Plus de compréhension de la base, moins de technocratie : qui dans le nouveau gouvernement et dans la majorité répond le mieux à la sentence de François Bayrou ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Sur un plan plus politique, les premiers actes de Gabriel Attal semblent s’orienter vers une satisfaction donnée à tous les lobbys puissants défendant un intérêt particulier", estime Christophe Bouillaud.
"Sur un plan plus politique, les premiers actes de Gabriel Attal semblent s’orienter vers une satisfaction donnée à tous les lobbys puissants défendant un intérêt particulier", estime Christophe Bouillaud.
©THOMAS SAMSON / AFP

Déconnexion

François Bayrou a dénoncé hier sur franceinfo « la rupture constante, continuelle et progressive entre la base et les pouvoirs ».

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : François Bayrou a provoqué une petite crise au sein de la majorité en annonçant qu’il n’entrerait pas au gouvernement Attal. Jean-Louis Bourlanges, l’un des représentants influents du MoDem, a publié un communiqué dans lequel il estime que la stratégie de François Bayrou affaiblit « dangereusement notre camp tout en nous discréditant nous-mêmes. C’est politiquement inepte et moralement dégradant ». Qu’est-ce que cette crise révèle sur la majorité présidentielle et sur l’exercice du pouvoir au sein de la macronie ?

Christophe Bouillaud : Qu’il existe au sein de ce camp une double impasse. D’une part, vu le caractère d’Emmanuel Macron, il est totalement impossible d’avoir une discussion une peu rationnelle sur la voie à suivre. Visiblement, François Bayrou a bien compris que les réformes portées par Gabriel Attal lorsqu’il était Ministre de l’Education nationale et qui émanent directement de la vision de Macron lui-même de l’avenir de ce secteur vont aboutir à un désastre, à court terme avec un conflit avec le monde enseignant et à moyen terme avec un écroulement complet de ce secteur des politiques publiques.  Il a sans doute demandé à avoir la main sur ce secteur et de tout reprendre à zéro. Cela lui a été refusé. Il a du coup un peu vidé son sac devant les médias. 

D’autre part, il semble bien que F. Bayrou n’a pas averti les représentants de son propre parti, le Modem, de la manœuvre qu’il tentait pour se réinsérer dans le jeu gouvernemental. Il aurait dû entrer dans une telle négociation en ayant l’appui de tout son parti.

Dans les deux cas, on se trouve face à des dirigeants qui n’écoutent personne d’autre qu’eux-mêmes. Il est certain que l’on souffre dans le camp présidentiel d’une magnifique absence de coordination et d’écoute. Cela manque crûment d’intelligence collective. 

François Bayrou a justifié son refus d’entrer au gouvernement, faute d’« accord profond sur la politique à suivre » et en accusant le pouvoir macroniste d’être déconnecté du pays. Qui est le plus déconnecté entre Gabriel Attal et François Bayrou par rapport à la société française et aux attentes des citoyens ? Le leader du MoDem n’est-il pas encore plus déconnecté au regard de sa stratégie ? Quelle est la composante de la majorité la plus en prise avec les attentes et la réalité de ce que vivent les Français au quotidien (entre Horizons, le MoDem, Renaissance ou l’aile gauche de la macronie) ?

Probablement, aux yeux de l’électeur qui s’intéresse peu aux jeux politiques, tout cela doit apparaitre parfaitement dérisoire. Bayrou peut facilement être caricaturé comme un arriviste essayant seulement de récupérer un poste de ministre. Par contre, du point de vue sectoriel, F. Bayrou n’avait pas tort d’indiquer qu’au-delà de la personne de la ministre de l’Education nationale, il y avait un vrai et énorme problème de stratégie pour l’éducation. On se trouve tout de même dans une situation où tous les spécialistes de sciences de l’éducation disent que les réformes Macron-Attal font totalement fausse route et où même les syndicats représentants la hiérarchie de terrain (directeurs d’établissements et inspecteurs) n’en peuvent mais. Cette déconnexion entre le savoir des spécialistes, les attentes des acteurs de terrain et des corps intermédiaires et les décisions prises par le pouvoir vaut en fait dans tous les secteurs de l’action publique. Il n’y en a pas un qui manque à l’appel. Les électeurs ordinaires finissent par pâtir, pour ce qui les concerne, de cette gouvernance par l’idiotie satisfaite d’elle-même qui domine actuellement, et cela d’autant plus que les intérêts objectivement servis par ces idioties sont minoritaires dans la société. Ainsi, à force de désorganiser l’école publique, on favorise certes le secteur privé en la matière, que ce soit les écoles privées ou tous les acteurs (cours particuliers, coachs, etc.) qui vivent du désordre ainsi créé, mais on ne peut qu’à terme renforcer le mécontentement de la population générale, qui paye deux fois l’éducation de ses enfants.

Sur un plan plus politique, les premiers actes de Gabriel Attal semblent s’orienter vers une satisfaction donnée à tous les lobbys puissants défendant un intérêt particulier. Le conflit avec le monde agricole est une illustration parfaite de cette situation : sous prétexte de répondre aux attentes du monde agricole en général, on se retrouve avec un sacrifice annoncé de tous les objectifs en matière de réduction de l’usage des pesticides ou de protection de la biodiversité. C’est sans doute parfait pour une partie des agriculteurs, ceux que représentent la FNSEA, mais cela revient à se créer des problèmes que tout le monde devra payer à terme : mauvaise qualité de l’eau potable, maladies liées aux pesticides, coût pour l’économie d’une nature qui sera totalement détruite et dont il faudra se passer à grand peine, etc. G. Attal semble donc parfaitement connecté aux divers lobbys dominants.

F. Bayrou a au moins le mérite de rappeler que ces lobbys dominants ne sont pas la France en général, que le citoyen ordinaire finit par souffrir de cette situation. Par contre, sa déconnexion tient au fait qu’il ne semble se rendre compte de la situation qu’en 2023. Elle est pourtant évidente depuis des années. Il n’a pas su non plus faire de son parti un moyen de limiter cette déconnexion. Il n’a pas utilisé son statut de Haut-commissaire au Plan pour vraiment contrer cette déconnexion en  critiquant vertement les choix d’Emmanuel Macron depuis des années. Il se réveille trop tard en quelque sorte.

De fait, ce qui est frappant, c’est qu’aucun des différents partis ou secteurs de la majorité présidentielle n’a de vrais liens avec la population ordinaire, ne dispose d’une base militante, lui permettant de comprendre les attentes d’une partie au moins de la population. Renaissance (ex-LREM) est un parti d’élus nationaux qui ont été pour la plupart faits par Macron lui-même en 2017 et en 2022, Horizons, Agir et le Modem disposent certes d’un réseau d’élus locaux plus indépendants de la geste macroniste de 2017, mais ce sont trois partis d’élus nationaux et locaux sans rien derrière la façade de ces derniers. Ces clubs d’élus ont sans doute un savoir pratique sur les affaires locales les concernant, mais ils n’ont pas l’air plus au fait des attentes de la population générale que le principal parti de la majorité présidentielle.

Que faut-il penser des nominations et du remaniement dévoilés jeudi soir ? Ces nominations ne témoignent-elles pas d’une certaine déconnexion de l’exécutif ? Nicole Belloubet a notamment été nommée ministre de l'Education nationale à la place d'Amélie Oudéa-Castéra…

Cela témoigne surtout d’un vivier réduit de personnalités. Le retour à un poste de Ministre de Nicole Belloubet pour remplacer la très disruptive ministre des Sports, elle-même maintenue à ce seul poste malgré le désaveu  que son remplacement représente, me parait témoigner de cette absence d’alternatives. Surtout, dans cette seconde vague de ministres,  aucun nom n’apparait comme apportant quelque popularité que ce soit supplémentaire au gouvernement Attal. Ce sont tous, sauf ceux qui étaient déjà là, des parfaits inconnus du grand public. Il est bien loin le temps où Nicolas Hulot était Ministre. La déconnexion tient déjà au fait que les ministres dans leur ensemble, sauf Rachida Dati, sont des personnalités ternes qui ne sont médiatisées que du fait d’être devenues ministre. Il faut ajouter qu’aucune de ces personnalités n’est connue du grand public pour avoir réalisé quelque chose de vraiment marquant dans leur vie antérieure.

Qui paraît le plus déconnecté parmi les personnalités comme parmi les composantes de la majorité (MoDem, Horizons, aile gauche) ? Et sur quels critères ?

D’une part, la plupart des entrants, sinon la totalité des entrants, sont des professionnels de la politique. Ils ont parfois été élus localement. Or le problème, très général, est que ces professionnels de la politique n’ont pas été élevés dans une ambiance partisane très forte, ils ne représentent donc guère un parti au sens ancien du terme ou un milieu humain particulier.

D’autre part, c’est le revers exact de cette professionnalisation, ils ont souvent occupé des postes avec des responsabilités importantes. Ils sont habitués à traiter des dossiers complexes. Ils se sont faits un vaste carnet d’adresses.  Par leur expérience, ils s’éloignent nécessairement du vécu ordinaire des citoyens, et, comme ils n’ont pas de camarades de partis, pour les ramener aux réalités du quotidien des gens ordinaires, cela tourne facilement au mieux à la technocratie, au pire à la représentation intéressée de quelques intérêts particuliers promettant un bon retour sur investissement à terme à la personne du ministre.

Je ne crois pas qu’il faille faire de grandes différences de ce point de vue entre les diverses composantes de la majorité. Ces divers « syndicats d’élus » se valent, et tous n’ont guère d’arrière-pays militant.

Quelle est la nature de cette déconnexion et à quel niveau elle se joue ? Se joue-t-elle au niveau géographique, sociologique ou au niveau intellectuel ? Quels sont les critères pour apprécier cette déconnexion (est-ce à travers les sondages ou sur un critère de sociologie) ?

Cette déconnexion, comme je l’ai dit, est surtout liée à leurs expériences professionnelles et politiques. Ce sont des gens qui viennent, au mieux, d’expériences partisanes où seuls les élus comptent et où le monde militant à l’ancienne a disparu depuis longtemps.

Après, il faut bien constater que ces élus professionnalisés sans base sociale sont particulièrement ouverts à l’influence d’intérêts particuliers. Ils les défendent volontiers. De fait, en lisant la liste des nouveaux ministres macronistes, on peut deviner assez facilement le nom du lobby ou des lobbys qu’ils vont servir. Cela ne risque pas d’aider à la reconnexion avec les Français ordinaires.

J’ajoute que défendre un lobby n’est pas un crime en soi. Simplement, un lobby défend par définition un intérêt particulier qui n’a aucune obligation de se soucier de l’intérêt général de la population. Un vendeur de pesticides ou de sucreries est là pour vendre son produit et faire du profit, et tout le reste ne lui importe pas en réalité, même s’il prétend le contraire.  Un parti, au sens traditionnel du terme, tel qu’il a existé entre le milieu du XIXème et les années 1980, devait tenir une ligne qui prenait en compte toutes les conséquences de ses choix sur la vie collective. Un parti devait internaliser en lui-même les contradictions de la société, et leur trouver la meilleure issue possible. Aujourd’hui, en dépit de sa promesse initiale, le macronisme est devenu un archipel d’intérêts particuliers qui entendent bien se servir, et aussi disons-le d’idioties pures et simples, en tout cas en matière d’éducation.

Je me permets de revenir pour finir sur cette idée. La science politique sait depuis longtemps décrire le jeu des intérêts particuliers, ou bien l’importance des idéologies. Elle est beaucoup moins à l’aise avec des acteurs qui apparaissent par bien des côtés comme des idiots. Cela renvoie à une période de l’histoire où les dirigeants étaient choisis par la voie de l’hérédité, et parfois l’héritier du trône était clairement, aux yeux des contemporains et des historiens, un idiot. Avec la compétition instaurée pour les postes de pouvoir dans nos pays, un idiot ou des idiots au pouvoir, cela ne devrait jamais arriver, c’est impensable, cela ne peut pas durer. La mauvaise qualité du personnel politique du macronisme ne laisse pas d’interroger quand elle n’est pas simplement la mise au service de son poste de ministre pour un lobby identifiable, et personne n’a d’explication bien convaincante à cet état de fait.

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