Petit mémo à l’attention de Cécile Duflot sur ce qui crée vraiment les bulles immobilières <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot.
L'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot.
©Reuters

À noter

"En détricotant la loi, Hollande et Valls renforcent la bulle immobilière". C'est ce qu'a déclaré l'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot à propos de la loi ALUR dans une tribune publiée dans "Le Monde".

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Atlantico : Dans une tribune publiée dans Le Monde, l'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot critique le "détricotage" de la loi ALUR en indiquant que les bulles immobilières sont nourries par les politiques de défiscalisation et que la libération des loyers ou la hausse des construction n'ont guère d'impact. Une analyse qui va à l'encontre de la plupart des experts. Concrètement, qu'est-ce qui aujourd'hui est le levier le plus fort d'une bulle immobilière ?

Mathieu Mucherie : Tout d’abord, nous étions bien en bulle et il faudra une décennie au rythme actuel de baisse des prix pour la crever. Les données de Frigitt sont très claires, en particulier celles sur le rapport revenus/prix.

Il ne faut jamais croire ceux qui présentent l’immobilier comme la seule classe d’actifs qui ne baisse jamais. C’est un cyclique particulier, certes, plus long, sur des actifs spécifiques où se greffent des raisonnements parfois sentimentaux (valeur d’usage du bien, effet de dotation et valeur nobiliaire du statut de propriétaire dans la plupart des milieux sociaux, etc.), mais les baisses n’en sont pas moins redoutables, d’autant que la liquidité de certains biens sur ce marché peut subitement devenir très douteuse et que l’effet de levier peut se transformer en effet boule de neige de la dette en cas de déflation. Dieu merci, nous ne sommes pas financés à taux variables comme les espagnols.

La bulle nécessite le plus souvent la conjonction d’une demande excessive et d’une offre restreinte. La demande excessive vient le plus souvent d’une rencontre entre l’enthousiasme des hauts de cycle, les stimulations fiscalo-sociales et l’effet ciseaux positif sur les taux d’intérêt (quand les taux longs nominaux se situent en dessous du rythme du PIB nominal, c'est-à-dire quand les revenus progressent plus vite que les coûts de financement). Les restrictions sur l’offre sont un grand classique de nos sociétés bureaucratiques où tout est fait pour avantager les insiders, au nom bien sur de nobles causes médiatiques (la limitation de l’étalement urbain alors que les ménages veulent acheter de la distance sociale, les normes environnementales pour un monde sans CO2, etc.).

En France la stimulation artificielle de la demande se fait principalement par le canal pseudo-social (je connais des couples qui travaillent dans la finance et qui habitent dans un HLM archi-subventionné intra-muros) et les restrictions sur l’offre sont massives, par empilement. Les analyses de Vincent Benard s’appliquent ici parfaitement. Tout cela coûte très cher pour aider des gens qui ne sont pas pauvres, mais il faut croire que tout cela a un bon rendement politique. On se retrouve dans le cas typique du rationnement par la file d’attente où certains sont plus égaux que d’autres, loin de la transparence du rationnement par les prix. Il est ensuite difficile d’en sortir, ce n’est plus de la politique économique mais de l’économie politique. Jusqu’à ce que cela explose.

Si il faut contraindre le moins possible l'offre, faut-il pour autant ne pas stimuler la demande ? En période de crise, ne peut-on pas craindre que si une demande n'est pas soutenue par des aides, le marché s'effondre ?

Il faut stimuler la demande agrégée, le PIB nominal, après des années de joug BCE, soit. Via un QE et une dévaluation, pour que l’emploi et l’investissement cessent de dépérir. Mais pourquoi stimuler la demande immobilière ? Est-ce que la pierre permet de bien préparer l’avenir ? Alors que nous bénéficions tous les jours de la bulle sur le high-tech, bénéficions-nous de celle sur le logement ? N’est-ce pas un actif mort et un secteur où les gains de productivité sont faibles ? Est-ce qu’avantager les rentiers et les notaires constitue le nec plus ultra d’un gouvernement qui se dit passionné par le social ? Le marché DOIT baisser, c’est la logique, et c’est la justice. Par contre on peut s’organiser pour qu’il ne s’effondre pas trop vite. Avoir des taux au niveau des perspectives de PIB nominal (des conditions monétaires neutres, et non pas restrictives comme en 2012 et 2013), c'est-à-dire proche de la nullité dans un pays où l’inflation est morte et la croissance quasi-nulle, voilà qui limitera la chute. Et ça tombe bien, c’est ce qui se passe sur les marchés depuis quelques mois (même s’il y a encore des efforts à faire) (la BCe devrait mettre les taux courts en dessous de zéro pour se faire pardonner ses fautes). Les traders obligataires et le PTZ, même combat !

(NB : le graph n’est pas actualisé : l’OAT 10 ans est à 1,28% ce matin… ce qui signifie que les taux immobiliers vont baisser dans les mois à venir)

Si on avait appliqué au pied de la lettre la loi ALUR, qui auraient réellement été les gagnants et les perdants sur le marché ? Et qu'est-ce que cela aurait changé par rapport à la situation initiale ?

Je ne suis pas un spécialiste du secteur mais je peux parler d’un fait bien documenté par les économistes, valable sur tous les continents et à toutes les périodes : l’encadrement des loyers et des prix peut détruire plus surement une ville qu’un bombardement au napalm. Dans un article lumineux et amusant publié en 1948, deux futurs prix Nobel, Stigler et Friedman, montraient que ce type de réglementation dissuadait les propriétaires d’investir, avec en bout de chaine une orientation vers le squattage généralisé (pensez au New-York des années 1970). L’article n’a pas pris une ride, et précise bien que les contrôles engendrent de nouvelles demandes de contrôles, en spirale. Les termites font moins de dégâts que les petites planificatrices dans le genre Duflot.

La bulle immobilière, par exemple en Ile-de-France, n'est-elle pas nourrie également par une tension démographique ? Les bulles sont-elles forcément issues de législations parasitaires, ou existe-t-il aussi un contexte "naturel" propice à la bulle ?

Bof. Prenez le cas US. La croissance démographique et économique était forte à Atlanta, à Dallas, à Houston. Elle était beaucoup moins forte à San Francisco. Et pourtant la bulle des années 1998-2006 a eu lieu dans les lieux de faible croissance (Detroit fait exception à ce paradoxe). D’un coté, "Flatland", peu de restrictions foncières, des POS flexibles, une Amérique des familles. De l’autre une Amérique de bo-bo de centre-villes, où il faut obtenir toute une chaine d’autorisations pour pouvoir construire. Il faut croire que les restrictions sur l’offre ont joué un rôle plus déstabilisant que les stimulations de la demande (la politique fiscalo-budgétaire d’accession à la propriété de Clinton et de Bush fils, et la politique monétaire soit disant laxiste de Greenspan avec des taux en apparence bas). C’est du moins la conclusion des études les plus pointues, celles de Glaeser en particulier pour le NBER. La même politique monétaire sur tout le territoire, les mêmes banques et subprimes, mais… une bulle qui ne va pas là où s’y attend quand on ne s’intéresse pas aux réglementations locales.

J’imagine que ce phénomène est et sera encore plus accentué en France, où de toute façon la stimulation fiscale de la demande n’a plus guère d’avenir (du moins si l’on souhaite ménager les maigres marges de manœuvre des autorités publiques). C’est pourquoi l’enterrement de la loi ALUR est une bonne chose, mais ce n’est qu’un premier pas timide. L’abolition pure et simple du ministère du logement serait préférable au changement de son locataire… et en prime cela libérerait des mètres carrés intra-muros.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !