"Oui c'était mieux avant" : comment la société en est venue à remplacer les romans par les DVD dans les sacs de voyage<!-- --> | Atlantico.fr
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Paris fut la seule ville où le fleuve s’écoulait entre deux bibliothèques.
Paris fut la seule ville où le fleuve s’écoulait entre deux bibliothèques.
©Pixabay

Bonnes feuilles

Qui peut affirmer, sans rire, que l’Education nationale enseigne mieux aujourd'hui que sous la IVe République ? Non seulement c’est pire, mais cela va s’aggraver : les humains auront de plus en plus de mal à s’exprimer entre eux parce qu’ils auront remplacé la conversation par la communication. Entre 1950 et aujourd'hui, nous sommes passés à la société industrielle, puis à celle de la "com" et de la pub pour échouer dans le virtuel. Avec sa verve habituelle et son humour caustique, Alain Paucard invite à trouver dans notre malheur la force de l’affronter. Extrait de "Oui c'était mieux avant" d'Alain Paucard éditions Jean-Cyrille Godefroy 2/2

Alain Paucard

Alain Paucard

Alain Paucard est né et ne vit qu’à Paris. À son compteur, 35 livres dans tous les genres, notamment Paris, ses rues, ses chansons, ses poèmes (2000), VIII e Prix des Bouquinistes. Mais le Président du Club des Ronchons se signale surtout par de virulents pamphlets, comme Le cauchemar des vacances ou récemment Paris, c’est foutu !

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Quand on évoquait les gros tirages de Casanova, il fallait bien sûr comprendre les ventes de ses Mémoires. L’âge d’or de l’édition française se situe de la Libération à Mai 68. Elle dut d’abord, comme sous l’Occupation, résoudre le problème du papier. On en manquait. Il semblait plus important de retrousser ses manches pour produire du charbon. C’est pourquoi les livres de l’après-Libération sont imprimés sur du papier gris, triste, avec des caractères à faire fuir les presbytes. À cette époque, les Français raffolaient des livres édités et imprimés en Suisse, avec de belles illustrations en couleurs sur du papier glacé. La Suisse apparaissait, aux yeux des Français, comme la vitrine de l’artisanat. On y trouvait les meilleures montres, le meilleur chocolat et Pierre Dudan qui chantait : On prend le café au lit.

L’édition française n’a jamais manqué d’éditeurs nouveaux et talentueux. La différence est que ces aventuriers de l’imprimé étaient sûrs de vendre une grande partie de leur production. La télé était inexistante, le Quartier latin plein de librairies et les bouquinistes, sur les quais du vieux Paris, vendaient des livres anciens et non des cartes postales et des souvenirs touristiques. Paris fut la seule ville où le fleuve s’écoulait entre deux bibliothèques.

Après 1968, coup de barre commercial. Une collection de romans, pour la plupart anglo-saxons, s’intitule Best-seller imprimé sur la couverture avant même que le tirage et la mise en place soient effectués. Les formats s’uniformisent. La télé s’impose. Paradoxe : ceux qui partent en week-end emportent romans policiers et albums de bandes dessinées. C’est de la littérature quand les auteurs sont Irish et Hergé. Ils emporteront bientôt des cassettes VHS puis des DVD.

Paysage après la bataille : les quelques gros succès de librairie sont liés d’une manière ou d’une autre à la politique. Notre société communiste de marché a réussi ce que le communisme de pénurie a manqué, sans doute par romantisme : faire des citoyens des consommateurs et des lecteurs, des avaleurs de soupe imagée. « Je n’étais pas né(e) » est la réponse la plus courante aux quiz. Pas né(e) rien que pour la première moitié du xxe siècle à Proust, Guitry, Montherlant, Aymé, Léautaud et quelques autres. Pas né(e) pour Clemenceau, Leclerc, de Lattre. Pas né(e), dans les limbes encore et toujours, au chaud dans l’illettrisme et l’inculture. Les hypnotisés de l’écran ignorent Lumière, Méliès, Linder. Le cinéma commence – pour les plus « cultivés » – avec Truffaut et la littérature avec Le Clézio.

J’ai découvert il y a un peu plus de dix ans la joie de passer pour un vieux con. Ça revigore quand le simple fait de citer le nom d’un grand écrivain amène un sourire méprisant sur les faces des jeunes – et des moins jeunes. « Moins on a de culture, plus on l’étale », répliquent-ils. C’est ça, p’tit con, sors-moi ce lieu commun. Je l’entends de plus en plus de la part de ceux qui n’ont rien à étaler sur la tartine, ou de la margarine. Ils ne savent rien et s’en font un devoir. Le fossé se creuse et ce serait encore trop beau si c’était seulement celui des générations. Il se situe entre les mondialisés irrémédiables et les résistants-bien-que mal. Malraux avait énoncé ainsi la différence entre le cinématographe et la télévision. Dans un cas la lumière vient de derrière et dans l’autre de devant. Je n’ai rien à ajouter.

Extrait de "Oui c'était mieux avant" d'Alain Paucard éditions Jean-Cyrille GodefroyPour acheter ce livre, cliquez ici

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