Pendant que tout le monde parle des batailles de Raqqa, Falloujah et Mossoul, voilà la vraie nouveauté du front syro-irakien<!-- --> | Atlantico.fr
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Des attentats à la bombe revendiqués par l'Etat islamique ont fait plus de 100 morts ce lundi 23 mai, notamment à Tartous.
Des attentats à la bombe revendiqués par l'Etat islamique ont fait plus de 100 morts ce lundi 23 mai, notamment à Tartous.
©Reuters

Nouvelles cibles

Ce lundi 23 mai, la côte syrienne, fief de Bachar el-Assad, a été frappée par plusieurs attentats revendiqués par l'Etat Islamique. Après plus de cinq ans de conflit, c'est la première fois que le groupe terroriste s'en prend à cette zone, jusqu'ici relativement préservée.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Des attentats à la bombe revendiqués par l'organisation Etat islamique (EI) ont fait plus de 100 morts ce lundi 23 mai à Tartous et Jableh, deux villes situées sur la côte méditerranéenne de la Syrie. Cette région où se trouvent des bases russes est le fief de Bachar el-Assad. Dans quelle mesure ces attentats représentent-ils une nouveauté, tant symboliquement qu'en termes stratégiques ?

Alain Rodier : Les attentats survenus à Tartous et à Jableh dans le fief alaouite de la côte méditerranéenne syrienne le 23 mai sont une première. Si différents mouvements rebelles avaient bien mené des actions de ce type dans le passé, c’est la première fois qu’une opération coordonnée est déclenchée directement dans le fief du clan el-Assad (il y a déjà eu des opérations terroristes à Lattaquié même, dont des tirs de roquettes).

A Tartous, c’est surtout un terminal de bus qui a été visé par une voiture piégée et deux kamikazes qui ont pénétré à l’intérieur. A Jableh, située à 60 kilomètres au nord de Tartous, c’est la gare routière, la compagnie d’électricité et deux hôpitaux qui ont été atteints. Une voiture piégée a explosé à l’extérieur de l’un des deux établissements hospitaliers et un kamikaze a accompagné les blessés dans le deuxième où il s’est fait exploser aux urgences. L’objectif était de faire un maximum de victimes puisque c’étaient des lieux publics civils qui étaient ciblés. Lundi soir, 148 morts étaient dénombrés mais le bilan devait s’alourdir, les blessés étant nombreux (environ 250).

Le symbole du fief alaouite, berceau du clan Assad, était également visé mais aussi la volonté de monter un peu plus les communautés les unes contre les autres. En effet, les populations des localités littorales syriennes ont été considérablement accrues par les réfugiés intérieurs -particulièrement sunnites- qui ont fui les zones disputées par la rébellion. Le Groupe État Islamique (GIE ou Daech) a revendiqué rapidement ces opérations mais cela était presque inutile, les autres formations rebelles dont le Front Al-Nosra (FAN), la représentation d’Al-Qaida en Syrie, se refusant à tuer directement des civils et privilégiant des objectifs militaires, policiers, politiques, religieux (comme le mausolée chiite Sayyida Zaynab situé dans la banlieue de Damas) ou économiques, ce qui n’exclut bien sûr pas des pertes collatérales.

Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que Daech n’est officiellement pas présent dans cette région, bien que la revendication soit signée par la "wilayat al-sahel" (de la côte) ! Il s’agit donc soit de commandos infiltrés depuis l’extérieur, soit de cellules terroristes clandestines qui attendaient l’ordre de passer à l’action. C'est vraisemblablement un mélange des deux.

Des attaques très meurtrières ont aussi touché Bagdad récemment. Affaibli par les frappes aériennes, l'Etat islamique est-il condamné à s'enfermer de plus en plus dans une stratégie de guerre asymétrique ?

Depuis l’intervention russe en septembre de l’année dernière et même depuis la proclamation d’un cessez-le-feu en février 2016 - dont sont exclus Daech et le Front Al-Nosra -, la bataille fait rage sur l’ensemble de la Syrie. A savoir que les forces gouvernementales profitent du regain de combativité apporté par l’aide des militaires russes qui, en plus de l’appui aérien, ont apporté un renforcement des forces terrestres, notamment dans les domaines du commandement, de la logistique et des feux sol-sol, pour repartir à l’offensive.

Les forces légalistes ont ainsi grignoté peu à peu du terrain et regagné quelques localités comme Palmyre ou des quartiers d’Alep et de Damas. Toutefois, elles ne sont pas en nombre suffisant pour progresser beaucoup plus en avant.

Il n’empêche que le GEI se retrouve attaqué, non seulement en Syrie mais aussi en Irak (1) par les forces régulières, les milices chiites et les Kurdes. Afin de desserrer l’étau pesant sur ses épaules, Daech utilise deux méthodes : des contre-attaques sur les lignes de communications de ses adversaires qui sont souvent très étirées du fait de l’importance des distances, et des actions terroristes conduites dans les grandes agglomérations. Dans ce domaine de la guerre asymétrique, il faut aussi citer les villes kurdes qui sont soumises aux mêmes menaces. L’objectif est double : galvaniser les activistes qui ne supportent pas d’être sur la défensive, et terroriser l’adversaire en lui montrant qu’il n’a pas de bases arrières sûres.

Tout ce qu'il se passe sur le front irako-syrien ne doit pas faire oublier que le GEI est à l’offensive dans ses "provinces" (wilayat) extérieures : Libye, Égypte, Nigéria, Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, Caucase, Extrême-Orient sans oublier la menace terroriste pesant sur les pays "infidèles".

  1. (1) L’opération devant libérer Falloujah, ville située à 58 kilomètres à l’ouest de Bagdad et conquise par le GEI en janvier 2014, a débuté le 23 mai. Cette action très médiatisée est toutefois risquée. En cas d’échec, c’est la capacité des forces légalistes irakiennes à reprendre Mossoul qui sera remise en cause. A noter que le major général Qassem Suleimani, le chef de la force Al-Qods des pasdaran iraniens serait présent en personne pour coordonner l’action des milices chiites.

Comment ont réagi la Russie et le régime de Bachar el-Assad à ces violences inédites, ou comment comptent-ils le faire ?

L’implantation russe de Tartous et la base aérienne de Hmeimim (aéroport de Lattaquié) sont ultra-protégées et donc très difficiles à attaquer. Même très peu de personnels syriens sont autorisés à pénétrer à l’intérieur des zones où sont stationnés les Russes. C’est le commandement russe qui assure la sécurité et la vie de ses personnels. Par exemple, les coupures de courant fréquentes en Syrie n’affectent pas les installations russes qui sont équipées des générateurs nécessaires à faire face à leurs besoins. Il n’empêche que certains détachements sont excentrés en-dehors des bases principales, par exemple sur l’aéroport de Chayrat au sud-est d’Homs ou même à Palmyre. Ces installations relativement sommaires sont plus vulnérables et peuvent essuyer des attaques terroristes, en particulier des tirs de mortiers ou de roquettes.

En ce qui concerne les Russes, les défenses rapprochées de leurs implantations vont vraisemblablement être encore renforcées. Pour éviter les tirs depuis l’extérieur des enceintes évoqués précédemment, le nombre de pièces d’artillerie capables de délivrer des feux de contrebatteries va être accru. La défense rapprochée également assurée par des hélicoptères armés prêts à décoller 24h/24 va être renforcée.

Pour le régime, cela est beaucoup plus compliqué car il ne peut matériellement protéger toutes les populations civiles dont il a la charge. Depuis le début de la guerre civile, il encourage le développement de milices locales chiites, kurdes, chrétiennes, alaouites et même sunnites qui sont chargées de défendre leur zone de vie. Ces milices sont souvent formées par des instructeurs du Hezbollah libanais. Leur développement devrait donc encore s’accroître.

Mais il est probable que les attentats vont se multiplier dans l’avenir un peu partout en Syrie mais aussi en Irak. Le mois du ramadan qui devrait débuter le 6 juin va être à hauts risques puisque les islamistes radicaux ont toujours privilégié cette période pour accentuer leurs actions violentes. D’ailleurs, pour notre information, Daech a aussi prévenu qu’il allait cibler l’Europe durant cette période. Le ramadan est effectivement un moment privilégié pour le jeûne, la Zakat Al Fitr (les dons aux nécessiteux) et la prière mais aussi pour le djihad guerrier !

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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