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Paris-Plage : rêve en toc
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Mirage

Paris-plage fête ses dix ans cette année. La géographe Edith Fagnoni revient sur cette plage pavée de bonnes intentions : une "quasi caricature de vacances à la mer", selon elle.

Edith Fagnoni

Edith Fagnoni

Edith Fagnoni est Maître de Conférences en Géographie à l’Université Paris-Sorbonne (IUFM) et membre du Laboratoire EIREST (Equipe Interdisciplinaire de REcherche Sur le Tourisme) de l’Université Paris1 - Panthéon-Sorbonne.

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Avec Paris-Plage, la ville est temporairement scénographiée, et Paris-plage correspond à un objet fabriqué. Si le succès de l’opération est lié aux conditions climatiques, il manque cependant un élément essentiel : la mer. C’est donc la plage sans la mer en plein Paris. La scénographie joue avec une symbolique quasi caricaturale des vacances à la mer : le sable, les palmiers, les cabines de bord de mer rayées blanc et bleu. Cela soulève néanmoins un certain nombre d’interrogations voire de confusions.

Paris-Plage, propose l’expérimentation de nouveaux usages des berges liés aux nouvelles pratiques de loisirs urbains. Si au demeurant, la symbolique pérenne des lieux semble s’opposer à une sorte de gadgetisation de la plage, Paris-Plage reproduit les usages historiques des berges de Seine (farniente, pique-nique, musique, baignade). Les abords du Bassin de la Villette étaient le lieu de promenade de l’aristocratie du XIXe siècle qui l’avait surnommée le Petit Champs Elysée et dans les années 1930 les guinguettes et le canotage y rencontrent un vif succès. Paris-plage réactive ces activités nautiques, réinstalle des guinguettes (musique,parquet de danse, lumignons) et autres activités : boulodromes, etc. Le scénographe de la ville est comparable à un artiste, il apporte l’inédit, ce qui vient bouleverser l’ordre du programme. La plage urbaine correspond à des centralités temporaires qui prennent l’allure de station touristique et entraînent la confusion à la fois des lieux / des genres ou catégoriesde lieux (ville et station) et des pratiques spatiales.

Ville et station se mêlent pour former une sorte d’hybridation de l’espace qui repose sur une alchimie entre le « quotidien » et le « hors-quotidien » des individus, conduisant à l’infusion des pratiques et des lieux. Aussi, face à une sorte de cliché embrouillant toutes les images de la mer, (se retrouvent pêle-mêle guinguettes de bords de rivière, palmiers des tropiques, cabanons de plage de la Manche, ...), cette confusion, ce syncrétisme, ne contribuent-ils pas à la tendance de l'appauvrissement général des cultures et des particularismes ? Comme dans les jeux vidéo on crée une espèce de monde virtuel, fantasmé. Par ailleurs, cette tendance à vouloir mélanger les genres (le tourisme balnéaire en ville avec Paris-plage, ou a contrario l'urbanisation de certaines stations balnéaires comme la Grande Motte ou Benidorm) ne vont-ils pas finir par tuer le rêve ? Sur le plan social, au regard du résultat de la paupérisation de nos économies « riches » et d’une vision un peu figée des problèmes des populations citadines, l’opération Paris-plage n’est-elle pas une « caricature » des vacances à la mer pour les nouveaux pauvres intra-muros et banlieusards dont les « nantis » ne voudraient pas ? En leur livrant un rêve au rabais, ils ne réaliseront peut-être jamais le « vrai » rêve. Sur le plan de la grande question environnementale, on ne peut s’empêcher de se poserla question d’un constat d'incapacité à mener une politique environnementale qui rendela ville respirable. Ainsi, faute d'action, on crée l'illusion.

Enfin, depuis 2002, année de la première édition de Paris-plage, il y a eu une véritable répétition voire exportation du phénomène conduisant à une institutionnalisation rapide. Paris-Plage a fait école en Ile-de-France : Puteaux, Suresnes, Bobigny, Le Plessis-Robinson,Saint-Ouen ; en province : à Tourcoing, à Toulouse, à Dijon, à Lille, Metz, … si bien que l’on compte près d’une trentaine de plages urbaines françaises et à l’étranger en Europe et dans le monde : à Bruxelles, Berlin, Munich, Amsterdam, Rome, Budapest, Prague, mais aussi àTokyo, Santiago du Chili, New York. Aussi, face aux multi éditions des plages urbaines, que deviendra la notion d’événement quand l’opération se tiendra tous les ans danstoutes les grandes villes et métropoles ?

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