Oui, des algériens ont combattu pendant la Première Guerre mondiale mais qui fallait-il inviter pour le célébrer : l'armée de l'Algérie indépendante ou les Algériens de France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'armée algérienne sera représentée lors du défilé du 14 juillet
L'armée algérienne sera représentée lors du défilé du 14 juillet
©Reuters

Ici et là-bas

François Hollande a invité un bataillon de soldat algériens pour défiler sur l'avenue des Champs-Elysées le 14 juillet. Pourtant, si l'objectif est bien d'afficher un apaisement entre les deux pays, c'était peut-être aussi l'occasion d'inviter les Algériens de France, pour une politique mémorielle plus cohérente.

Guy  Pervillé

Guy Pervillé

Guy Pervillé est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse Le Mirail, spécialiste de l’histoire de l’Algérie coloniale ainsi que de la guerre d’Algérie. Il a notamment publié Pour une histoire de la guerre d’Algérie (2002), La Guerre d’Algérie (Que sais-je, 2007), Atlas de la guerre d’Algérie (2003), Les Accords d’Evian, succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne, 1954-2012 (2012) et, chez Vendémiaire, La France en Algérie, 1830-1954 (2012).
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Atlantico : Le défilé de ce 14 juillet comptera la présence "symbolique" de militaires algériens. Un fait dont se félicite Jean-Yves Le Drian qui y voit le début "d'une phase pacifiée" avec l'ancienne colonie française. Que penser de cette décision ?

Guy Pervillé : A première vue, cette décision paraît être la suite logique du rapprochement franco-algérien amorcé à l’occasion de la visite en Algérie du président Hollande, en décembre 2012, et de la quasi-alliance qui a rapproché davantage la France et l’Algérie dans la lutte contre AQMI et ses alliés islamistes au Mali et au Sahara. L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisqu’elle avait été proposée en 2012  à Nicolas Sarkozy par l’ancien ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt. Elle a été acceptée publiquement par le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra, selon lequel "le peuple algérien assume toute son histoire et honore ses propres contributions à la liberté à travers le monde".
Mais la participation, même symbolique, de représentants de l’Algérie au défilé du 14 juillet à Paris pour commémorer le 100ème anniversaire du début de la Première guerre mondiale pose de sérieux problèmes, qui ne se posent pas dans le cas de la très grande majorité des Etats invités. Peu importe que l’Algérie n’ait pas existé en tant qu’Etat en 1914, puisque c’est aussi le cas de tous les Etats issus de la décolonisation des empires coloniaux. Le problème majeur est que l’Etat algérien est né en 1962 à la suite d’une guerre révolutionnaire menée contre la France, et que sa mémoire officielle considère toujours la participation des Algériens musulmans à la Grande Guerre de 1914-1918 comme une violence imposée au peuple algérien par le colonialisme français. Et c’est pourquoi l’Association des anciens moudjahidin, entre autres, a protesté avec véhémence contre cette participation de l’Algérie à la célébration du 14 juillet 2014, son secrétaire général Saïd Abadou la jugeant inadmissible, sinon "lorsque l’ancienne puissance coloniale présentera ses excuses pour les crimes commis en Algérie". Mais le ministre des Anciens moudjahidine a refusé de se prononcer en s’abritant derrière la décision souveraine du président de la République. Quant au journaliste du Quotidien d’Oran, Kamel Daoud,  il prend fermement position pour cette initiative en tant que moyen de "clore la guerre des mémoires", mais il reconnaît que les nombreuses réticences qu’elle inspire en Algérie sont explicables par le caractère contradictoire de la politique mémorielle algérienne : "On a tellement manipulé la mémoire de ce peuple, ses souvenirs et ses émotions qu'aujourd'hui la décision de défiler "là-bas" passe mal, heurte et surprend. N'est-ce pas Bouteflika qui nous a si bien montés contre la France avant d'aller s'y soigner et y résider et s'y promener, lui, les siens et ses "Frères" du FLN ? Comment peut-on à la fois accuser les anti 4ème mandat à vie d'être des agents de la France, des infiltrés, des harkis et mettre en doute leur nationalité et leur patriotisme et à la fois décider de participer au 14 Juillet français sans consulter personne ? (…) C’est que cette décision d’envoyer trois soldats algériens faire la paix est une décision saine dans un pays rendu malade par un régime  devenu illégitime. "
De plus, du côté français, la décision prise à Paris de faire représenter l’Algérie par des personnes choisies par son gouvernement ne tient pas compte de deux faits majeurs. D’abord le fait que les troupes venues d’Algérie pour participer à cette guerre n’étaient pas seulement des  troupes dites "indigènes", mais aussi des troupes composées de citoyens français à part entière, presque aussi nombreux, mais qui représentaient un pourcentage de leurs populations respectives dix fois plus fort. Et enfin, le fait que parmi ces soldats dits "indigènes", ceux qui par la suite n’ont pas adopté  le nationalisme algérien musulman mais sont restés fidèles au drapeau français de 1954 à 1962 ont été massacrés, chassés ou persécutés comme des traîtres, même après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 au mépris des accords d’Evian. Toutes ces raisons expliquent les protestations véhémentes que la venue officielle du drapeau algérien  à Paris pour le 14 juillet inspire en France, et pas seulement chez les partisans du Front National - contrairement à ce que l’on peut lire dans Le Monde des 13 et 14 juillet 2014 (p 7) - même si elle a aussi des partisans parmi les rapatriés et les "harkis" concernés en tant qu’étape vers la réconciliation souhaitée.

S'il est vrai que près de 170 000 combattants de l'armée française durant la Grande Guerre provenaient d'Algérie, l'on peut rappeler que l'Etat algérien était alors inexistant, tant dans les faits que dans les consciences. Inviter des représentants du pouvoir actuellement en place à Alger est-il en conséquence réellement pertinent ?

En effet, on peut s’étonner que les auteurs de cette invitation aient ignoré ou négligé le fait que les fondateurs du nationalisme musulman algérien aient participé dans les rangs de l’armée française à la Première guerre mondiale (comme Messali Hadj), ou à la Deuxième (comme Ahmed Ben Bella) qui n’y ont vu, au mieux, qu’un abus justifiant a contrario leur refus de participer malgré eux aux guerres de la France. Dès 1938, après Munich, une fraction importante du Parti du peuple algérien a décidé d’offrir ses services au Reich allemand pour obtenir son aide, suivant l’exemple donné par les nationalistes irlandais qui s’étaient révoltés à Dublin le jour de Pâques 1916. Et même si leurs espoirs d’une aide allemande furent déçus, une insurrection nationaliste partie de Sétif le 8 mai 1945, jour de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, manifesta le refus des nationalistes de voir la guerre se terminer par une victoire française obtenue une nouvelle fois grâce à la participation des troupes algériennes musulmanes. Par la suite, même si les autorités françaises ont jugé prudent de suspendre la conscription durant plusieurs années, elles ont continué à recruter, surtout de 1955 à 1960, de nombreux combattants musulmans sous de multiples statuts : engagés, appelés, et auxiliaires de diverses catégories (harkis, moghaznis, etc), que le FLN a considéré comme des traîtres impardonnables s’ils refusaient  de le rejoindre ou de le servir.

N'aurait-il pas été plus cohérent historiquement et politiquement d'offrir une exposition particulière aux anciens combattants de l'armée française plutôt que d'inviter un bataillon venu d'Alger ?

Sans doute, puisque les troupes "indigènes" qui ont combattu pour la France et sous son drapeau durant la Grande Guerre ne seront pas représentées en tant que telles dans le défilé du centenaire, alors qu’une autre Algérie née d’une guerre contre la France le sera. Il est vrai que le gouvernement français a voulu commémorer la guerre sous le signe de la paix et de la réconciliation en invitant même nos anciens ennemis. Mais dans le cas de l’Allemagne, par exemple, il n’y a aucun doute que ce pays n’est plus notre ennemi depuis, au moins, le traité d’amitié franco-allemand de 1963 ; alors que le projet de traité d’amitié franco-algérien proposé par le président Chirac en 2003 n’a pas abouti. Il faut rappeler qu’en 2004 déjà, à l’occasion de la commémoration du débarquement en Provence du 15 août 1944, auquel les combattants musulmans algériens avaient participé avec les troupes françaises d’Algérie, le président français avait décidé d’accorder à la ville d’Alger la Croix de la légion d’honneur, "en tant que capitale de la France combattante". Cette distinction honorifique n’a rien changé au fait que le Monument aux morts de la Grande Guerre, œuvre du grand sculpteur Landowski inaugurée le 11 novembre 1928 au centre d’Alger, est depuis 1978 martelé et recouvert d’une chape de béton. Si le gouvernement de l’Algérie veut donner à sa participation au 14 juillet 2014 un sens incontestablement positif, pourquoi donc n’a-t-il pas annoncé sa décision de réhabiliter ce monument ? Ce serait le plus sûr moyen de lui donner la crédibilité qui lui manque encore ; mais il lui serait très difficile d’expliquer une telle décision d’une manière convaincante à son peuple, à moins de reconsidérer radicalement l’idéologie nationaliste officielle. L’attitude du gouvernement français, aujourd’hui comme il y a dix ans, semble caractérisée par le même idéalisme. Un proverbe bien connu ne dit-il pas qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ?

Bien qu'elles aient été reçues le 4 juillet par François Hollande, les associations de harkis n'ont pas été mises au courant de la participation d'Alger au défilé. Quel message envoie t-on ainsi aux Français d'origine algérienne qui ont combattu dans l'armée française ?

On peut craindre qu’ils y voient un nouveau désaveu par la France, puisque celle-ci donne l’impression de reconnaître l’Algérie actuelle comme la seule représentante et la seule héritière légitime de l’Algérie française. N’oublions pas qu’il y a deux ans un jeune franco-algérien, Mohammed Merah, a tué ou blessé grièvement quatre de ses compatriotes engagés volontaires dans l’armée française, avant de s’en prendre à une école juive. La politique mémorielle dont procède l’organisation du défilé du 14 juillet 2014 ne me paraît pas dotée d’une cohérence évidente.

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