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Panique chez LR : le prix de l’étrange allergie au libéralisme de la droite française
©PATRICK KOVARIK / AFP

Libéralophobes

Alors que François Baroin a dénoncé mardi "l'ultralibéralisme de François Fillon", c'est plutôt l'absence de libéralisme dans le corpus idéologique de la droite actuelle qui lui fait défaut.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Ferghane Azihari

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari est journaliste et analyste indépendant spécialisé dans les politiques publiques. Il est membre du réseau European students for Liberty et Young Voices, et collabore régulièrement avec divers médias et think tanks libéraux français et américains.

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Atlantico : Lors de la réunion de refondation de la droite et du centre organisée par Gérard Larcher, François Baroin a dénoncé "l'ultralibéralisme de François Fillon" qui l'aurait poussé à se mettre à l'écart de sa famille politique. François Fillon était-il vraiment "ultralibéral" ? N'est-ce pas plutôt la droite qui a un problème avec le libéralisme aujourd'hui ?

Erwan Le Noan : Il serait intéressant de lire les propos exacts de François Baroin et lui demander ce que recouvre exactement pour lui cette notion d’« ultralibéralisme » ; mais s’ils sont avérés, ils sont révélateurs d’un malaise d’une partie de la droite parlementaire vis-à-vis du libéralisme : généralement, le terme d’« ultralibéralisme » est renié par les libéraux (comment pourrait-on trop aimer la liberté ?) et utilisé par leurs adversaires pour les dénigrer.

Que peut-on entendre par là ? Est-ce qu’il s’agit d’expliquer que le programme de François Fillon se voulait réformateur mais n’était pas suffisamment pédagogique ni ne portait suffisamment d’attention pour les victimes (inévitables) des réformes ? Cela peut s’entendre, et beaucoup de libéraux peuvent-être d’accord avec cette critique.

Est-ce qu’il s’agit de dénoncer l’ambition qu’il avait de réformer drastiquement l’État, pour le faire reculer, et faire baisser le poids de la dépense publique ? C’est une idée que les libéraux soutiendraient, mais il serait réducteur de limiter le libéralisme à une vision comptable de la politique. Au demeurant, ces deux reproches renvoient plutôt à une vision technocratique de la société qui aime le despotisme éclairé, plutôt que vraiment libérale : le libéralisme s’attache aussi au respect des équilibres démocratiques – ce n’est pas une philosophie du passage en force brutal.

Est-ce qu’il s’agit de critiquer les réformes pro-marché que le candidat aurait pu vouloir introduire, qu’avaient engagées Manuel Valls et que poursuit à son rythme Emmanuel Macron ? La critique existe, généralement à gauche, et se retrouve effectivement chez une partie de la droite qui est étatiste, centralisatrice et keynésienne. Cette droite a gouverné, elle a échoué.

Au fond, le sujet de savoir si Fillon était libéral ou non importe peu. La question à se poser est double. D’abord quel est le constat de la droite sur l’état de la France : souffre-t-elle d’un excès de liberté économique et sociale ou d’un excès d’étatisme ? Ensuite, quel projet réformateur la droite souhaite-t-elle porter ?

Ferghane Azihari : Le véritable problème aujourd'hui c'est que la droite française n'a jamais vraiment été très libérale, ce qui faisait dire à Jean-François Revel que la France se définissait par une pensée unique illibérale. La France est handicapée par son héritage gaulliste, lequel n'est pas vraiment une idéologie mais plutôt un style de gouvernement qui s'accommode de toutes les compromissions intellectuelles. De Gaulle a gouverné aussi bien avec des communistes en planifiant et nationalisant qu'avec quelques libéraux, dont Jacques Rueff qui était son conseiller. Il ne s'agit donc pas d'une idéologie, ce qui fait que la droite a toujours manqué de colonne vertébrale idéologique sur ce point.

François Fillon avait certes un programme libéral sur certains points, mais c'est toujours un libéralisme très hémiplégique qui insiste sur quelques questions sectorielles comme la fonction publique ou les impôts mais il n'y a jamais eu de réflexions très profondes sur le rôle de la concurrence, de la libre-entreprise, du libre-échange. Ce serait aujourd'hui compliqué d'insuffler une philosophie libérale à droite. La seule personne qui ait essayé de le faire véritablement, notamment Alain Madelin ou François Léotard dans les années 1980, ont échoué car ils n'ont pas pu profiter de l'atmosphère du courant Reagan-Thatcher qui dominait à l'époque. Depuis, la droite tient un discours dirigiste et traduit le consensus illibéral français.

Le libéralisme, au début, est un courant dit "de gauche". Le clivage gauche-droite apparaît à la Révolution française et à l'époque, les libéraux étaient plus ou moins les alliés de la Révolution quand la droite se définissait par un courant antirévolutionnaire. Le socialisme marxiste apparu au cours du XIXe a petit à petit repoussé le libéralisme à droite de l'échiquier politique. Finalement, les seules fois où la droite a pu tenir un discours favorable à l'économie de marché, c'était par anti-communiste pendant la Guerre froide. La Guerre froide était un accident historique qui, par anti-communiste et antisocialisme, poussait certains responsables politiques à tenir un discours un peu plus favorable à l'économie de marché. Depuis la fin de la Guerre froide, on retrouve finalement une droite tout aussi arc-boutée que la gauche sociale-démocrate sur l'économie administrée, tout simplement parce que le climat intellectuel français rend le discours libéral très difficile à tenir. Un politicien n'est pas payé pour penser : sa première, sa seconde et sa troisième préoccupations sont d'être élu. Or pour être élu, il doit se positionner sur des segments électoraux porteurs. Or aujourd'hui, le climat intellectuel et culturel français étant fortement teinté d'anticapitalisme, de colbertisme, d'hostilité à une économie de marché qui partout a fait ses preuves, fait que par opportunisme électoral, personne en France n'ose tenir un discours très libéral.

Cette forme d'allergie d'une partie de la droite française au libéralisme n'a-t-elle pas eu des effets pervers, en ce qu'elle a pu renforcer une économie administrée tout en accentuant dangereusement les effets inégalitaires du capitalisme financier ?

Erwan Le Noan : Si l’on considère que l’évolution du poids de l’Etat dans l’économie et la société est un indicateur pertinent du caractère libéral d’une politique, force est de constater que la droite n’a pas été systématiquement d’un libéralisme incroyable quand elle a gouverné. En matière économique, elle a généralement défendu une forme d’interventionnisme, parfois à la carte, pour défendre certains acteurs économiques. En matière sociale, elle n’a pas semblé défendre une vision très associative, prônant au contraire souvent une progression du contrôle étatique. En matière sécuritaire, elle a généralement tenu un discours de répression, y compris en matière migratoire, en oubliant souvent d’y adjoindre un volet positif.

Bien sûr, elle a également conduit des libéralisations, des privatisations, des réductions d’impôt. Mais tout cela a souvent été opportuniste – et non guidé par une vision structurée et cohérente dans le temps. Au demeurant, des gouvernements de gauche l’ont fait aussi.

Les élites françaises, de gauche comme de droite, ont ainsi privilégié, sur les dernières décennies, et à quelques exceptions près, une progression constante de l’Etat, ce qui a eu pour effet de rigidifier la société et de contraindre excessivement l’économie. Alors que l’État-Providence échouait, elles ne l’ont pas rénové, ni n’ont cherché à le dépasser : elles ont accru ses moyens, comme si augmenter les montants mobilisés octroyés à un système qui a failli pouvait permettre de le rendre meilleur…

Pour autant, il faut rappeler qu’il a toujours existé une partie de la droite qui se revendique du libéralisme. Certains sont en réalité plutôt poujadistes (ils refusent la fiscalité mais demandent un contrôle de l’Etat par ailleurs), mais d’autres sont sincèrement convaincus par la philosophie libérale. Malheureusement, ils ont peiné à s’organiser et peser sur le débat et la ligne de leur parti. Aujourd’hui, c’est eux qui devraient être encouragés et se prononcer fortement !

Ferghane Azihari : Sans opposition au consensus social-démocrate qui prévaut en France, cette dernière est condamnée à rester l'une des économies les plus dirigées de l'OCDE et, par conséquent, l'une des économies les plus stagnantes, avec un chômage de masse, une fiscalité élevée qui fait obstacle à une croissance économique qui seule est apte à réduire la pauvreté. En ce sens, la France est aujourd'hui en difficulté sur le point économique et sociale. Aujourd'hui, sur le marché politique, il y aurait de la place pour un discours authentiquement libéral puisque Emmanuel Macron s'inscrit dans le consensus social-démocrate. Il a été élu sur la base d'un discours très réformiste, mais on voit bien qu'au pouvoir il est dans les ajustements et non pas dans les véritables réformes. Il n'y a pas de discours libéral, pas d'apologie de la concurrence, de décentralisations : il y a même une tendance illibérale à vouloir réglementer par exemple la parole sur les réseaux sociaux. Peut-être avec raison, la droite doit penser que le climat intellectuel aujourd'hui n'est toujours pas suffisamment propice à ce qu'un discours libéral puisse remporter une élection, même s'il y a un paradoxe puisqu'entre le conservatisme-nationaliste du RN et la social-démocratie d'Emmanuel Macron, on voit mal comment la droite peut se différencier si elle tient un discours tout aussi anti-libéral que celui qu'on entend à droite ou à gauche de l'échiquier politique.

Aujourd'hui, les courants qui dominent dans les grandes sphères du pouvoir intellectuel (universités, médias, grandes rédactions) sont majoritairement antilibéraux, anticapitalistes chez les universités (cf. Que pense les penseurs ? de Raul Magni-Berton et Abel François : les élites intellectuelles françaises sont plus hostiles que la moyenne des Français à l'économie de marché). Comme la sphère politique est tributaire de la sphère intellectuelle, laquelle façonne les opinions publiques, elle suit nécessairement les tendances intellectuelles dominantes qui traversent le pays. Ces tendances intellectuelles ne sont pas du tout favorables au libéralisme, et encore moins aujourd'hui avec l'apparition d'un nouveau courant de pensée antilibéral qu'est l'écologie politique qui trouve, lié à la défense de l'environnement, un nouveau moyen de démanteler le capitalisme industriel qui est honni de tout le monde.

Alors que la droite tente aujourd'hui de survivre au revers subi lors des européennes, n'aurait-elle pas intérêt aujourd'hui à reprendre le flambeau de son ADN libéral, notamment pour souligner l'illibéralisme de son principal concurrent, LaREM ? Quel pourrait être dès lors son discours ? 

Erwan Le Noan : Les sondages menés par Les Républicains auprès de leurs adhérents après la déroute de 2017 montraient que ceux-ci mettaient en avant des valeurs économiques libérales et socialement conservatrices. Il y a probablement là une voie à explorer pour la droite. Libérale en économie parce que le retrait de l’Etat est aujourd’hui un impératif : il étouffe la société et les entreprises. Conservatrice sur les questions sociales (c’est-à-dire en défendant approximativement un statu-quo sur les sujets de famille, ou certaines évolutions timides etc. ; mais non réactionnaire, où elle voudrait idéologiquement revenir sur les lois votées), notamment parce qu’il est probablement trop complexe politiquement de déstabiliser les habitudes à la fois en matière économique et sociale d’une part et en matière sociétale d’autre part.

La droite – ce qui n’est pas nécessairement synonyme de « LR » (et n’est certainement pas synonyme de Rassemblement national compte tenu du programme hyper interventionniste que défend ce parti), a donc probablement un chemin si elle sait être audacieuse sur les questions économiques et les sujets sociaux, car l’une ne va pas sans les autres. Elle doit savoir proposer une vision (et non seulement un catalogue de mesure) de rénovation économique, de responsabilité sociale, portés par un projet collectif – il est capital que la droite parle au collectif, ce qui implique les questions de service public (en banlieue ou en milieu rural par exemple) et d’identité.

Au demeurant, il ne semble peut-être pas pertinent d’entrer dans le débat infini de savoir si LaREM est libérale et, si elle l’est, à quel point. Si on estime que le libéralisme se traduit par le souci de promouvoir la liberté et son corolaire la responsabilité individuelle, et qu’il se mesure notamment par le poids de l’Etat dans les domaines économiques, sociaux et sociétaux, il y a tout lieu de s’interroger. Mais, à maints égards, LaREM peut aussi sembler plus libérale que certains de ses prédécesseurs ou de ses concurrents.

Ferghane Azihari : Idéalement, la droite aurait intérêt à tenir un discours libéral puisque c'est une philosophie que j'essaie moi-même de réhabiliter dans les médias. Néanmoins, il ne faut pas attendre trop de la politique de partis. Encore une fois, la droite et les partis politiques de manière générale ne sont pas intéressés par le débat d'idées. Leur préoccupation, c'est la quête du pouvoir, c'est d'être élu : les idées ne sont que des moyens, pas des fins. Le simple fait que la droite aujourd'hui se pose la question : "quelle ligne tenir pour gagner ?" plutôt que "quelle ligne est juste ?", montre bien que finalement ses idées ne sont que des instruments et ne sont pas des vérités qu'ils recherchent au plus profond de leur réflexion. Dans ces conditions, on peut comprendre aujourd'hui qu'il ne faille pas tenir un discours libéral. Quelqu'un soucieux de la santé économique de son pays sera davantage libéral dans son discours. Encore une fois, ces questions ne sont pas les préoccupations premières des politiques.

Quand on demandait à Margareth Thatcher sa plus grande victoire, elle répondait "Tony Blair", parce qu'elle avait réussi à montrer les vertus du libéralisme à tel point que le Royaume-Uni était devenu culturellement suffisamment libéral pour que le parti travailliste se rallie aux réformes thatchériennes. Le combat n'est pas partisan mais intellectuel et culturel. C'est seulement lorsque ce combat culturel sera gagné qu'on pourra assister à l'émergence de discours politiciens opportunistes qui, soucieux d'être élus, seront obligés de tenir un discours libéral pour accéder au pouvoir. Pour l'instant, hélas, on en est encore loin.

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