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Toutes ces souffrances de la société française dont on ne parle pas
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Les oubliés

Si un récent rapport révélait que le harcèlement était un cauchemar vécu par un écolier sur dix, il est des cas difficiles et des solitudes peu connues, ou plutôt peu médiatisées.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Il est heureux qu’à partir d’un rapport récent [1], l’opinion se soit émue du drame des enfants harcelés – pour ne pas dire persécutés dans les cours de récréation ou à la sortie des écoles. Ils seraient environ un sur dix. Le phénomène n’est pas nouveau, mais autrefois les professeurs surveillaient les récréations et savaient ce qui s’y passait ; au moins dans le secondaire, ce n’est plus le cas.

La souffrance d’un enfant est toujours pathétique, d’autant que la plupart du temps ces enfants, honteux de leurs humiliations, n’osent pas en parler à leurs parents. Mais trop y insister conduirait à dénoncer la dégradation de la discipline à l’école, qui conduit toujours à la tyrannie des forts sur les faibles. Or « il est interdit d’interdire » dit la doxa.

Longtemps fut tue la souffrance des enfants dont les parents se séparent : il ne fallait pas avoir l’air de remettre en cause la libération sexuelle, le droit de « jouir sans entraves ». Le tabou commence à être levé. Il y a en effet de nombreuses souffrances dont on ne parle pas beaucoup parce qu’elles ne font pas partie du politiquement correct.

La pauvreté, l’exclusion sont choses dramatiques, surtout par grand froid, mais tout le monde les voit et en parle (et c’est très bien !) Il n’en fut pas toujours ainsi. Au temps du marxisme triomphant, la charité était tenue pour un cautère de mauvais aloi qui retardait la révolution : il fallait faire l’aumône en cachette. Mais si tout le monde s’émeut aujourd’hui du sort des sans-abri, on ne parle guère des nombreuses victimes de la mendicité forcée, sans doute majoritaires dans les rues de Paris, femmes, vieillards, jeunes filles dont les « parrains » passent à la caisse le soir. La police semble passive face à ces pratiques.

Les prisonniers ont aussi droit aujourd’hui, à leur part de compassion : il existe de nombreux visiteurs de prison. « J’étais prisonnier et tu m’as visité » dit l’Ecriture. De bonnes âmes s’en souviennent encore.

Et bien entendu les malades, pas seulement du sida, d’autant que tout le monde se dit que ce qui leur arrive pourrait nous arriver aussi.

Les discriminations fondées sur la race ou l’origine sont l’objet d’une stigmatisation publique obsessionnelle. Le Défenseur des droits, héritier de la HALDE veille. On ne dit guère, cependant, que s’agissant des immigrés, ces discriminations frappent les garçons et très peu les filles dont l’ascension sociale est remarquable. Les discriminations des femmes au travail sont bien réelles, mais, à y regarder de près, elles touchent surtout celles qui ont aussi la mauvaise idée d’être mères de famille, dont les carrières sont interrompues. Attention à ne pas trop le dire : défendre la femme oui, la mère de famille, danger : le spectre de Pétain n’est pas loin !

Être un immigré dans un pays où l’on n’a pas de racines et où la majorité peut vous voir d’un mauvais œil est sans doute inconfortable et quelquefois douloureux. Mais les immigrés sur le sol français disposent de trois atouts essentiels : ils bénéficient d’une solidarité collective qui leur reste des pays du Tiers monde d’où ils sont issus, de l’appui des médias, c’est dire des puissants de ce monde, des vrais, et du sentiment d’être sur une pente ascendante : ils vivent mieux que leurs parents et savent, pour la plupart, que leurs enfants vivront mieux qu’eux. Les pauvres indigènes qui vivent dans les mêmes quartiers ne bénéficient d’aucun de ces atouts ; pour comble de malheur, on les soupçonne de voter Le Pen !

Il existe bien d ‘autres souffrances que notre société ne prend pas en compte. Celle des garçons timides qui n’ont jamais osé adresser la parole à une fille. Environ 10% des Français meurent sans avoir eu de relations sexuelles : tous ne l’ont pas fait exprès. Celle des filles trop laides, que beaucoup de professeurs n’hésitent pas à mal noter, auxquels les employeurs préfèrent souvent une bimbo avenante. Les employeurs, et naturellement les garçons.

Sur d’autres registres, sait-on que certaines maladies mentales provoquent des souffrances indicibles : migraines intolérables, mal-être extrême. Sait-on la souffrance insondable des schizophrènes dont un sur dix se suicide ? A quand un Téléthon pour eux ?

Et puis il y a la solitude des jeunes et surtout des vieux, dont certains, en ces temps de désintégration sociale, n’ont aucun proche parent à qui s’adresser. La solitude, la déréliction économique (des revenus de moins de 500 € par mois) se conjuguent chez certains agriculteurs de montagne qui, eux aussi, se donnent la mort par dizaines. Grand est le malheur de n’être pas moderne : urbain, riche et à la mode ! On en parle moins que des salariés de France-Télécom, qui, eux aussi, sont victimes d’une modernisation brouillonne.

Tant mieux si certains pauvres sont à la mode. Mais que le Bon Dieu protège aussi ceux qui ne le sont pas !


[1] Rapport de l’Observatoire international des violences à l’école, rédigé pour l’UNICEF, du 29 mars 2011, connu en France à une date plus récente. 

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