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Patrick Le Lay, l’homme qui a fait de TF1 la plus puissante des chaines de télévision commerciale d’Europe
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Hommage

Patrick Le Lay est mort à 77 ans. C’est lui qui avait créé, avec Etienne Mougeotte, la plus puissante des chaines de télévision commerciale en Europe. Il a dirigé le groupe TF1, de 1988 à 2008, il a tout inventé.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

La première fois que j’ai rencontré Patrick le Lay, il m’a demandé si j‘étais breton.

- « Non monsieur, je suis né en Normandie, mais ma mère était de Redon, dans l’Ille et vilaine » 

- « Je sais que Redon est dans l’Ille et vilaine, c'est bien. »

- « J’imagine oui. »

- « Si votre mère était bretonne, vous êtes breton, on pourra s’entendre. Mais vous allez m’aider à ramener le Mont St Michel par chez nous »

- « Je sais Monsieur, que le Couesnon dans sa folie a mis le mont en Normandie, Mais très honnêtement, je ne crois pas que ce soit dans ma compétence de détourner ce petit fleuve ».

- « Vous pouvez commencer lundi ? »

On ne pouvait pas dire non à PLL. Surtout qu‘il avait souvent raison.

Patrick le Lay était donc breton et ne manquait jamais une occasion de rappeler les consignes que lui avait données son père : protéger et développer la Bretagne. A Rennes, beaucoup par exemple avaient rêvé d’une chaîne de télévision en breton, lui l’a faite dès qu’il a pu en créant TV Breizh. Il en était fier même si avec son compère Etienne Mougeotte, il fut obligé de programmer quelques séries très éloignées de la culture Bretonne. C’était le prix à payer pour garder sa liberté et son indépendance à l’égard de l’Etat central. Il fuyait Paris et son administration. Quand il a quitté TF1, François Pinault, un autre breton pur jus, lui a proposé de créer un fonds d’investissement et surtout la présidence du stade Rennais. Il aimait le foot mais sans plus, sauf que le » stade Rennais, en rouge et noir » comme le chantait Jeanne Mas quel pied !

Ingénieur en bâtiment et travaux publics, il fut choisi par Francis Bouygues pour piloter TF1, la toute nouvelle chaîne issue de la privatisation de la première chaîne publique.

A partir de ce jour, il n’a eu de cesse de hisser la chaîne en tête de toutes les audiences au point d’écraser le marché publicitaire. Il a réussi son pari en 20 ans, entre 1988 et 2008.

Avec Etienne Mougeotte, il a concocté un modèle gagnant. Des grandes émissions fédératrices daudience qui pouvaient rassembler 2 français sur 3, et des animateurs et journalistes vedettes qui incarnaient la chaine et défendaient son contenu. Et quand on dit qu’il a tout inventé, il a effectivement tout inventé ou permis aux inventeurs de s’exprimer : côté fiction avec Navarro , Joséphine ange gardien. Des jeux : la roue de la fortune , sacrée soirée, sans parler du sport, de la téléréalité ou de star académy qui accouchera de the Voice ...avec des noms qui remplissent aujourd’hui le dictionnaire de la télévision : Christophe Dechavanne , PPDA , Jean-Pierre Pernault, Claire Chazal .. Jean-pierre Foucault , Nicolas Hulot , Philippe Bouvard, ou Nikos Aliagas.

Etienne mettait en scène, créait le spectacle dans tous les domaines, de l'information au divertissement, Patrick produisait et veillait à ce que ce soit rentable. « Une télévision qui ne gagne pas d’argent, n’existe pas. Et pour gagner de l’argent, il faut faire de l’audience et l’audience ne vient quoi qu’on dise que si le programme est de qualité » C’était la règle d’or.

Alors beaucoup lui ont reproché d’avoir un jour réduit son métier à fabriquer du temps de cerveau disponible « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible » avait-il déclaré. On était en 2004 et TF1 était la chaîne de télévision la plus puissante d'Europe. Patrick Le Lay définissait alors ce qu'était le modèle de son entreprise : une machine à vendre des emplacements publicitaires au milieu de programmes qui dominaient outrageusement le paysage audiovisuel français.

Certains ont essayé de le défendre en expliquant qu’il s’agissait d’une maladresse. Ils ont tort, PLL assumait totalement sa provocation qui lui a collé à la peau jusqu’au dernier jour.

Mais jusqu’au dernier jour de son mandat, il a développé son modèle en ajoutant un bouquet de chaîne autour de la chaîne mère.

Là encore, on lui reprochera longtemps de ne pas avoir cru à la TNT, au digital et à l’international ..., parce que s’il y avait cru, le groupe serait sans doute plus puissant que Facebook aujourd´hui.

La vérité dans cette affaire, c’est que Patrick Le Lay croyait à la télévision payante. Il ne croyait pas à la télévision gratuite qui n’aurait vécu que de la publicité. Il avait raison, mais beaucoup trop tôt. Il croyait à la pay tv. 

La publicité s’est progressivement détournée de la télévision pour aller se réfugier dans le digital, tout comme les séries vidéo, les films ou l’information. TF1 a trop tardé à faire sa mutation digitale non pas parce que le couple Le Lay-Mougeotte n'y croyait pas, mais parce qu’ils appartenaient à un groupe dont l’effort d’investissement était principalement orienté sur la téléphonie mobile.

Patrick Le Lay a été d’une loyauté totale.  Mais tout ce qui s’est passé depuis dix ans lui a donné raison.

Patrick le Lay était, certains jours, impossible à vivre, brutal, exigeant, impitoyable avec la médiocrité ou la bêtise, mais toujours courageux, et juste.  Bienveillant et attentif avec tous ceux qu‘il avait choisis pour travailler près de lui. Il accordait sa confiance et tout était possible, à condition de respecter cette confiance.

Nous l’aimions profondément. Je l’aimais profondément. Il voulait être entendu, mais il passait beaucoup de temps à écouter.

Je pense à Dominique, je pense à ses enfants et ses petits enfants pour lesquels il dégageait ces derniers temps beaucoup de temps disponible de son cerveau.

Patrick est mort le lendemain de la Saint Patrick. Il était Breton, et pour un breton cette fête est sacrée. Il était breton et il est donc mort en pleine tempête contre la maladie à un moment où le monde qu’il a si souvent observé vacille.

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