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Petit bilan d’Eric Dupond-Moretti au ministère de la Justice, un an après son arrivée
©Ludovic MARIN / AFP

L’heure des comptes

Et si, sous son allure sérieuse de jeune manager-financier, M. Macron cachait l’âme espiègle d’un ado-provocateur ?

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Et si, sous son allure sérieuse de jeune manager-financier, M. Macron cachait l’âme espiègle d’un ado-provocateur ? Ainsi, on imagine les experts ès-appareil d’État du cénacle présidentiel informés - blêmes - que M. Dupond-Moretti sera le prochain garde des Sceaux. On devine leurs objurgations horrifiées... tsunami judiciaire... chiffon rouge au mufle du taureau syndical... rage muette de la lisse noblesse de robe, au sadisme vengeur inégalé... 

M. Macron, enchanté de sa combine, jubilant du tour joué à tous ces médiocres : vous verrez ! On commence à voir : un garde des Sceaux sèchement convoqué par la Cour de justice de la République, c’est du jamais vu (sauf pour un ectoplasme post-Taubira). 

Mais avant d’exposer le désastre de notre justice - le vrai sujet, au fond - parlons du garde des Sceaux : un souvenir de terrain nous aidera. À l’été 1984, l’auteur est à Peshawar, aux confins Pakistano-Afghans. Les guerriers pachtounes s’exaspèrent alors du tourisme de riches héritiers d’Arabie, soutenant (de loin) la guérilla anti-soviétique, en bottines et sahariennes de luxe ; ils les qualifient, dans leur dos, de Gucci-Moudjahidine.

Accéléré-avant au nord de la France, le mois passé, où M. Dupond-Moretti fait du Gucci-militantisme. Sur des photos BestImage, agence de la glauque-détenue Mme Marchand, notre garde des Sceaux, sapé genre milord, simule le collage d’affiches avec la touchante maladresse du jeune cheikh saoudien maniant sa première Kalach’. Et ce sera ça et rien d’autre d’ici le printemps 2022 - sauf si entre temps, quelque aléa politico-judiciaire...

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Ainsi vit la société du spectacle. Mais pendant ce temps, comment va la justice ? Mal.

Depuis longtemps : notre institution judiciaire n’a jamais pleinement intégré, dans ses codes et effectifs, le passage du crime de l’individuel au collectif ; quand, dans les années 1960 et 70, divers terrorismes accablèrent l’Europe et qu’ensuite, vint le grand réveil des mafias, l’expansion du crime organisé, première mondialisation brillamment réussie.

Idéologie de certains magistrats... d’autres accablés de travail, sans moyens ni personnel qualifié : résultat accablant. Un exemple entre mille. En avril passé, quatre nuits d’émeutes dans les coupe-gorge de Roubaix : La Bourgogne, Croix-Rouge, Pont-Rompu. Des heures durant et par dizaines, des émeutiers attaquent les policiers, incendient des voitures. Les témoignages précis abondent. Résultat, 3 lampistes prennent... 70 heures de travail d’intérêt général (TIG) - c’est à dire à rien, on le verra plus bas. Hilares, nos trois sous-doués de l’émeute rentrent chez eux, mains dans les poches. Idem, partout en France.

Faute de mieux, le régalien-macronien fait du factice. Roubaix encore, et ses 50 (cinquante...) points de deal. Arme fatale selon M. Darmanin : l’amende de 135 euros pour « occupation de hall d’immeubles ». Fini les guetteurs et dealeurs ! Or des lois existent déjà sans qu’on les applique jamais, comme la « complicité de trafic de stupéfiants », 10 ans de prison, 150 000 euros d’amende : nul incarcéré en France de ce chef. 

Même, une loi-Sarko de 2003 réprimait déjà l’« occupation de halls d’immeubles », (2 mois de prison, 3 750 euros d’amende), inappliquée aussi. Enfin, Macron regnante, tout guetteur ou dealeur connaît la parade absolue à l’inculpation. Pas de carte d’identité sur soi ? Houla ! songe le flic de base : trajet au commissariat... procédure lourde et complexe - regardons plutôt ailleurs... Mais même si des gendarmes ou policiers héroïques arrêtent des émeutiers ou dealeurs, voilà ce qu’il advient. 

D’abord, l’érosion toujours pire entre la peine encourue par la loi ; la peine prononcée par le/les magistrat(s) et la peine exécutée. Sous un an et hors-récidive, zéro mandat de dépôt. Comme aujourd’hui, les courtes peines sont hors-la-loi, le « condamné » peut enchaîner les infractions suivies de sentences-bidon ; même, ces criminels confirmés empilant les sursis avec « mise à l’épreuve ». Plus, la lenteur d’un engorgement sans fin. En 2018, 32% des sentences s’exécutent sur le champ : 68% des condamnés-calendes-grecques restent libres.

Parade en mode simulacre, le recours massif de notre justice à la « probation », au lieu de l’incarcération. La France a l’un des taux de « probationnaires » les plus hauts d’Europe, 265 pour 105 détenus. Là est le domaine des SPIP, Services pénitentiaires d’insertion et de probation ; là règne le chaos judiciaire.  

Enquêtant naguère sur ces SPIP, une journaliste du Figaro énumère, effarée, l’absurde catalogue des « alternatives à la prison » : Condamnés par centaines égarés... bracelets électroniques portés par éclipses.... mises à l’épreuve (sur base « déclarative »)... détention à domicile... travail non-rémunéré... sursis probatoire... libération conditionnelle... aménagement de peine... libération sous contrainte... Sursis+TIG... suivi socio-judiciaire... surveillance judiciaire... on en oublie. D’emblée une jungle, rendue inextricable par le libre-arbitre de magistrats pouvant, dans ce foutoir, choisir... nuancer... atténuer... panacher !

Nettoyer de telles écuries d’Augias exigeait Hercule à la justice. 

Or M. Macron a choisi M. Dupond-Moretti. 

Waterloo derechef : On attendait Némésis - et on a eu Gucci.

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