Pécresse, Zemmour, Le Pen : quel avenir pour le « cordon sanitaire » ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour entouré de Gilbert Collard, le vice-président du parti Guillaume Peltier et Laurence Trochu, lors de son meeting au Palais des Victoires à Cannes.
Eric Zemmour entouré de Gilbert Collard, le vice-président du parti Guillaume Peltier et Laurence Trochu, lors de son meeting au Palais des Victoires à Cannes.
©Bertrand GUAY / AFP

Petits calculs entre ennemis

Les tensions grandissantes entre le camp Le Pen et le camp Zemmour et les ralliements de soutiens de l’une vers l’autre montrent que le rapport de force à droite de LR est loin d’être figé et que les calculs font rage sur l’avenir de la droite.

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Les tensions grandissantes entre le camp Le Pen et le camp Zemmour et les ralliements de soutiens de l’une vers l’autre montrent que le rapport de force à droite de LR, et peut-être même LR inclus, est loin d’être figé d’une part et que les calculs font rage sur l’avenir de la droite d’autre part. Le cordon sanitaire établi depuis des décennies entre la droite et la droite nationale est-il en train de voler en éclat ? 

Benjamin Morel : On note un degré plus ou moins élevé de porosité. Il faut réfléchir à trois niveaux : celui des élus, celui des militants et celui des électeurs. 

Concernant les élus : les évolutions devraient rester marginales chez LR. Charles Pasqua disait que le RPR amenait les électeurs et l’UDF les élus. La création de l’UMP n’a pas changé la règle. Le centre droit est largement surreprésenté parmi les cadres et barons de la droite par rapport à son poids dans l’électorat. Ces élus n’ont pas de vraie différence de fond avec LREM, ce qui les sépare du président ce sont des options stratégiques. Ils ne vont pas rejoindre une candidature RN ou Reconquête, ni vraiment remettre en question la stratégie du cordon sanitaire. Au RN la situation est différente. Une partie des cadres fait le calcul que : d’abord, ils sont en froid avec Marine Le Pen ; ensuite, le parti est très endetté et ne survivra peut-être pas à un nouvel échec présidentiel (alors que Reconquête est assez riche grâce à ses adhésions) ; enfin, le parti étant nouveau et à construire les premiers arrivés seront les premiers servis. On a donc une porosité notamment au sein des milieux Marion-Maréchalistes et Mégrétistes, mais qui témoigne bien plus d’un calcul tactique et des oppositions idéologiques au sein du RN que d’une recomposition profonde. 

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Concernant les militants, la porosité est bien plus grande. On a notamment chez les jeunes une génération de droite qui a été formée sur le même corpus idéologique et culturel ; dont ont fait parti les livres et émissions d’Eric Zemmour. C’est d’ailleurs ici la première digue qui a sauté, ce dont témoignent les adhésions à Reconquête. À l’inverse du milieu militant de gauche qui est totalement déconnecté de l’électorat, cette base militante est, sinon représentative, en tout beaucoup plus à l’image des électeurs et de leurs évolutions idéologiques que les grands barons de LR. 

Concernant les électeurs, la stratégie du cordon sanitaire n’est pas non plus tout à fait morte. L’électorat LR connaît encore un fort effet cordon sanitaire, mais qui demeure de moins en moins important en se rapprochant de l’électorat le plus politisé. Dans l’enquête IPSOS pour le Monde du 22 janvier, on note ainsi qu’en cas de second tour Le Pen-Macron, 45 % des électeurs se replient sur l’actuel locataire de l’Élysée, contre 30 % sur Marine Le Pen. Si l’on regarde les souhaits des sympathisants, pas forcément représentatifs des électeurs, l’évolution est même plus profonde. Dans une enquête Opinion Way pour votre journal de novembre 2021, 58 % des sympathisants LR se disaient ainsi d’accord avec la participation de leur parti à la majorité en cas de victoire d’Eric Zemmour. 

Atlantico : Le qualificatif d’extrême-droite souvent utilisé par leurs adversaires vous paraît-il approprié pour décrire de ce que sont aujourd’hui politiquement et idéologiquement Marine Le Pen et le RN d’une part, Éric Zemmour et Reconquête d’autre part ? Que nous apprend de ce point de vue la comparaison avec l’échiquier politique d’autres démocraties libérales occidentales ? 

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Benjamin Morel : Il y a beaucoup de confusion sémantique sur le terme extrême droite, tant et si bien que l’on arrive toujours à vous accuser de quelque chose que vous l’utilisiez ou ne l’utilisiez pas. En soi, extrême droite veut simplement dire que la formation en question se situe sur le créneau le plus à droite de l’échiquier politique. Stratégiquement, cela tend à limiter ses possibilités d’alliances, même si la Liga en Italie a montré que la créativité pouvait être de mise. C’est un terme positionnel, « géographique », qui ne dit pas grand-chose du contenu idéologique et programmatique. Le RN est, selon cette définition, d’extrême droite. Si demain le parti disparaissait et qu’Horizon repoussait LR à droite, ce serait au tour de LR de représenter l’extrême droite…  

Le souci, évidemment c’est que le terme n’implique pas dans l’imaginaire qu’un positionnement sur l’échiquier politique. Il charrie des références historiques, idéologiques. L’espace de l’extrême droite a en effet été occupé par des courants politiques clairement racistes et antidémocratiques. Historiquement, on peut en distinguer principalement deux. Le premier est lié à la tradition maurrassienne. Le Maurrassisme repose structurellement sur deux piliers : l’antisémitisme et le régionalisme, impliquant le royalisme. L’État est pour Maurras le jouet des quatre « états confédérés » composant l’anti-France : soit les juifs, les protestants, les francs-maçons et les métèques. Ces derniers tiennent l’Etat, « pays légal ». Il faut lutter contre eux en s’appuyant sur le « pays réel », c’est-à-dire les cultures locales soutenues par leurs langues régionales. Maurras sait que la France devenue mosaïque de communautés ne tiendrait pas. Aussi l’autonomie n’est donnée qu’aux provinces de culture galloromanes (exit donc Bretagne, Alsace, Pays basque). Par ailleurs, pour garantir l’unité, il faut un Roi. On trouve encore certaines références à ce fondement idéologique dans l’ensemble de la droite ; mais aussi dans certains courants de gauche. Toutefois, il serait vraiment tiré par les cheveux de faire de Zemmour ou Le Pen des maurassiens alors qu’ils s’inscrivent clairement dans une conception néobonapartiste de l’Etat et de la Nation. 

La seconde tradition est une celle du nationalisme révolutionnaire. C’est la tradition des ligues qui enfantera le nazisme et le fascisme. On est aux antipodes de l’approche conservatrice et réactionnaire d’un Maurras. Ici, il faut au contraite faire la révolution pour bâtir une société nouvelle. S’il y a eu, et s’il existe encore, des mouvements fascisoïdes en France, les droites françaises ont toujours été plutôt marquées par le conservatisme que par la culture de la révolution. Eric Zemmour, qui a du mal à se projeter dans un avenir qui ne soit pas une restauration du passé, en est un cas caricatural. On est donc loin du fascisme. 

S’il se situe à l’extrême droite de l’échiquier politique en termes de positionnement, il ne faut donc pas d’abord rattacher ces candidats aux veilles traditions qui l’ont occupé avant eux. En réalité, on a affaire à deux avatars assez classiques des nouvelles droites européennes. Le RN de Marine Le Pen est un modèle de parti populiste de droite que l’on connaît partout ailleurs. On en voit une manifestation en Italie avec la Ligue ou en Espagne avec Vox. Ce n’est pas une affaire d’héritage politique. En Espagne les héritiers du franquisme se retrouvent plus au Parti populaire, le grand parti de droite. En Italie, les héritiers du fascisme sont à Frères d’Italie, qui a longtemps fait partie d’une grande union des droites. Eric Zemmour se situe plus dans un mouvement national libéral, qui est aujourd’hui assez présent à travers Victor Orban en Hongrie, et qui a longtemps été préempté par l’AFD en Allemagne. Aujourd’hui, l’arrivée de Merz à la tête de CDU peut conduire la droite allemande à suivre cette voie comme l’a fait avant elle l’ÖVD en Autriche. Reste la radicalité du discours Zemmourien, et surtout ses références malhabiles au passé vichyste. Cela ancre Reconquête dans un imaginaire et des références d’extrême droite, comme l’AFD.  

Atlantico : L’union des droites invoquée par Éric Zemmour ou par les partisans de Marion Marechal vous paraît-elle une incantation sans grande perspective de réalisation ou un scénario crédible à court/moyen terme ? 

Benjamin Morel : Un peu les deux. C’est une perspective probable, car, comme on l’a dit, il y a une porosité ; et sans doute une fenêtre après 2022. Il existe aujourd’hui un électorat de droite divisé entre vote Pécresse, Zemmour et Le Pen qui peut se retrouver. C’est encore une fois ce que montre assez clairement l’enquête Opinion Way pour votre journal de novembre 2021. Cet électorat est uni par deux choses. D’abord une identité politique et une mise en récit de l’histoire des droites. Il ne faut jamais sous-estimer le poids des récits. Ensuite, certaines valeurs communes. Ce n’est pas évident sur les sujets économiques, mais très marquant sur la thématique migratoire. Dans un sondage CSA pour CNEWS, 72 % des électeurs de droite étaient pour une immigration zéro, contre 14 % à gauche. Mais dans le même temps, 21 % seulement des électeurs LREM étaient favorables à cette proposition, contre 60 % des électeurs LR. 

Là où je reste dubitatif sur cette stratégie, c’est qu’elle n’est pas forcément gagnante en elle-même. Elle ne peut être une fin en soi. Or, elle relève aujourd’hui un peu de la pensée magique. C’est la même démarche que l’Union de gauche. Il existe un électorat clairement poreux, mais, pour l’unir, il faut aussi accepter de perdre d’autres électeurs. Eric Zemmour a raison quand il constate que la multiplication des candidatures à gauche ou à droite n’a jamais empêché un candidat de ces camps de l’emporter. Il est contradictoire ensuite quand il prône l’union des droites comme martingale de la victoire. Déjà, de quoi parle-t-on ? Selon un sondage de la Fondation pour l’innovation politique pour Le Figaro en novembre 2021, 37 % des électeurs se situent à droite contre 20 % à gauche. Ça ne fait donc pas 50 %, une bonne partie des Français qui votent pour les candidats de droite ne le font pas par identité politique. Par ailleurs, il n’est pas certain que tous les Français qui se reconnaissent de droite se retrouvent dans l’union. Ceux dont l’identité de droite est la plus ancrée sont les personnes âgées. Or ce sont les électeurs de droite les plus rétifs à un vote RN ou Zemmour. Il y a d’ailleurs une vraie porosité avec le vote Macron. Dans l’enquête IPSOS pour le Monde du 22 janvier, Emmanuel Macron est le second choix de 40 % des électeurs de Valérie Pécresse contre 14 % pour Marine Le Pen et 17 % pour Eric Zemmour. L’union des droites risque de perdre beaucoup de plumes au centre. Par ailleurs, une grande partie de l’électorat Le Pen vient des classes populaires pas particulièrement attachées à une identité politique. Elles sont également attirées par un discours social du RN, qui n’est pas vraiment à l’épicentre de l’union des droites. Se retrouveraient-elles dans cette union ? Ce n’est pas évident. L’union a du sens si elle entre dans une recomposition à vocation majoritaire, ce qui implique de ne pas se regarder le nombril et de parler à un électorat plus large. C’était le cas avec Nicolas Sarkozy qui avait aussi développé un logiciel s’adressant à l’électorat populaire. À défaut, l’union n’est qu’une façon de se rapetisser. Une enquête IFOP pour Challenge d’octobre 2020 sur une candidature unique à gauche donne à Jean-Luc Mélenchon 15 %, 13 % à Yannick Jadot ou Anne Hidalgo. Il n’y a pas eu telles enquêtes pour la droite, mais je doute que le mouvement de perte soit fondamentalement différent. 

Atlantico : Les LR peuvent-ils stratégiquement se permettre de balayer les questions autour de la levée d’un cordon sanitaire comme ils l’ont fait depuis 40 ans ? Les LR sont-ils sûrs d’être le pôle dominant des droites de demain ? 

Benjamin Morel : LR est sans doute le parti le mieux placé pour réaliser cette union ; tout bêtement, car les électeurs de droite les moins polarisés auraient toutes les peines du monde à se retrouver dans une alliance menée par Eric Zemmour ou Marine Le Pen. Toutefois, ils pourraient accepter majoritairement une coalition les intégrant. Sur le papier, l’union de droite a donc beaucoup plus de chance de se réaliser sous la houlette de ce parti. Mais cela ne pourra aller sans grand schisme. Encore une fois, les élus au sein de LR sont plutôt centristes, notamment les élus locaux. Or, qu’est-ce qui fait la force de ce parti ? C’est justement son tissu d’élus locaux. En cas de nouvelles défaites en 2022, LR va se féodaliser encore un peu plus et dépendre de ses barons. L’intérêt de ces derniers n’est sûrement pas une aventure idéologique en vue de conquérir l’Élysée. D’abord, car cela ne correspond pas à leurs convictions profondes. Ensuite, car lors des élections locales deux forces dominent : l’abstention et les personnes âgées de centre droit. Une telle aventure serait donc doublement contre-productive pour eux. Il faudra donc un grand courage à une nouvelle direction pour imposer une telle stratégie contre les barons.  

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