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Plan Santé : pourquoi la rigidité du système de soins et l'idéologie politique feront obstacle aux avancées proposées
©ETIENNE LAURENT / POOL / AFP

Bienfaits et obstacles

Le plan santé voulu par le gouvernement a été détaillé par le président de la République Emmanuel Macron mardi 18 septembre. Sa mise en place risque d'être compliquée.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Un plan dans un contexte de pénurie

Le plan Santé présenté par Emmanuel Macron est un rituel de la cinquième république façon quinquennat. Sur le sens des mots, car ils en ont un, ce plan est destiné principalement au système de soins et non à la santé dont heureusement une petite partie est déterminée par des décisions collectives et la majeure partie par sa propre conduite individuelle. Il n’est pas inutile de le souligner et nous y reviendrons. En réalité c’est un plan, c’est-à-dire que tout part de l’Etat et ces décisions du pouvoir central seront détaillées dans des lois et décrets à venir. Elles concernent essentiellement l’assurance maladie de la sécu puisque le sujet mutuelles a été épuisé par le précédent gouvernement en les rendant “obligatoires” sous certaines conditions. Ce plan intervient dans un contexte de pénurie non seulement de médecins mais aussi de financement ou par exemple de médicaments.

Le contexte financier.

Il faut rappeler les éléments macro-économiques (Tableau N°1) sans quoi toute discussion est vaine.

En 2017 les prélèvements obligatoires (1000 milliards d’euros soit 46% du PIB) ont abondé les comptes de la sécu de la façon suivante:  cotisations sociales (56 %), CSG (24 %), impôts et taxes et autres contributions sociales (16 %), transfert nets (1 %), contributions de l’État (on parle aussi de contributions publiques) (2 %), autres produits (1%). Les dépenses sont supérieures aux recettes depuis longtemps et c’est ainsi que s’accumule une « dette sociale » qui correspond à l’accumulation des déficits successifs de la Sécurité sociale (assurance maladie et autres branches comme les retraites). Cette dette est financée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) qui émet des obligations. Depuis 1996 date de sa création par la réforme Juppé de la CADES, sa durée de vie a été prolongée deux fois. Les gouvernements successifs, malgré des prélèvements parmi les plus élevés du monde, n’ont pas voulu rétablir l’équilibre ou l’excédent des comptes de la sécu. En 1996 c’est après avoir promis un retour à l’équilibre que Juppé fait passer sa réforme avec un train d'impôts extraordinaires. La CADES reprend 23,2 milliards d’euros de dette cumulée. En 2016 la CADES a repris 260,5 milliards de dette sociale cumulée et la CRDS a permis d’amortir seulement 124,7 milliards. Fin 2017, il devrait lui rester une dette de 135,8 milliards d’euros à amortir ce qui signifie que la CADES ou un successeur devra encore administrer cette dette pendant de longues années.
Dans ce contexte et malgré les gesticulations de toutes les oppositions chacun sait qu’on ne peut aller plus loin dans la dépense et qu’il faut sérieusement revenir à des soins efficaces plutôt qu’au financement de droits réputés acquis accumulés au fil des ans. 
Ne nous y trompons pas, les alertes clignotent partout mais surtout sur le terrain au plus près des patients. Et les obstacles sont nombreux. 

Quand je dis tout part de l’état c’est pour souligner que dans notre système de soins rien n’est décidé par les consommateurs de soins dont seulement la moitié paient des impôts et une plus petite partie des taxes sur le travail. En effet il n’y a pas de contrat entre l’assuré et la sécu. L’assuré obligatoire ne peut choisir ses garanties et en miroir il ne peut pas s’exonérer de payer pour les plus inutiles des dépenses comme: les cures thermales, les transports hors SAMU, les arrêts de travail pour cause bénigne, les consultations itinérantes pour le même motif, les innombrables prestations en nature qui vont de chaussures de marche à des suppléments nutritionnels. L’assuré ne gère pas sa prime puisqu’elle sera la même qu’il use, abuse ou ne se serve jamais des services de soins et des avantages en nature. Ainsi la dynamique du système est à l’inflation car chacun en veut toujours plus. Sur cette tendance, qui empoisonne le fonctionnement du système, le gouvernement n’a pas fait de propositions.En 2017 les prélèvements obligatoires (1000 milliards d’euros soit 46% du PIB) ont abondé les comptes de la sécu de la façon suivante: cotisations sociales (56 %), CSG (24 %), impôts et taxes et autres contributions sociales (16 %), transfert nets (1 %), contributions de l’État (on parle aussi de contributions publiques) (2 %), autres produits (1%). Les dépenses sont supérieures aux recettes depuis longtemps et c’est ainsi que s’accumule une « dette sociale » qui correspond à l’accumulation des déficits successifs de la Sécurité sociale (assurance maladie et autres branches comme les retraites). Cette dette est financée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) qui émet des obligations. Depuis 1996 date de sa création par la réforme Juppé de la CADES, sa durée de vie a été prolongée deux fois. Les gouvernements successifs, malgré des prélèvements parmi les plus élevés du monde, n’ont pas voulu rétablir l’équilibre ou l’excédent des comptes de la sécu. En 1996 c’est après avoir promis un retour à l’équilibre que Juppé fait passer sa réforme avec un train d'impôts extraordinaires. La CADES reprend 23,2 milliards d’euros de dette cumulée. En 2016 la CADES a repris 260,5 milliards de dette sociale cumulée et la CRDS a permis d’amortir seulement 124,7 milliards. Fin 2017, il devrait lui rester une dette de 135,8 milliards d’euros à amortir ce qui signifie que la CADES ou un successeur devra encore administrer cette dette pendant de longues années.

Dans ce contexte et malgré les gesticulations de toutes les oppositions chacun sait qu’on ne peut aller plus loin dans la dépense et qu’il faut sérieusement revenir à des soins efficaces plutôt qu’au financement de droits réputés acquis accumulés au fil des ans.

Ne nous y trompons pas, les alertes clignotent partout mais surtout sur le terrain au plus près des patients. Et les obstacles sont nombreux.

Les annonces qui pourraient améliorer la qualité des soins

Le numerus clausus.

Tout d’abord, non parce que c’est symbolique, mais parce que c’est la fin d’une immense obstination de la bureaucratie d’état il faut approuver et soutenir la fin du numerus clausus. Les externalités négatives, que bien entendu peu ont dénoncé pendant les 44 années de cet oukase transpartisan, sont considérables et pourraient coûter très cher socialement. Pourtant j’entends dire que vu les transformations à venir en médecine, il est risqué de supprimer le numerus clausus. Il est quelque peu désespérant d’avoir à rappeler que l’état ne voit pas plus loin que la prochaine élection et que le mieux placé pour faire des projets c’est l’individu. Les étudiants en médecine dont on vante les scores au bac ne sont ni les plus stupides, ni plus stupides que les ingés, les coiffeurs ou les agriculteurs au point qu’ils aient besoin d’un énarque pour savoir s’ils peuvent faire généraliste à Paris, anesthésie à Lille ou chirurgie à Montpellier. C’est fait et cette promesse est tenue. En revanche les annonces faites sur la suppression de toute forme de sélection à la fin de l’internat ou à l’entrée dans la carrière de médecin des hôpitaux ne sont pas fondées en terme de qualité des soins.

La télémédecine.

Le système de soins est sous tension en raison de la pénurie et de graves dysfonctionnements qui ont prospéré pendant les quinquennats précédents.Tout d’abord un certain nombre de choses sont dites par l’actuel gouvernement. Les idées hollandaises comme “un médecin à 30 minutes” sont oubliées car irréalistes au bénéfice de la télémédecine qui est l’avenir des consultations médicales. Oui, il vaut mieux s’y préparer que pleurer sur le passé qui ne reviendra pas. Pourtant la sécu a du mal à mettre en place un dispositif : « Il est formidable de voir que des publicités fleurissent sur des plateformes de téléconsultations commerciales en ligne, faisant croire que cela va être remboursé par l'assurance-maladie, alors que cela n'est pas le cas ! Nous allons continuer à communiquer pour dire que la télémédecine c'est entre un médecin et un patient qui se connaissent et se voient régulièrement (...) sinon pour moi c'est de la mauvaise médecine » a déclaré récemment Nicolas Revel le président de la CNAM (https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2018/09/17/le-patron-de-la-cnam-recadre-la-telemedecine-les-publicites-fleurissent-mais-ne-va-pas-tout-rembourser_860910) . Pourtant une étude récente (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27437037) démontre que la télémédecine peut diminuer en 4 ans le taux de réadmission à l’hôpital de 73% chez des patients insuffisants cardiaques.

Les assistants médicaux.

Dissipons une idée fausse qui voudrait que ce soit une innovation. Ils sont en fait des collaborateurs du médecin et ils ont toujours existé mais avaient progressivement disparu. Les raisons sont connues. Pour financer à 25 euros la consultation du personnel à 35 heures il faut beaucoup pédaler… L’état reconnaît donc que cette collaboration est essentielle d’abord pour les patients et aussi pour les médecins.

Le temps médical supplémentaire.

Trouver du temps médical supplémentaire est inscrit en filigrane dans ce plan et c’est tout simplement du pragmatisme. Pragmatisme dont ont singulièrement manqué les prédécesseurs il faut toujours le rappeler pour se rendre compte du retard pris. Pour trouver du temps médical (c’est la même problématique pour les infirmières et pour tous les soignants avec des paramètres différents) il est fondamental de privilégier le temps de soin par rapport à la bureaucratie. L’annonce du report, qui ressemble à un report sine die, du tiers payant obligatoire s’inscrit dans cette perspective. D’ailleurs personne ne l’avait demandé ni les patients, ni les mutuelles, ni les médecins. Mais c’est loin d’être l’essentiel de ce gisement de temps médical que représentent les tâches administratives. L’espace numérique du patient (tel que la formule est inscrite dans le plan) est un slogan à qui il faudra trouver un contenu. Suggérons là aussi d’être simple, pragmatique et rapide: le dossier médical électronique est la clé. Mais voilà personne n’en veut sauf la minorité de patients qui malades, sont conscients que dans de nombreuses situations la qualité des décisions ou le pronostic d’un événement grave sont fâcheusement perturbés par l’absence de cette information. Tous les autres savent que la Carte Vitale n'a rien de vital à l'intérieur mais ils ont leur raison de ne pas vouloir du dossier électronique. Les patients habitués à un vagabondage médical, les médecins ne voulant pas partager leur dossiers, les assurances qui sont heureuses de tout savoir alors que le patient ne sait rien, l’état qui dispose des statistiques les plus poussées ni vu ni connu, tous ces acteurs ont peur de la transparence et du partage de l’information. Or sans le dossier médical électronique il n’est pas possible de récupérer du temps médical. Le gouvernement le sait bien et on observe sa prudence avec déception car c’est urgent et c’est l’intérêt de nos patients que la sécu a trop longtemps négligé sous des prétextes. L’annonce initiale date de 2004 et le coût actuel inconnu dépasse le demi milliard d’euros. Or ce dossier électronique n’est pas prêt quoi qu’en dise la CNAM. Il faut pour cela se rendre compte que d'ouvrir un dossier, une statistique fréquemment avancée, ne veut pas dire qu’il fonctionne et encore moins qu’il contienne des informations même minimales. La raison en est simple: l’alimentation de ce dossier requiert une intervention d’un médecin ou d’un autre professionnel comme le décrit la Figure N°1. La sécu assurance maladie n’alimente le dossier que pour les deux dernières années et sans les informations de contenu.

Pourtant il y a une mesure plus efficace et plus facile à mettre en oeuvre. La prescription électronique. Il faut savoir qu’au moment où il est difficile de trouver du temps médical, les établissements de soins paient les médecins pour entrer le traitement médicamenteux pour chaque nouveau patient en frappant dans un ordinateur les prescriptions. Or ces produits ont des codes barre (Figure N°2). Imaginons un supermarché où pour des raisons toutes incohérentes la caissière taperait le nom des produits pour dresser la facture. Ce système de codes barre existe pour la distribution des médicaments, il a été inventé par une infirmière en 1995 au Colmery-O'Neil Veteran Medical Center de Topeka, au Kansas, aux États-Unis. Cette infirmière s’est très intelligemment inspirée d’un service de location de voitures utilisant la technologie des codes barre. Il se développe considérablement en Europe depuis 2010 (https://link.springer.com/article/10.1007/s12553-012-0037-0 ). Les pays scandinaves sont en tête en Europe dans le déploiement de l’e-prescription. Les prescriptions électroniques sont largement utilisées dans quatre pays européens: Danemark et Estonie (97%), Suède

(81%) et aux Pays-Bas (71%). D’autres pays utilisent régulièrement le processus de prescription électronique: l’Islande, l’Angleterre et l’Ecosse, la Belgique et l’Italie. Il est bien établi que les erreurs médicamenteuses coûtent des vies. Les fonctions de sécurité intégrées dans la prescription électronique telles que les alertes cliniques et les alertes de traitement en double réduisent le risque d'effets indésirables du médicament. Environ 20% de toutes les réadmissions à l’hôpital peuvent être imputables à des réactions indésirables aux médicaments.

Figure n°2: Ce paragraphe d’un article récent décrit bien une erreur stratégique du dossier électronique à la mode sécu: la resaisie de données déjà existantes sous forme numérique par un médecin… Il sera difficile de trouver un médecin pour remplir le dossier alors que celui ci peut tout simplement être alimenté automatiquement par les informations médicales traçables émises par les professionnels et attachées à des évènements ayant donné lieu à remboursement et présents dans les ordinateurs du SNIIRAM… https://www.20minutes.fr/sante/2366791-20181106-lancement-dmp-comment-gerer-dossier-medical-partage-carnet-sante-numerique

L’exercice mixte.

C’est aussi une proposition de bon sens, il est essentiel d’hybrider les carrières et de rompre avec cet isolement des secteurs, public d’un côté, privé de l’autre et associatif au milieu. Cela n’a pas de sens car ce sont les mêmes patients, les mêmes payeurs et la même médecine. Là encore nous payons un lourd tribut à l’idéologie qui a prévalu chez les politiques, les médecins et les gestionnaires d’établissement. Il n’y a pas si longtemps des services de CHU étaient tenus par des temps partiels tellement efficaces dans leur gestion du temps qu’ils arrivaient à les faire fonctionner au moins aussi bien que ceux des temps plein… Dans cette mixité il y a les gardes. Désespérer financièrement les médecins au point de les voir se désengager des gardes comme ce fut le cas à partir des années 90 en dit long sur les aveuglements précédents. Les jeunes médecins ne se lèveront pas la nuit pour aller faire une visite à domicile comme leurs aînés mais si les conditions financières et techniques sont satisfaisantes il y aura des candidats pour la maison médicale d’urgence. Nous n’innovons pas, nous faisons du benchmark,  c’est tout simplement ce qu’organisent depuis très longtemps les départements de médecine familiale et médecine d’urgence dans les hôpitaux canadiens… Rappelons à nos concitoyens que dans de très nombreux pays le médecin généraliste ne se déplace pas à domicile.

La délégation de tâches.

La pénurie de temps médical crée une opportunité. Le rapport Berland date de 2003 (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/034000619.pdf ) . Rien n’a été décidé depuis en dehors de la définition d’un rôle propre de l'infirmier, victoire à la Pyrrhus puisque ce rôle propre ne contient pas grand chose. Il est bien naturel que des infirmiers formés pendant 4 ans puissent effectuer des tâches de soins en tant que professionnel autonome. Je considère que leur proximité vis à vis des patients et leurs connaissances dans le contexte actuel de médecine de précision permet cette évolution sans aucun danger et avec une disponibilité et une réactivité supérieure à celle des médecins ou des pharmaciens. Par médecine de précision, j’entends par exemple que l’infection urinaire, avec un prélèvement d’urine et les critères d’infection reconnaissables objectivement, confère au traitement un caractère très précis dans la décision de traiter et quant à la molécule à utiliser. Je considère aussi que l’ajustement des doses du traitement antivitamine K peut bénéficier à l’intérieur de certaines bornes d’INR d’une consultation de “nursing avancé”.

Les transports abusivement appelés “médicaux”.

Personne n’en parle, sauf les transporteurs bien sur dont les manifestations récentes ont été rapportées sans en exposer les causes. La France dépense une somme astronomique pour les transports dits médicaux: plus de 4 milliards d’euros en 2017 avec une croissance de plus du double de celle de l’ONDAM. En dehors du SAMU et des ambulances pour accident ces transports sont dans l’immense majorité des cas substituables par les moyens de transport normaux personnels ou collectifs. Ce constat a été fait depuis longtemps mais aucun gouvernement n’a voulu réformer la prise en charge pour que les sommes alloués à la sécu servent à leur but désigné: soigner. Le gouvernement a très bien manoeuvré en faisant porter sur les établissements la charge des transports dès lors que le patient est hospitalisé. Il a ménagé politiquement les patients qui resteront remboursés de leur transport à la sortie d’un établissement. Pour les malades ambulatoires c’est à la sécu que revient la mission de ne rembourser que ce qui est indispensable.

Les indemnités journalières (IJ)

Agnès Buzyn avait commencé son mandat ministériel par un constat sur la dépense inutile dans le systèm de soins. Quelque part, dans ce pays drogué à la politique de moyens qui permet d’ignorer l’efficience, ce fut courageux . C’est une question factuelle que personne ne conteste mais là encore aucun ministre récent ne l’avait fait. Or cette dépense inutile (https://www.lenouveleconomiste.fr/20-a-30-de-depenses-inutiles-sante-62439/) est à l’origine d’effets secondaires graves et de gaspillage de ressources. Les IJ en France sont un feuilleton national. Un ridicule jeu de ping pong où chacun se rejette la balle: “Des dynamiques expliquent cette hausse mais on sait aussi qu'il y a des pratiques d'arrêts de travail variables d'un médecin à l'autre”, a déclaré Nicolas Revel de manière sibylline. Alors que comme souvent une minorité abuse du système gravement et que la sécu ne veut pas de changement. Les comptes de la sécu assurance maladie des prochaines années permettront de savoir si les milliards gaspillés ont pu être redirigés vers les soins.

Les médecins salariés dans les zones géographiques où les besoins l’exigent.

400 médecins salariés (j’ai toujours pensé que ces nombres ronds étaient un miracle de la planification) devraient être embauchés pour exercer dans ces zones à la fois en libéral et à l’hôpital.  La sécu ayant un monopole ces français ne peuvent même pas s’assurer après d’un autre assureur. C’est donc indiscutablement nécessaire dans certaines situations et cela mettra fin aux aventures coûteuses des maires pour construire des centres médicaux flambants neufs mais vides… Par contre cette expérience est intéressante car on pourra mesurer le coût du dispositif. Vu les règles en vigueur pour le travail salarié et le fait que les charges de l’exercice à l’acte seront internalisées par l’état et la sécu, cela coûtera cher.

Les incertitudes au sujet des résultats sont liées à l’extrême rigidité du système de soins

Le gouvernement sait très bien à quoi s’en tenir. Sa ministre est experte dans les jeux de pouvoir qui pourraient bloquer toute avancée. Le système est très rigide car il n’y a aucune concurrence, aucun mécanisme de rémunération de la qualité et des cloisonnements qui ressemblent à des murs de Berlin...

Les hôpitaux.

Le déficit d’exploitation des hôpitaux publics devrait être cette année supérieur à un milliard. La FHF va regretter que ce plan, contrairement aux précédents ne soit pas hospitalo-centré. L’état pour sa part déplore que la restructuration progresse millimétriquement et ce à cause du rôle trouble des politiques locaux qui n’hésitent pas à mettre en avant “leur” hôpital et les “risques” pour “leurs”  assujettis alors que l’établissement est en sous activité, trop petit, trop peu équipé car il ne peut l’être dans ce bassin de population; alors qu’eux mêmes donnent souvent l’exemple en allant se faire soigner un peu plus loin. Cette situation promet des négociations difficiles. Dans un autre domaine demander aux hôpitaux de développer des maisons médicales au détriment de leurs services d’urgence bondés mais rentables nécessitera des arbitrages et un savoir faire inégalement distribué. Le passage au forfait pour certaines pathologies chroniques, réclamé par tous les adversaires idéologiques de la T2A, ne sera pas une sinécure. Au contraire il risque être restrictif. Le transfert des tâches sera alors facilité à condition d’avoir du personnel infirmier prêt à sortir des murs de l’hospitalisation… En contrepartie les lits devront être réduits en nombre ce qui est à l’opposé des idées très conservatrices des mêmes groupes anti T2A… Enfin, last but not least, l’activité se contractant il va falloir faire au moins aussi bien avec moins. C’est parfaitement possible mais dans le public ce sera une levée de boucliers.

Les cliniques.

Les cliniques se sont fortement restructurées grâce à des opérations de vente et à des financements de marché qui ont favorisé les grands groupes. La pression réglementaire et la bureaucratie des ARS a poussé ce mouvement en désespérant les structures moyennes. Impuissante à restructurer  le secteur public et particulièrement les CHU les agences issues de l’étatisation de 1996 ont ainsi involontairement renforcé la compétitivité du secteur privé à l’extrême. Un petit tiers des établissements MCO seront en déficit en 2018 mais pour un montant cumulé de 150 millions d’euros. Il sera difficile d’aller plus loin car les petits propriétaires ayant vendu il est risqué  de faire fuir les fonds. Il y aurait un risque social et la question des repreneurs. Le secteur est inquiet, sur la défensive, alors même que persiste des différences de tarifs et de compétitivité avec le public. Pour autant les cliniques accepteront à peu près tout du gouvernement à condition de petits aménagements.

Les libéraux.

Les médecins généralistes sont en position d’accepter des changements car il n’y a plus de compétition pour la clientèle. Les assistants médicaux se développeront si l’équilibre économique le permet. Les médecins ne vont pas prendre de risques sur le plan du droit du travail si le dispositif est insuffisamment financé et/ou trop complexe. On peut douter de la capacité de la sécu à créer un cadre efficace pour les assistants médicaux quand on lit les propos de Nicolas Revel: “S'il devait y avoir un accompagnement financier sur ce sujet, il doit y avoir des contreparties, comme l'augmentation de la patientèle suivie pour un médecin généraliste, ou une réduction des délais de rendez-vous pour les autres spécialités”. La confiance raisonnable ou le contrôle tatillon? En revanche le secteur libéral est très en retard sur la numérisation. Il y a plusieurs facteurs mais il faut souligner que la convention unique empêche toute expérience qui viendrait dynamiser le passage au numérique total. Le point difficile sera la participation au dispositif de gardes, c’est dire qu’il faudra allouer des tarifs ou des forfaits attractifs.

Les médecins spécialistes sont dans la même configuration avec une bouée de sauvetage représentée par les honoraires complémentaires qui permettent de payer au moins en partie leurs équipements et leurs collaborateurs. Le signal du gouvernement sur ce sujet est l’apaisement, à l’opposé du précédent gouvernement qui n’avait cessé d’attiser les braises.

La sécu.

Le bastion est là, monopole, rigidité et interférence des politiques et des syndicats dans les affaires. Tous ces facteurs ralentiront le programme de réformes. Si on ajoute les difficultés structurelles à passer au numérique il y a des raisons d’être inquiet. Il faut se méfier à cet égard des annonces d’ouverture de dizaines de millions de dossiers électroniques. Le disque est rayé, nous attendrons les résultats et surtout le temps passé à le consulter… Par exemple le dossier électronique ne pourra véritablement exister qu’à partir du moment où les médecins seront tous équipés de lecteur de cartes CPS (carte de professionnel de santé) et de logiciel compatibles. Ensuite le dossier électronique ne permet de consulter et de partager que des documents en .pdf. On comprend que ce n’est pas pour demain. La sécu en matière numérique cumule les échecs et se moque des délais si bien que rien n’est joué. Enfin à tout moment un blocage durable peut apparaître par ce jeu pervers des alliances éphémères et contre nature qui réussissent à maintenir le statu quo.

Et la santé publique dans ce catalogue?

Dans le système de soins les exemples européens démontrent de manière forte qu’il faut, en dehors des personnes économiquement faibles, laisser le choix de l’assureur aux citoyens et d’une manière générale laisser le marché réguler les prix. En revanche, nous savons tous que si l’état a une place c’est en santé publique. C’est pourtant là que l’état français est faible alors que nous avons une dépense publique record. Plusieurs enquêtes internationales ont pointé ce sous investissement en santé publique. Il a des conséquences sérieuses. Or ce plan est particulièrement pauvre en santé publique. J’ai recensé le mot santé de nombreuses fois mais comme d’habitude il s’agit d’un abus, car les mesures qui le mentionne sont des réformes des soins. En tout et pour tout la mesure de prévention nouvelle repose sur le service sanitaire qui consiste à envoyer des internes en fin de cursus parler d’hygiène de vie, d’exercice physique et d’addiction dans les écoles. L’état continue à administrer au plus près les soins, le traitement des maladies qui relèvent de l’assurance, la formation des médecins qui relève des universités mais laisse la prévention aux initiatives de la société civile.

Les obstacles politiques

Ce plan est contesté non pas sur les mesures elles mêmes mais sur des aspects idéologiques. Certes tout dans cette “réforme” part de l’avenue de Ségur alors qu’on nous affirme contre toute évidence que la sécu c’est le paritarisme… L'ambiguïté continue des deux côtés car ceux là mêmes qui parle d’étatisation de la sécu par le gouvernement d’Emmanuel Macron savent pertinemment que c’est la convention unique de 1971 et la réforme Juppé de 1996 qui ont étatisé totalement le système en verrouillant l’offre. Plus récemment les sénateurs ont développé un autre argument: le passage d’un régime assurantiel à un régime universel. C’est un procès que différents partis politiques font en réalité aux gouvernements précédents. S’agissant d’un monopole contrôlé par l’état et administré par les syndicats c’est tout sauf une assurance. S’agissant de son financement il est mixte depuis la création de la CSG.  Les cotisations des actifs n’assurent qu’une partie du financement de la sécu, l’autre partie étant la CSG, d’autres transferts et de la dette! Enfin il est en réalité universel depuis qu’existent la CMU (https://www.cmu.fr/fichier-utilisateur/fichiers/2017_RA_VF.pdf) et l’AME dont le budget vient d’être voté à hauteur d’1 milliard d’euros. Nous sommes donc dans un système universel au financement hybride mais depuis longtemps. Le deuxième argument avancé par les sénateurs est la perte d’autonomie de la sécu puisque c’est l’état qui abonde. Ceci est une fiction française. Comment la sécu peut elle être autonome quand elle ne maîtrise pas les garanties accordées aux français, ne contracte avec les médecins à travers  la convention qu’avec l’accord de l’état et ne peut rien au sujet des dépenses hospitalières? Le gouvernement n’a pas eu de mal à parler de faux semblants au sujet de ces critiques. La demande d’un débat national sur le sujet a peu de chance d’aboutir. Un dernier argument plus émotionnel risque par contre de cristalliser les opinions. Ce plan serait une évolution vers un modèle anglo-saxon que par définition les français rejetteraient. A la vérité il n’y a pas de “modèle” anglo-saxon. En Europe tous les pays ont adopté des systèmes de soins flexibles et les gouvernements successifs les adaptent pour maintenir l’accès et améliorer la qualité. L'idée d’un “modèle” est très française et dans les bouleversements actuels de la médecine elle est paralysante comme le démontre la pénurie gravissime de médecins soignants ou bien la crise chronique de nos hôpitaux. De ce point de vue il est étonnant que l’évolution du système de soins allemand qui est devenu très performant après les réformes Hartz soit ignorée des politiciens français.

En réalité, malgré cette étatisation ancienne et cette mainmise des syndicats, le gouvernement pourrait redresser les comptes jusqu’à la fin du quinquennat. Ce serait inégalé et politiquement significatif. Quatre causes synergiques permettent de le prédire:

 - La consommation diminue car l’offre s’effondre. Il n’y a pas moins de médecins il y a beaucoup moins de minutes de temps médical pour soigner au contact des patients… Les médecins fuient l’exercice libéral jugé épuisant, peu rémunérateur et dangereux. Les jeunes médecins ont arbitré leur agenda en faveur de plus de loisirs.
- Le progrès technique et scientifique n’a jamais été aussi vigoureux. Les durées d’hospitalisation diminuent, les complications baissent car les interventions sont moins lourdes, les médicaments sont plus efficaces, la médecine est plus précise. Comme les soins interventionnels sont payés à l’activité, la sécu dépense moins.
- La santé s’améliore. Les français diminuent leur consommation de tabac, ils commencent à être conscients que les personnes âgées sont sur médicamentées et qu’eux mêmes recourent trop aux médicaments. Pour des raisons culturelles ils sont moins touchés par l'obésité que les autres pays européens.

- Les recettes s’améliorent grâce à la reprise de l’emploi et à l’augmentation de la CSG.

Ainsi le pire n’est jamais sûr, même quand on maintient à bout de bras un modèle qui fait des dettes depuis des décennies et a éliminé tout mécanisme de marché dans ses ressources, ses tarifs ou le contrat qui le lie aux français.

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