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Allemagne : Benoît XVI à la (re)conquête de ses compatriotes
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Nul n'est prophète...

En visite dans sa terre natale du 22 au 25 septembre, le pape s'exprimera devant le parlement allemand. Un acte rare que seul Jean Paul II avait fait et qui pose la question des relations entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel.

Paul Colonge

Paul Colonge

Paul Colonge a été professeur à l'Université Charles-de-Gaulle Lille-III.

Il est docteur ès lettres en études germaniques et spécialiste de l' Eglise Catholique.

Il est l'auteur de "Benoit XVI : la joie de croire" (Cerf)

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Atlantico : Quels sont les enjeux de la visite du pape en Allemagne ?

Paul Colonge : Il s'agit pour lui de porter le christianisme dans son pays car il estime qu'il est très affaibli. Le catholicisme se porte mal et le protestantisme, encore plus mal.


Ce voyage en Allemagne est-il selon vous un retour aux sources pour Benoît XVI ?

Il n'a jamais été vraiment séparé de son pays. Il a toujours conservé des liens avec l'Eglise d'Allemagne. Originellement, c'est surtout un patriote bavarois. Et puis, ensuite, il devient professeur d'université en Rhénanie, en Westphalie, au Wurtemberg et là il devient Allemand. Il n'y a jamais eu le même attachement entre Benoît XVI et l'Allemagne, qu'entre Jean-Paul II et la Pologne.

Il était déjà venu en Allemagne : lors des JMJ de Cologne -dont la ville hôte avait été choisie par Jean-Paul II- puis lors de son voyage en Bavière en 2008. Mais ce n'étaient pas des voyages « officiels ». Même si, à ce moment-là, le Président de la République et la chancelière l'avaient accueilli. Cette fois, c'est effectivement une rencontre entre le chef du Vatican et le chef de l’État allemand.


Jugez-vous incongrue cette visite d'un pape au Bundestag - on imagine mal Benoît XVI au Sénat ?

Le pape est reçu en tant que chef d’État. Il est d'usage que lorsqu'un chef d’État fait une visite en Allemagne, il s'exprime devant le Bundestag. C'est tout à fait normal.


S'attend-on à des annonces particulières lors de ce discours ?

Non, on ne s'attend pas à des surprises. Il va parler très certainement de la concorde entre les hommes, de l'amour du prochain... Mais cette visite au Bundestag est mal vue de certains partis : le Parti de gauche, héritier du Parti communiste, les Verts et également une fraction des sociaux démocrates. Il n'y a que les Chrétiens démocrates, évidemment, qui se réjouissent de voir le pape prendre la parole devant le Bundestag.


Cette tribune est un privilège habituel, dîtes-vous, mais faut-il aussi y voir l'influence d'Angela Merkel, membre de la CDU, l'Union chrétienne-démocrate?

Je ne le pense pas, la chancelière elle-même est protestante et fille de pasteur. Le fait que le pape soit d'origine allemande joue, c'est certain. Il va s'exprimer dans sa langue maternelle. Même s'il est contesté par une partie de l'opinion allemande, une autre se réjouit d'avoir un pape d'origine allemande.


Justement, cela change-t-il quelque chose d'être un pape allemand ?

L'influence allemande sur Benoît XVI est bien moindre que l'influence polonaise sur Jean-Paul II. Le patriotisme est beaucoup plus fort en Pologne. Cependant, une partie de l'opinion allemande se réjouit que le pape soit allemand. Ces Allemands se disent que l’avènement d'un pape allemand est la preuve que l'Allemagne est rentrée dans le concert des nations et qu'on ne lui reproche plus continuellement son passé nazi...


A-t-on oublié pour autant les photos du jeune Ratzinger en uniforme allemand pendant la guerre...

On ne l'a jamais vu en uniforme de jeunesse hitlérienne, parce qu'il n'en n'a jamais eu. L'uniforme que l'on a vu est celui d’auxiliaire de la DCA (le Défense contre avions, NDLR). EN 1943, alors qu'il avait 16 ans, tous les jeunes de son âge ont été enrôlés dans la DCA. Il était donc auxiliaire, contre son gré. Ce sont essentiellement les tabloïds anglais qui ont publié ces photos au moment de son élection, et l'ont présenté comme un ancien nazi, alors qu'il vient d'une famille antinazie et que lui-même a considéré durant les six semaines de sa captivité chez les Américains que la défaite de l'Allemagne nazie était une bonne chose, une libération.


La seconde guerre mondiale a-t-elle eu une influence sur son engagement ?

Il a déclaré qu'une des raisons qu'ils l'ont menées à devenir prêtre était cette opposition à la doctrine de haine adoptée par le nazisme. Parce que le christianisme prônait l'amour du prochain, ce qui en faisait son contraire absolu.


Peut-on dresser un bilan d'étape des cinq années de pontificat de Benoît XVI ?

En ce qui qui concerne les « relations extérieures » de l’Église, de grands progrès ont été faits avec les autres relations chrétiennes - et notamment l'anglicanisme et l'orthodoxie. Même chose avec le judaïsme et l'islam, avec qui l'on note des rapports constants.

Autre acquis de ce pontificat : un apaisement diplomatique avec la Russie – chose impossible auparavant avec Jean-Paul II, qui, en tant que Polonais, était suspect aux yeux des Russes. Poutine et son successeur Melvedev ont ainsi rendu visite tous les deux à Benoît XVI.

En ce qui concerne les rapports internes, il y a eu une relative détente entre le Vatican et les conférences épiscopales nationales -notamment avec celles de France et d'Allemagne- qui étaient relativement tendues sous Jean-Paul II. Par ailleurs, Benoit XVI a fait preuve de courage sur la question des prêtres pédophiles. L’Église tentait auparavant de cacher cela et de régler ces problèmes de manière interne, lui n'a pas hésité à condamner les agissements de ces prêtres prédateurs - ce fut le cas par exemple avec la Lettre à tous les catholiques d'Irlande ou lors de son voyage aux États-Unis. Il n'a pas hésité à leur ôter leurs fonctions ecclésiales. Et il a été pour une collaboration avec la justice civile... Et j'en oublie...


Etes-vous étonné par les réactions hostiles contre Benoît XVI dans son pays ?

On a tendance à remarquer ceux qui parlent le plus, c'est-à-dire une minorité protestataire « progressiste », ou une autre minorité : les traditionalistes. Mais on ne parle pratiquement jamais d'une grande majorité silencieuse et qui finalement suit le pape et l’Église.


Vous parlez des traditionalistes : les négociations en cours au Vatican pour leur « réintégration » vont-elles abîmer encore plus l'image du pape alors que certains Allemands l'avaient critiqué en 2009 après la réintégration de Richard Williamson, accusé de négationnisme ?

Il y aura toujours des réactions négatives de la part de ceux qui sont très opposés aux traditionalistes. Mais chez la majorité des catholiques, il n'y aura pas de réactions.


Cette visite fera-telle revenir les Allemands dans les églises ?

Difficile à dire. Il y a des réactions positives. De nombreux Allemands se réjouissent de la visite du pape en Allemagne. Et d'autres, les progressistes – minoritaires mais qu'on entend beaucoup-, considèrent que tant que le pape n'aura pas réglé un certain nombre de choses : l'abolition du célibat pour les prêtres, l'entrée des femmes dans le sacerdoce, la reconnaissance du mariage homosexuel... ce sera un pontificat pour rien. La majorité silencieuse est contente dans l'ensemble. Sans vouloir être prophète, je crois que sa visite pourra faire revenir quelques-uns dans les églises...

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