Photo du petit Syrien mort noyé : sauver l'âme française<!-- --> | Atlantico.fr
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Capture d'écran du compte Twitter du Premier ministre Manuel Valls.
Capture d'écran du compte Twitter du Premier ministre Manuel Valls.
©Capture Twitter

#Humaniténaufragée

L'image montrant le corps d'un petit garçon de 3 ans échoué sur une plage turque a fait le tour des réseaux sociaux jeudi 3 septembre après le double naufrage qui a coûté la vie à douze réfugiés syriens.

 Koz

Koz

Koz est le pseudonyme d'Erwan Le Morhedec, avocat à la Cour. Il tient le blog koztoujours.fr depuis 2005, sur lequel il partage ses analyses sur l'actualité politique et religieuse

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Pas en France. En Autriche, en Allemagne, en Islande, des habitants souhaitent la bienvenue aux réfugiés. Des Allemands déploient des banderoles « Willkommen » dans les stades. Mais pas en France.

En Allemagne, le chef du gouvernement, Angela Merkel, chancelière de droite, interpelle l’Europe sur son âme. Mais pas en France. En France, le Président de la République et le Premier Ministre, de gauche, se terrent dans le silence. Les Universités d’Eté n’ont pas vraiment résonné d’appels à la fraternité. La droite est, elle, au mieux pusillanime, au pire hostile.

En Autriche, l’Eglise, par la voix du Cardinal Schönborn a lancé un appel vibrant au réveil des consciences. « Cela suffit. Assez de mort, assez de souffrance, assez de persécution. Nous ne pouvons plus continuer de détourner le regard de ce qui est en train d’arriver », a-t-il repris sur Twitter. Mais pas en France.

Dans toute l’Europe, les quotidiens font leur Une de la photo déchirante du petit Ayan Al Kurdi, mort avec son frère, échoué sur une plage de Turquie. Mais pas en France. La France titre sur les tracteurs. La presse française commente les Unes des autres.

Non, pas en France. La France se tait et se terre. (1)

Cette crise révèle crûment la profonde déliquescence de notre pays. Le silence de notre pays met en lumière la crise globale qu’il traverse : économique mais surtout politique et morale.

D’où vient ce silence des autorités, la réserve de la presse, l’hostilité des Français ?

De la situation économique de la France ? « Nous n’avons plus les moyens de les accueillir ». La comparaison avec l’Allemagne peut le laisser penser. Mais comparons-nous avec plus pauvre, plutôt qu’avec plus riche : Pierre Jova, un ami journaliste de retour des Balkans, ayant assisté sur place à l’accélération de l’entrée des réfugiés, me confie comme la Serbie, pourtant bien plus pauvre que nous, est aussi très accueillante envers ces réfugiés. A-t-elle « les moyens », elle ?

Des attentats que nous avons subis ? Le contexte n’est pas favorable, les réfugiés ont mal choisi leur moment. Je ne suis pas persuadé que cette explication soit déterminante, j’accepte de ne pas l’exclure.

De la montée du Front National ? Il vient plus probablement de l’état de sidération du pays face au Front National, face à Marine Le Pen, face aux thèmes qu’ils soulèvent. Combien de fois ces derniers temps l’opportunité de traiter un sujet n’a-t-elle pas été tranchée par cette angoisse : faire le jeu du FN ? Angoisse insoluble puisque, quoi que l’on fasse, il y aurait une raison de faire le jeu du FN. L’exécutif ne la quitte pas des yeux, la droite non plus. Elle est pourtant un symptôme.

Avec le FN, il vient peut-être, me répondra-t-on, de l’opinion des Français. Elle vient alors, aussi, de la démission des politiques, qui suivent une opinion qu’ils devraient contribuer à forger, qui ont renoncé à être des meneurs d’hommes, qui ne courent plus le risque de l’impopularité par fidélité à leurs convictions, pourtant la seule gloire possible du politique.

Il faut pourtant parler aujourd’hui. C’est une responsabilité historique, comme fut celle d’un Mgr Saliège en 1942.

Ce silence vient du plus profond du néant, du néant français. Nous ne sommes plus rien. A tout le moins ne savons-nous plus qui nous sommes. Je lis que la droite comme la gauche entendent faire la prochaine campagne sur l’identité. François Hollande aurait décidé de développer son propos autour d’un concept alternatif à l’identité française, l’identité nationale : l’âme française.

Mais l’âme française est en train de sombrer en mer méditerranée, elle s’échoue sur une plage de Turquie. D’un point de vue laïc, l’âme française c’est le « pays des droits de l’Homme », c’est la capacité de la France à parler au monde. Où sont les droits de l’Homme, quand la France détourne le regard du corps d’un enfant de quatre ans, mort noyé le jour où nous emmenons les nôtres avec leurs petits cartables poursuivre leur avenir ? L’âme française, elle est aussi dans ce christianisme qui a forgé la France, lui a fourni nombre de ses valeurs laïques, ce christianisme qui confesse l’amour du prochain, l’accueil de l’autre.

J’entends l’angoisse identitaire face à ces réfugiés étrangers et musulmans, et je ne la néglige pas. Mais quelle sera donc cette identité française, cette âme française, si nous fermons les yeux sur la détresse des réfugiés (encore bien relatée ici). Quelle « âme française » défendra-t-on demain, qui se sera reniée aujourd’hui ? Pour quelles « racines chrétiennes » et quelle « civilisation chrétienne » prétendrons-nous nous battre, quand nous les aurons vidées de leur substance ?! 

Cette angoisse vient aussi légitimement de l’effacement progressif mais constant de cette identité, de cette âme, que l’on s’avise soudain de réveiller. Alors, nous ne voulons pas accueillir ces réfugiés, quand bien même leur nombre est encore d’une importance relative, parce que nous ne sommes pas au clair avec notre identité. Nous paniquons face à ces hommes et ces femmes parce que nous percevons bien qu’ils ont, eux, une conscience claire de leur identité – culturelle et religieuse – qui aurait vite fait de s’imposer. Là encore, l’exemple Serbe est parlant, car il y a fort à parier que ces Serbes, parfois trop au clair avec leur identité, sauraient rappeler qui ils sont à des réfugiés qui l’oublieraient.

Nous devons accueillir ces réfugiés, au risque de mourir à nous-mêmes. Mais nous devons aller au-delà. Car cette situation n’est pas une situation transitoire. Or, nous ne pouvons pas les accueillir comme nous avons accueilli les précédents. Nous ne pouvons pas garder les mêmes attitudes, les mêmes complaisances, ces indulgences coupables passées qui ont fait le lit du rejet d’aujourd’hui.

Nous devons savoir et assumer qui nous sommes. Nous devons cesser de perdre notre temps à débattre des évidences. La gauche doit cesser de penser, dans la lignée des premiers révolutionnaires, que l’Histoire de France commence en 1789, que dix-huit siècles d’Histoire politique et culturelle n’ont rien à dire à notre pays. Les derniers réfractaires, souvent catholiques, doivent reconnaître la contribution des Lumières, parce qu’elle est un fait (2). Nous devons reconnaître pleinement les racines chrétiennes de la France, et les valeurs chrétiennes qui restent profondément ancrées dans notre pays.

Nous devons assumer sans tergiverser que ces contributions sont des contributions prééminentes dans notre pays, et qu’elles doivent être respectées à ce titre. Puisqu’elle existe, la charte des droits et devoirs du citoyen français, qui pourrait être enrichie, ne doit plus seulement être remise lors de l’acquisition de la nationalité, elle doit être préalablement approuvée et il faut en vérifier la connaissance et la compréhension. Nous devons valoriser activement les jeunes issus de l’immigration qui apportent leur contribution au pays, et n’avoir pas d’indulgence pour ceux qui le dénigrent. Nous devons combattre de façon déterminée l’islamisme quand il gangrène nos quartiers.

Nous devons, encore, cesser de nous complaire dans la commémoration des erreurs de la France, et en célébrer par principe les pages glorieuses. Nous devons encore travailler véritablement au développement des pays d’origine, ce que nous faisons peu, et de moins en moins, y compris depuis 2012. Et la liste des chantiers est encore longue.

Ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons accomplir notre devoir, qui est d’accueillir aujourd’hui ces réfugiés, auxquels nous ne pouvons pas faire supporter le poids de nos errements passés. Le chemin est certainement long, et d’autant plus difficile qu’il sera entravé par  les attentats de Daech dans sa stratégie de « choc civilisationnel ».

Mais dans l’immédiat, nous devons accomplir ce devoir d’accueil et de secours. Au nom de la dignité de la personne humaine, celle du petit enfant attendrissant, celle de l’adulte qui l’est moins. Et pour rester dignes de l’âme française.

1 Soyons clair : je ne veux pas ignorer les convictions sincères des uns et des autres. Je n’ignore pas que certains quotidiens ont fait leur Une les jours précédents sur cette crise des migrants, des réfugiés – ni que Le Monde a pu faire sa Une avec cette photo. Je n’ignore pas non plus que de nombreux prêtres, évêques, cardinaux, français, ont réagi de façon claire et régulière sur le sujet. Que des politiques ont pu, de-ci de-là, écrire quelque tweet, ou réagir à quelque interrogation. Je fais le constat factuel, ici et surtout maintenant. [↩]

2 et qu’elles ont parfois brusqué la réalisation des intentions en germe dans le christianisme : voir à ce sujet Chantal Delsol, Le nouvel âge des Pères, éditions du Cerf [↩]

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