Pap Ndiaye souhaite-t-il en finir avec la laïcité et la transmission à l’Ecole des valeurs et des idéaux républicains ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pap Ndiaye et Jean-Michel Blanquer lors de la cérémonie de passation de pouvoir au ministère de l'Education nationale.
Pap Ndiaye et Jean-Michel Blanquer lors de la cérémonie de passation de pouvoir au ministère de l'Education nationale.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Education nationale

Quand élargissement signifie dévoiement : quel sens donner à la décision du ministre Pap Ndiaye de transformer les objectifs politiques et intellectuels du Conseil des Sages, créé par son prédécesseur Jean-Michel Blanquer ?

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Créé le 8 janvier 2018 par le précédent ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, le « Conseil des Sages de la laïcité et des valeurs de la République » est une institution interne dont lobjectif déclaré est de « préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité et d’enseignement laïque des faits religieux ».

Né du constat alarmant du recul du respect de la laïcité, à la fois dans l’enseignement et dans le comportement des élèves, en particulier dans les lycées publics, le travail de ce « Conseil des sages » n’a de sens et d’efficience que s’il s’appuie sur une définition commune du mot « laïcité ».

Rappelons qu’en opposition à toute forme de croyance, la laïcité nait dans une période précise de l’histoire de France : le « Radicalisme philosophique de la seconde moitié du XIXème siècle ». Comme l’explique l’historien Claude Nicolet, la laïcité c’est au fond la transposition au plan politique et moral de l’idéal scientifique positiviste de Comte : « Rêvée par Saint-Just sous la Révolution, se réalise à travers l’idée laïque une identification de la vertu et de la République ». Or c’est précisément cette définition de la laïcité que l’idéal multiculturaliste de Pap Ndiaye et de ses amis entend bien détricoter.

Il suffit pour s’en convaincre de lire les mots du discours employés par le ministre, pour officialiser sa réinstallation du Conseil des sages, qui mêlent dans une semblable intention « l’adhésion des élèves aux valeurs de la République » et « la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ». Et plus encore ceux du sociologue Alain Policar dont l’interview dans Le café pédagogique, est à ce propos riche d’enseignements.

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Ce nouveau membre du Conseil y définit la nouvelle ligne philosophique et idéologique apportée par Monsieur Ndiaye comme suit : « … je pense qu’il existe (au sein du Conseil des sages) plus que des nuances dans l’appréciation de la question coloniale. C’est le noeud du problème. », et de préciser : « Pap Ndiaye souhaite que le champ du Conseil ne se limite plus (…) au respect de la laïcité. Il tient à ce que l’on s’intéresse aux discriminations, au racisme - y compris l’islamophobie, (…) entré dans le vocabulaire des sciences sociales - à l’antisémitisme, aux principes de la République. »

Force est de constater que nous avons à faire à un stratégique condensé d’arguments qui militent en faveur d’une critique de la pensée Humaniste universaliste et pour son remplacement par une philosophie relativiste qui s’adapte à une nouvelle forme de société de facto considérée comme multiculturelle, car c’est le seul modèle idéal-typique de société capable d’étendre le sérieux scientifique à la notion idéologique d’islamophobie.

Plus largement, ces nominations traduisent une récente opposition chez les intellectuels et universitaires français entre deux conceptions de la République et de la laïcité.

Cette dualité conflictuelle trahit un mouvement profond qui commence à la fin du XXème siècle et prend racine dans la gauche socialiste française. C’est le début d’une évolution idéologique du Parti socialise qui adopte un relativisme culturel légitimé, pour l’essentiel, par la nécessaire critique anticolonniale de la civilisation occidentale. A la même époque se fabrique dans la gauche intellectuelle une théorie antiraciste fondée sur « l’éloge des différences », pour reprendre le titre du célèbre ouvrage d’Albert Jacquard lequel traduit bien le rejet de l’Humanisme universaliste qui traverse la période et se diffusera à toute la société en particulier à la jeunesse. 

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Plus concrètement c’est, comme toujours dans l’histoire des sociétés, à partir d’un événement déclencheur, l’affaire du foulard de Creil en 1989, que se situe le commencement de cette crise culturelle du respect de la laïcité. Devenue sociale 30 ans après, cette crise n’a jamais cessé depuis, et l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty en est l’horrible et tragique conséquence.

La mise en cause récente et radicale du principe de laïcité, bien qu’il fut considéré jusqu’à la fin deuxième moitié du XXème siècle comme l'unique modèle de la vie en commun, parce qu’il orientait l’organisation politique, institutionnelle et juridique de l’Etat-nation français, aboutit aujourd’hui au rejet critique (conscient ou non) de l’ensemble des valeurs qui fondent le sens et la vie de la société dans notre République. 

L’attaque la plus flagrante contre la laïcité, émane de l’intérieur. Elle est issue, on en fait chaque jour le constat, de demandes venant de la société civile, et elle se manifeste par l’imposition de pratiques culturelles à caractère religieux rattachées à une vision du monde et de l’Homme qui contredit et ruine, en même temps que l’esprit de la démocratie, le modèle laïque français du vivre-ensemble.

Il est essentiel de considérer que cette critique et ce rejet portent essentiellement sur la légitimité de l’esprit de la Loi, et non pas sur les lois elles-mêmes. Cette critique vise à délégitimer la philosophie politique qui donne son sens à la Loi et rend possible son exercice en particulier dans l’interdiction ou l’exigence de respecter tel mode de vie en société, tel comportement plutôt que tel autre. D’où l’astuce des contempteurs de l’universalisme laïque qui s’appuient sur la Loi de 1905 portant uniquement sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat et ne donne en aucun cas une définition de la laïcité. Cela permet à Monsieur Policar d’en détourner le sens et d’affirmer, non sans duplicité, que la laïcité est « un principe juridique et non une valeur identitaire ». Alors même que l’identité de la nation républicaine française repose précisément, comme on l’a vu, sur une organisation laïque de la vie en société. 

Il est par ailleurs fondamental de comprendre que les revendications et exigences sociales et culturelles, qui veulent légitimer et faire coexister (et par conséquent exigent une mise en commun contradictoire) de modes de vie différents, dans une même société (tel que le propose l’idéal multiculturaliste), sont le fruit de l’incubation dans les cerveaux et les mentalités de conceptions philosophiques du monde qui s’opposent de facto à la philosophie Humaniste jus naturaliste, laquelle fonde et donne sens à la vie en société, aux institutions, aux lois et au régime politique « à la française ». 

C’est pourquoi, face à cette crise de la laïcité et de notre modèle démocratique français, il est plus important que jamais de contrer les deux grandes critiques philosophiques de ses fondements éthiques. Ces critiques s’expriment aujourd’hui sous la forme de deux discours de natures différentes. 

Le premier discours anti-laïque et anti-républicain provient de l’extérieur de la civilisation occidentale, c’est celui de l’offensive islamiste, de ce fanatisme islamique, qui sévit dans le monde dès 1930 et se transmet depuis à toutes les communautés musulmanes mondialisées dont il fait les premières victimes.

Le second discours est interne à la pensée occidentale, c’est celui de Monsieur Pap Ndiaye et de ses thuriféraires. C’est celui qui nous intéresse ici, c’est ce discours à caractère philosophique, politique et social sur lequel se base le nouveau ministre de l’Education nationale pour légitimer sa décision d’ouvrir le Conseil des Sages à d’autres conceptions de la laïcité et à une autre vision des valeurs de la République.

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