun traumatisme grave, mais il suffit d’une fracture de l’extrémité supérieure du fémur pour faire basculer la vie d’un sénior.

- Suicides : 12 900 morts par an

Les causes des suicides sont elles aussi variées. On dit qu’il règne un climat de morosité en France. On peut distinguer de façon schématique les suicides des adolescents, ceux des adultes jeunes ou d’âge mûr et ceux des personnes âgées. Ceux qui frappent les adolescents sont les plus difficiles à voir venir et à prévenir. Leur fragilité émotionnelle, leur désir d’idéal et les fréquentes tensions avec leurs parents constituent un terreau favorable à la germination d’actes violents qui sont des cris de détresse ou de réelles pulsions de mort pour échapper à une réalité insupportable. L’aide d’un psychologue est précieuse, mais est-il possible de la proposer à tous les adolescents en proie à des difficultés existentielles ? Les parents et les enseignants peuvent souvent détecter une personnalité fragile et en souffrance chez les jeunes, ce qui peut permettre de commencer telle ou telle démarche, qui peut avoir différentes formes en dehors de la psychothérapie. Il faut être vigilant vis-à-vis du cannabis dont la consommation augmente dangereusement chez les adolescents. Bien sûr, il y a aussi parmi les causes de suicide les violentes peines de cœur, qui ne sont pas l’apanage des adolescents, mais sont fréquentes à cet âge. Il faut encore mentionner le harcèlement notamment scolaire qui deviendrait de plus en plus fréquent.

Dans le cas du suicide de l’adulte d’âge mûr, le burn-out est souvent en cause. C’est un état d’épuisement professionnel qui est l’aboutissement d’un parcours plus ou moins long fait d’investissement intense, de relative discrétion, de goût affirmé pour le travail bien fait et de non-reconnaissance. La perte d’emploi est évidemment une autre cause de suicide. Le passage à l’acte chez l’adulte est en général plus facile à voir venir et à anticiper que chez l’adolescent. Les antidépresseurs ne sont pas une solution, tout au plus une aide temporaire pour franchir une période particulièrement critique.

Les suicides des séniors augmentent en fréquence eux aussi. Ils sont particulièrement douloureux pour les générations qui les suivent, car ils traduisent souvent un état de relatif abandon que chacun ressent comme injuste et qui pourtant est une réalité plus ou moins contrainte par notre mode de vie moderne.

- Les accidents de la maison (suffocation, intoxication, brûlures, noyades : plus de 5000 morts par an)

C’est pour la prévention de ces accidents que Santé publique France – Institut national pour la prévention et l’éducation dans le domaine de la santé (INPES) occupe un rôle essentiel. Car ces accidents possiblement mortels sont trop souvent le fait d’ignorance et de négligences. Des idées reçues et un manque d’intérêt pour la prévention font partie des facteurs qui expliquent la fréquence de ces accidents. Dans les familles à grande fratrie, les plus grands se sentent souvent responsables des plus petits et les surveillent, ce qui est donc un facteur protecteur. Mais les dangers qui guettent les enfants en bas âge sont fort nombreux dans un domicile ; d’où l’intérêt des documents de l’INPES qui donnent des conseils clairs et assez faciles à mettre en application. Mais la prévention est exigeante : dans le cas des piscines, il suffit d’un oubli de fermer la barrière de sécurité et l’enfant explorateur aura vite fait d’en profiter. Concernant les brûlures des enfants à l’occasion de la préparation du repas, les facteurs d’accident sont nombreux : interruption de tâche chez l’adulte qui prépare, ambiance festive souvent alcoolisée et en fin de compte ce manque critique de culture sécurité. Il est vraiment frappant de constater que lorsque survient un drame de ce type, relayé par les médias, beaucoup de personnes s’en émeuvent, mais très peu en profitent pour revoir sérieusement leur prévention au quotidien.

- Les expositions aux radiations (3000 naturels, plus autres causes)

Les radiations dangereuses sont nombreuses et peu perceptibles. Certaines agissent à court terme comme les radiations solaires et la radioactivité liée à l’énergie nucléaire. Surtout dans les pays chauds (Inde particulièrement), les rayons du soleil tuent par coup de chaleur (insolation) qui résulte d’une exposition intense aux heures chaudes de la journée. On a bien sûr à l’esprit les accidents liés à l’énergie nucléaire (accidents de réacteurs nucléaires). Mais certaines radiations agissent à moyen et long terme comme celles qui sont émises dans certaines régions et nuisent lentement à la santé.

- Noyades : 401 morts?

Les noyades ne concernent pas que les enfants. Elles sont encore trop nombreuses et il paraît évident qu’elles sont le plus souvent dues à une négligence. Là encore, les maîtres-nageurs, les municipalités possédant des plages, les directions des piscines font preuve de responsabilité pour avertir des dangers de la baignade. La plupart des règles préventives sont qui plus est assez intuitives : ne pas se baigner immédiatement après avoir mangé copieusement, éviter les brusques écarts de température, doser progressivement les efforts de natation, tenir compte des alertes concernant les marées et les menaces météorologiques. Mais la noyade ne concerne pas que les personnes en train de nager délibérément : elle frappe aussi les pêcheurs, les pagayeurs, les véliplanchistes, les surfeurs et autres plaisanciers. Les activités aquatiques sont assez peu dangereuses en comparaison à d’autres sports tels que l’alpinisme ou le parapente, mais elles tuent chaque année.

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