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Plan de relance européen : l’élan franco-allemand peine à convaincre le reste de l’Union
©Kay Nietfeld / POOL / AFP

"Rupture dans la continuité"

Yves Bertoncini décrypte les enjeux du plan de relance européen imaginé par l'Allemagne et la France, une "rupture dans la continuité". Quelle est la portée financière de ce plan ? Un compromis global est-il possible ?

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est consultant en Affaires européennes, enseignant à l’ESCP Business School et au Corps des Mines.

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Atlantico.fr : En quoi ce plan de relance européen imaginé par l'Allemagne et la France s'inscrit-il dans "une rupture dans la continuité" pour citer votre article ? 

Yves Bertoncini : Le projet de Plan de relance « Next Generation EU » doit beaucoup à la proposition initialement formulée par la France et l’Allemagne, dont les leaders ont su rapprocher leurs positions sur la base d’un dialogue nourri et constructif. Comme à d’autres moments clés de la construction européenne, leur entente doit autant aux traditionnelles réactivité et inventivité françaises qu’à l’esprit de responsabilité et de solidarité jamais démenti de l’Allemagne. Alors que le projet de budget de la zone euro était dans une impasse, cette entente au niveau de l’UE toute entière a été grandement favorisée par les circonstances : comme l’a souligné Angela Merkel, « à situation extraordinaire, mesures extraordinaires ».

Ce ne sera pas la 1ère fois que les Etats-membres de l’UE feront preuve de solidarité financière, puisque le budget communautaire l’incarne depuis des décennies, notamment en matière agricole et de développement local et régional. Ce ne sera pas non plus la 1ère fois que les Européens emprunteront ensemble, dès lors que la BEI, le MES et même la Commission européenne l’ont déjà fait. Mais ce sera la 1ère fois que les Etats-membres s’endetteront ensemble à un tel niveau, non pas seulement pour se prêter de l’argent mais pour le transférer des uns vers les autres. C’est en ce sens qu’on peut parler de « rupture dans la continuité », tout en saluant le pas en avant politique et budgétaire que représente ce Plan de relance.

Dès lors que ce ne sont pas les dettes des Etats qui seront mises en commun au niveau fédéral, il ne s’agira pas d’un « moment hamiltonien » comparable à celui qui est survenu aux USA à la fin du 18ème siècle : ce sera plutôt un moment « Macron-Merkelien », qu’auront partagé tous leurs homologues, et en tous cas une étape marquante pour les Européens.

Quelle est la portée financière de ce plan ? 

Le projet de Plan de relance porte à ce stade sur 750 milliards d’euros, qui s’ajouteront aux interventions décisives de la BCE (à hauteur d’au moins 1 350 milliards d’euros) et à d’autres apports financiers substantiels issus du budget de l’UE, de la Banque européenne d’investissement et du Mécanisme européen de stabilité (550 milliards d’euros au total sont prévus sur ce 3ème registre).

Actuellement en cours de renégociation pour la période 2021-27, le budget de l’UE représente environ 1% du PIB de l’UE27. Si 2/3 des 750 milliards d’euros prévus par le Plan de relance sont bien des subventions, sa mise en œuvre contribuera à doubler l’ampleur des transferts financiers opérés par l’UE sur la période 2021-2023. Ces 500 milliards d’euros viendront en effet s’ajouter aux trois budgets communautaires d’environ 165 milliards d’euros prévus pour ces trois années-là : au total, les transferts financiers opérés par l’UE s’élèveraient donc à environ 2% du PIB de l’UE entre 2021 et 2023 (1% issu du budget de l’UE, 1% du Plan de relance).

Comme quand on analyse le budget de l’UE, il faut cependant mesurer l’impact du Plan de relance européen de manière plus fine, à la fois au niveau national et au niveau sectoriel.

A titre d’exemple, un pays comme l’Italie pourrait recevoir plus de 80 milliards d’euros de subventions via le Plan de relance, ce qui représente 5% de son PIB, auxquels s’ajouteraient plus de 90 milliards d’euros sous forme de prêts. Cet apport financier lui sera particulièrement utile, d’autant plus que l’Italie est contributrice nette au budget de l’UE, dont le seul usage ne lui aurait pas permis de bénéficier d’une telle solidarité communautaire.

Il faudra aussi mesurer l’impact financier du Plan de relance européen en termes micro-économiques, dès lors qu’il devrait puissamment contribuer au sauvetage de secteurs fortement touchés par la crise du coronavirus, tels le tourisme, l’aéronautique, l’automobile, etc.

Au total, le déboursement effectif et rapide des sommes prévues par le Plan de relance constituerait donc une manne financière dont l’apport sera déterminant pour nombre de pays et secteurs de l’UE.

Ce plan, pour être opérationnel, nécessite l'approbation des vingt-sept pays européens.  Un compromis global est-il réalisable ?

Dès lors qu’il concerne l’usage commun de ressources financières, le Plan de relance ne pourra entrer dans les faits que grâce à l’accord des 27 chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’UE, puis à la ratification de l’ensemble de leurs parlements. C’est donc « unis la diversité » que les pays de l’UE doivent forger un compromis global, qui tienne compte des sensibilités nationales et des rapports de force partisans et institutionnels.

Le fait que toutes les économies de l’UE soient touchées et qu’elles soient fortement interdépendantes va favoriser l’adoption de ce compromis global, de même que le fait que l’Italie et l’Espagne aient été en 1ère ligne : ce sont en effet des pays dont le poids économique et politique est bien supérieur à celui des pays qu’il avait fallu secourir lors de la crise de la zone euro, et qui justifient d’autant plus une réaction commune d’ampleur.

Un tel compromis européen est à portée de mains à condition que les négociations financières en cours soient empreintes de respect et de compréhension mutuels, plutôt qu’empoisonnées par des anathèmes et des stéréotypes. A titre d’exemple, les Néerlandais peuvent difficilement accepter d’être traités de « radins », dès lors qu’ils sont contributeurs nets au budget de l’UE depuis des décennies, davantage même que les Français en termes de richesse par habitant. Ils souhaitent simplement que l’argent européen soit dépensé à bon escient, qu’il finance des projets concrets et utiles, et que les pays qui en bénéficient mettent un peu d’ordre dans leurs budgets nationaux et dans leurs économies. N’oublions pas aussi que, comme maints pays de l’UE, les Pays-Bas sont gouvernés par une coalition dont la cohésion peut être fragile, et qui agit sous le contrôle d’un Parlement où siègent des forces contestataires et eurosceptiques...

Les négociations financières en cours, qui incluent aussi le budget de l’UE, sont suffisamment larges pour que des concessions soient faites aux quelques gouvernements les moins convaincus, par exemple sur la répartition entre subventions et prêts, sur le taux de co-financement national ou régional nécessaire, sur le degré de contribution aux transitions climatique et digitale, etc.. Il faudra sans doute « donner un peu de temps au temps » pour aboutir à un compromis susceptible de satisfaire l’ensemble des parlements nationaux de l’UE, et qui puisse être approuvé suffisamment tôt afin que les financements du Plan de relance commencent à être déboursés en début d’année prochaine. Un Plan conçu pour la « prochaine génération » européenne mérite bien quelques mois de débats – un peu de patience avant sa délivrance…

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