Oui, le grand méchant capitalisme existe, mais l'Etat et les syndicats se gardent bien d'aller le chercher là où il est vraiment<!-- --> | Atlantico.fr
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L’enseigne Sephora n’est plus autorisée à ouvrir son magasin des Champs Elysées après 21h depuis que des syndicats l’ont attaquée en justice
L’enseigne Sephora n’est plus autorisée à ouvrir son magasin des Champs Elysées après 21h depuis que des syndicats l’ont attaquée en justice
©Reuters

Cible facile

Les syndicats, en empêchant l'enseigne Sephora d'ouvrir après 21h, se sont mis à dos les salariés concernés. D'autant que pendant ce temps, des pratiques réellement condamnables ont cours dans d'autres entreprises ou administrations, sans qu'ils choisissent de s'y attaquer.

Atlantico : L’enseigne Sephora n’est plus autorisée à ouvrir son magasin des Champs Elysées après 21h depuis que des syndicats l’ont attaquée en justice. Les salariés ont engagé une procédure en "tierce opposition" à l’encontre des syndicats, examinée aujourd’hui par la Cour d’appel. Le magasin s’est de son côté pourvu en cassation. Le fait d’ouvrir la nuit pour un magasin qui fait 20% de son chiffre d’affaire à ce moment-là revient-il, comme le disent les syndicats, à exploiter les employés ? L'argument du "patron voyou" est-il recevable ?

Alain Cohen Dumouchel : En théorie économique moderne, tous les échanges volontaires (ici entre la direction de Sephora et ses employés) sont productifs et la situation des deux parties est améliorée par l'échange. C'est uniquement ce mécanisme qui permet, sur un marché, de fixer le juste prix ou le juste salaire. Dans l'affaire Sephora, il est intéressant de considérer ce qui perturbe cette loi économique.

• Tout d'abord le droit positif, qui interdit à un commerce, hors cas particulier, d'ouvrir le dimanche. Cette loi, héritée de la loi religieuse, est arbitraire et constitue une source de troubles. A noter que la gauche du XIXe siècle, avant qu'elle devienne socialiste, combattait l'obligation de fermeture le dimanche soutenue par la droite et les cléricaux.
• En deuxième lieu, l'action contre-nature des syndicats, normalement chargés de mener des négociations au nom d'un ou plusieurs salariés pour obtenir des améliorations de leur sort. En France, cette fonction principale du syndicalisme a été rendue marginale par le gaullisme et acceptée comme telle par tous les gouvernements de la Ve république. Les syndicats, organisés en oligopole et financés par l'Etat, sont devenus des lobbies sociaux chargés d'obtenir des avantages pour leur clientèle politique ou de défendre des dogmes anticapitalistes auprès de la puissance publique. Parmi ces dogmes, on peut citer l'interdiction du travail du dimanche mais aussi la retraite par répartition ou le monopole de la Sécurité sociale. Dans l'affaire Sephora on voit bien que le but d'un syndicat en France n'est pas d'obtenir quelque chose de l'employeur au nom des employés mais d'obtenir de l'Etat le respect d'un dogme, s'il le faut contre les salariés.
• Enfin, sous-jacent à tout cela, c'est l'influence du marxisme et de la théorie de la "survaleur", d'où découlerait l'exploitation des "travailleurs" qui se fait toujours sentir dans tous les mouvements politiques français, y compris ceux de droite.

Jean-Charles Simon : Certainement pas ! Dans la plupart des cas qui ont fait l’actualité ces dernières semaines, les entreprises recourent au volontariat et prévoient une forte majoration des rémunérations pour le travail en soirée ou le dimanche. Les salariés frappés par les décisions judiciaires censées les protéger sont d’ailleurs les premiers à s’en indigner. Il est aberrant que des relations contractuelles de cette nature soient contrariées ou empêchées du fait de prérogatives exorbitantes des organisations syndicales, pourtant très peu représentatives dans le privé. Dès lors que des dispositions générales d’ordre public sont respectées, comme par exemple les règles communautaires sur le temps de travail hebdomadaire ou consécutif maximal, la liberté du contrat devrait prévaloir et ne pas être attaquable par un tiers.

Dans quelles entreprises et quels domaines rencontre-t-on des pratiques dont la nature est véritablement condamnable ?

Alain Cohen Dumouchel : Nous vivons dans une économie à large dominante socialiste. Les dépenses publiques atteignent 57% du PIB, ce qui pourrait laisser penser que l'économie française est à 57% "socialisée" mais il ne faut pas oublier que le PIB français inclut 18% de "valeur ajoutée" publique. La vraie part de ce qui reste de l'économie de marché doit se situer aux alentours de 40% et encore, dans ce chiffre figurent les grandes sociétés du CAC 40 qui doivent leur position et leur réussite à leur degré de connivence avec les pouvoirs publics.

Tenter de rechercher des pratiques douteuses émanant du "capitalisme" dans une économie socialisée à 60% ou plus est un leurre. Comment isoler ce que les économistes appellent des "anomalies de marché" dans une économie dirigée ? Qu'est-ce qui relève des mauvaises pratiques capitalistes - si elles existent - ou des interventions de l'Etat providence ?

• Quand des dirigeants-associés de petites sociétés au bord de la faillite se mettent au chômage tout en continuant de travailler pour leur entreprise, à qui incombe la "faute" ? Au patron-voyou ou à l'Etat-voyou qui oblige l'entreprise à verser des charges égales au salaire net de l'employé ?
• Quand certaines entreprises harcèlent des employés pour obtenir leur démission, à qui incombe la faute ? Au patron-voyou ou bien à l'Etat-voyou qui interdit à une entreprise de licencier ses effectifs en surnombre ?
• Quand une entreprise se sépare de ses seniors qui se retrouvent durablement au chômage, à qui incombe la "faute" ? Au patron-voyou ou à l'Etat-voyou qui interdit une entreprise de diminuer le salaire d'un employé, même en accord avec lui ?

En économie de marché, la fonction d'une entreprise est de maximiser ses profits. C'est en visant cet objectif qu'elle agira au mieux socialement c'est à dire dans l'intérêt des individus qui sont à la fois des salariés, des retraités, des consommateurs et des actionnaires.

Jean-Charles Simon : Hormis quelques pratiques frauduleuses intentionnelles et flagrantes, les condamnations publiques et médiatiques des entreprises viennent souvent d’un malentendu fondamental sur leurs obligations à l’égard des salariés. L’entreprise est considérée, à tort, comme responsable du maintien de l’emploi. Or sa raison d’être n’est pas l’emploi, encore moins sa garantie : la relation de travail dure pour autant que les parties concernées y ont un intérêt commun. Si l’entreprise change d’activité, en cède une partie ou tout simplement n’est plus assez rentable sur un site ou un métier, il est normal et parfois vital qu’elle diminue rapidement ses effectifs. Autant le sort des salariés concernés exige bien sûr la plus grande attention, autant s’acharner à « défendre » les emplois qui disparaissent est vain, voire compromet le bon fonctionnement de l’économie, donc le retour à l’emploi de ceux qui l’ont perdu.

Non contentes de ternir l’image du capitalisme, dans quelle mesure ces pratiques portent-elles atteinte à la bonne santé de notre économie, ainsi que de la société en général ?

Jean-Charles Simon : Encore une fois, l’indignation publique intervient rarement à bon escient. On stigmatise des entreprises radines, multipliant les licenciements, aux pratiques RH archaïques… mais qui sont souvent les plus en difficulté ! Et on ne va pas tarir d’éloges sur des groupes faisant assaut de modernité et de générosité dans la gestion de leurs salariés… grâce à une profitabilité due parfois à des pratiques commerciales et concurrentielles très critiquables ! D’une manière générale, on se préoccupe trop de l’aval, notamment des plans sociaux, et beaucoup moins d’atteintes à la concurrence, pourtant bien plus négatives pour l’ensemble du tissu économique. Notre vigilance devrait porter sur l’accumulation de rentes et les oligopoles qui freinent la dynamique économique plutôt que sur les malheurs de canards boiteux. Schumpeter s’inquiétait ainsi de l’émergence de groupes hyper puissants tuant l’entrepreneuriat, provoquant une montée de la démagogie anticapitaliste et aboutissant in fine au socialisme…

Outre l’entreprise, l’administration est-elle également minée par des pratiques qui portent préjudice à l’économie nationale ?

Alain Cohen Dumouchel : Dans l'administration, il n'y a pas de prix, il y a des tarifs, il n'y a pas de concurrence, il y a des directives, il n'y a pas de clients, il y a des usagers, il n'y a pas d'actionnaires à qui l'on doit rendre des comptes, il y a des impôts et de la dette en croissance continue.
Ceci étant posé, les fonctionnaires, êtres rationnels, s'adaptent au mieux à leur milieu et cherchent à en tirer le meilleur profit. Les problèmes bien connus de la fonction publique : absentéisme, inefficacité, absence de motivation, sont inhérents au mode de fonctionnement de ce corps qui n'obéit pas à la loi du marché (et qui, à beaucoup d'égards, ressemble au clergé de l'ancien régime).

L'administration n'est donc pas "minée par des pratiques qui portent préjudice à l'économie nationale", elle fonctionne de façon normale et logique compte tenu de nos institutions et, ce faisant, détruit l'économie nationale de façon tout aussi normale et logique.

Jean-Charles Simon : En premier lieu, la sphère publique est un piètre employeur, souvent pris en flagrant délit de CDD à répétition ou de mauvaise gestion de ses titulaires, abandonnés à des règles uniformes et privés de perspectives d’évolution. C’est aussi un mauvais client, au point que nombre d’entreprises ne peuvent se permettre de travailler pour des interlocuteurs qui les soumettent à des exigences considérables au titre du droit des marchés publics, leur imposent des conditions financières et contractuelles drastiques et ne payent que très tard. Le monde public est aussi miné par le clientélisme, surtout quand des exécutifs locaux sont impliqués. Mais tout ça reste assez bénin en comparaison des externalités négatives considérables des interventions de l’Etat comme actionnaire ou investisseur, et plus encore de l’action publique normative en matière économique… Un seul exemple : avec la structure des cotisations patronales et des allégements en vigueur, tout a été fait pour spécialiser l’économie française sur les activités à bas salaires.

La franchise McDonald’s fait actuellement parler d’elle aux Etats-Unis : la direction refuse d’augmenter les salaires, mais a mis en place un service pour faciliter le recours aux aides sociales par ses employés qui s'estiment dans le besoin. Au total, les aides fédérales aux employés des chaînes de fast-food s'élèveraient à 7 milliards d’euros. Sommes-nous protégés en France contre de telles dérives, ou bien certaines sont-elles comparables ?

Alain Cohen Dumouchel : La société McDonald’s se comporte rationnellement. Dans une société où l'on peut bénéficier d'aides sociales et où cette assistance est complexe et mal connue, elle aide ses employés à en bénéficier pour maximiser ses profits. Je ne vois rien à redire à cela. C'est une conséquence normale de la politique du gouvernement américain. En l'occurrence c'est bien ce dernier qui retarde l'augmentation des salaires que seraient (peut-être) en droit d'attendre les employés de McDonald’s si ces aides n'existaient pas ou bien si elles étaient délivrées sous une forme plus automatique et transparente.

Jean-Charles Simon : Le sujet est celui d’aides publiques tenant compte uniquement des revenus et pas de la situation d’emploi. A contrario, on a souvent incriminé en France les politiques sociales qui rendaient le retour à l’emploi trop peu avantageux par rapport à « l’assistance ». Et on a cherché, à raison, à mettre en place un fonctionnement différentiel des aides sociales favorisant l’emploi dans tous les cas. La situation en cause aux Etats-Unis n’est pas celle d’abus ou de fraude des employeurs. Elle se résume au dilemme suivant : si les salariés n’étaient plus éligibles à des aides comme les food stamps, seraient-ils mieux payés ? Le contribuable finance-t-il indirectement les profits de ces entreprises ? Je ne le crois pas du tout. C’est la même polémique pour les « mini-jobs » allemands. De tels emplois n’existent que parce que les entreprises peuvent les payer à ces niveaux-là. Pour que ces salaires augmentent sans faire disparaître les emplois, il faut à la fois un marché du travail très dynamique, avec profusion d’emplois mieux payés, et une demande des biens et services concernés permettant d’augmenter leurs prix.

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