Plafonnement des prix du gaz : l’Europe s’enferme dans une solution en trompe-l'œil<!-- --> | Atlantico.fr
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Drapeau de l'UE devant la banque centrale européenne.
Drapeau de l'UE devant la banque centrale européenne.
©DANIEL ROLAND / AFP

Compromis boiteux

La décision annoncée par la Commission européenne ce mardi est porteuse de ses propres dangers pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’UE.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : L’Union européenne s’est enfin mise d’accord sur un plafonnement des prix du gaz. Que faut-il penser de cette mesure ?

Damien Ernst : Ce price cap sur le gaz à 180 €/MWh, je n’y crois pas trop. Le prix du gaz en train de redescendre autour de 110-120 € grâce aux mécanismes de destruction de la demande liés au prix. Il est trop cher pour être consommé. En 2022, beaucoup d’entreprises qui étaient encore protégées concernant les prix du gaz grâce à des contrats à prix fixe. Sauf que ces contrats vont expirer et exposer les entreprises aux prix élevés dès 2023, ce qui va les forcer à réduire leur demande. Donc on va voir une accélération de la destruction de la demande. Je vois donc mal comment le prix pourrait revenir à 180€ pour le gaz. D’autant, que des solutions émergent pour supplanter le gaz (avec des générateurs diesel, du butane ou du propane par exemple). Donc le price cap ne sera normalement jamais atteint. Il est mis trop haut. Néanmoins, on peut toujours imaginer un scénario catastrophique : perte du reste d’approvisionnement russe, hiver très rigoureux et long. Un tel scénario extrême pourrait faire intervenir le price cap, mais avant il ne servira à rien.

Samuel Furfari : C’est une mesure que demandaient les pays du sud et que l’Allemagne et les Pays-Bas ont dû accepter pour qu’il n’y ait pas de clash et que des accords sur d’autres sujets puissent avoir lieu. c’est un marchandage. Il n’y a d’ailleurs pas eu que ce système qui a été abordé, il y a aussi eu des dispositions sur les énergies renouvelables. Donc c’était du donnant-donnant. Finalement, ça ne changera pas grand-chose. Le mécanisme fonctionne sur base de cliquets qui doivent tous se mettre en place au même moment pour déclencher ce système. Mais il y a encore beaucoup à définir. Qui va interdire à quelqu’un d’acheter à un prix supérieur ? Je vois mal comment le mettre en place.  Le vrai problème et l’Europe ne le voit pas, c’est qu’on manque d’énergie fossile. On fait semblant que tout va bien car on a rempli les stocks. Mais qu’allons-nous faire l’année prochaine ? Cela va être terrible.

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Philippe Charlez : Sauf à assister à une flambée soudaine et incontrôlée des cours, le plafonnement à 180 €/MWh devrait être un coup d’épée dans l’eau. Depuis début 2022, le prix du gaz a rarement dépassé cette limite de 180 € prix (et encore moins pendant trois jours consécutifs). Il y a eu certes un pic à 300 € en août dernier, mais dans les mois à venir, compte tenu de l’inflation et d’une possible récession économique, la consommation devrait diminuer. Le prix du gaz devrait donc se stabiliser autour de 100 € mais bien en dessous des 180 €. Cette décision de plafonnement arrachée aux forceps n’est destinée qu’à sauver la face et à se donner bonne conscience pour des pays qui fondamentalement n’en voulaient pas. Pour que cela fonctionne, il aurait fallu un seuil bien inférieur à 150€

Sur le principe, le price cap, est-il une bonne idée ?

Damien Ernst : Non ce n’est pas un mécanisme pertinent. Et c’est avant tout une mesure pour sauver la face. Mais sur le principe, cette mesure n’est pas bonne. Elle risque juste de créer des pénuries de gaz.

Samuel Furfari : Ce n’est pas la solution. Si vous devez acheter une pièce de viande chez le boucher et qu’il vous dit qu’elle va être plus chère que d’habitude, et qu'un policier vous dit, vous ne pouvez pas l’acheter. Vous ne l’achetez pas, mais vous repartez sans rien et le boucher pourra vendre sa viande ailleurs. Nous n’avons jamais vu, dans une économie de marché, un pouvoir interdire la vente au-delà d’un prix donné. On manipule le marché. Ça ne peut durer qu’un temps.

Philippe Charlez : Bloquer ou plafonner les prix d’une commodité est une très vieille idée dont le principal risque est d’induire une pénurie. Elle n’est pas sans rappeler « la loi du Maximum Général » votée le 29 septembre 1793. En pleine terreur, la convention imposa le blocage des salaires et des prix. Son but était de satisfaire les « Sans Culottes » (Gilets Jaunes de l’époque) indignés par la flambée des denrées de première nécessité. Les résultats furent désastreux. Plutôt que de vendre à perte, les paysans dissimulèrent leurs récoltes. Aussitôt, les greniers et les magasins se vidèrent et s’ensuivit une terrible famine. Avec des prix bloqués en dessous des cours du marché, les distributeurs d’énergie soit refuseront de vendre à perte soit vendront ailleurs. Mais, en capant à 180 € on ne prend pratiquement aucun risque.

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Qu’aurait-il fallu faire ?

Damien Ernst : Ils auraient pu faire que l’Europe achète via une centrale d’achat unique le gaz arrivant par gazoduc. L’UE aurait pu négocier et mettre la pression sur les vendeurs. L’Europe aurait pu ensuite revendre le gaz aux pays en faisant une marge bénéficiaire qui aurait pu permettre de mettre en place des plans d’aides aux entreprises ou aux ménages. On note que ce système de centrale d'achat est rendu possible de par le fait que les pays envoyant leur gaz en Europe par gazoduc ne savent pas, par manque de capacité de liquéfaction du gaz, l'envoyer dans d'autres pays du monde par bateaux.

Samuel Furfari : Il n’y a pas de stratégie immédiate. Tant que l’UE estime qu’il n’y a pas d’avenir pour le gaz et défend les énergies renouvelables, les solutions ne peuvent être développées. Personne ne va investir dans le gaz tant que l’UE dit qu’il n’y a aucun avenir là-dedans. Le problème ce sont les infrastructures et la confiance du marché. En même temps que cette décision sur le gaz, ils ont voté un texte dont la conséquence est que l’Etat doit faire fi des contestations aux projets d’installation d’éoliennes.

Philippe Charlez : En revanche, ce qu’il aurait fallu faire, c’est subventionner le gaz pour faire baisser le prix de l’électricité aujourd’hui aligné sur la source marginale c’est-à-dire le gaz. Comme l’on démontré les Espagnols et les Portugais, la mesure est efficace puisque l’électricité est trois fois moins chère dans la péninsule Ibérique que dans les autres pays de l’UE. Mais il était très difficile de trouver un tel accord à l’échelle européenne dans la mesure où le poids du gaz dans les mix électriques européens sont très différents. Ainsi les Italiens et les Allemands possédant une génération électrique beaucoup plus gazière auraient bien davantage subventionné que les autres pour un résultat identique sur le prix de l’électricité.  Une telle mesure aurait inévitablement donné un avantage compétitif aux Français. Pour appliquer une telle règle au périmètre de l’Hexagone, la France devrait d’abord sortir du système électrique européen ce qui est pour l’instant impossible dans la mesure où elle est devenue fortement importatrice d’électricité au contraire de l’Espagne et du Portugal aujourd’hui électriquement indépendants.

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