Où va la droite : les mots de l’électorat UMP<!-- --> | Atlantico.fr
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Un militant UMP collant des stickers du parti.
Un militant UMP collant des stickers du parti.
©Reuters

Mettre des mots sur les maux

Un sondage exclusif de l'institut CSA pour Atlantico montre l'évolution de la perception de certains mots chez les Français depuis 2006 et plus précisément chez les sympathisants UMP. Famille, travail, libéralisme, Europe, mondialisation... ils en disent beaucoup sur leurs aspirations mais aussi sur leurs contradictions.

Bernard Sananès

Bernard Sananès

Bernard Sananès est président d'Elabe. Il est diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix en Provence, et de l'Institut Pratique de Journalisme.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Que disent les résultats de cette étude CSA pour Atlantico des attentes des sympathisants de droite ? La bonne ou mauvaise perception de certains mots est-elle révélatrice de certaines aspirations politiques ?

Vincent Tournier : Ce qui est le plus frappant, c’est de voir que les valeurs les plus ancrées à droite sont celles qui sont les plus consensuelles dans la société française. Ces valeurs combinent à la fois des grands principes (la liberté, l’égalité), des valeurs morales (la famille, les traditions) et des valeurs économiques (le travail, les entreprises). Ces valeurs transcendent les clivages politiques. Elles correspondent donc à une certaine culture nationale dans laquelle les Français se reconnaissent assez bien. Pour le dire autrement, il n’y a pas de véritable choc frontal et massif sur le terrain des valeurs, même si on peut penser que la gauche et la droite ne définissent pas exactement ces valeurs de la même façon. On peut prendre l’exemple de la famille : tout le monde valorise la famille, mais la définition n’est pas consensuelle, comme l’ont montré les polémiques sur le mariage homosexuel.

Bernard Sananès : On constate tout d'abord un attachement des sympathisants de droite à des valeurs traditionnelles comme la famille, la liberté, le travail, … on sait que la famille est aujourd’hui une valeur dominante de la société française, c'est une valeur refuge qui dépasse les clivages partisans. Par ailleurs on est frappé par la tentation protectionniste avec le recul de l’idée européenne, qui reste néanmoins nettement majoritaire à droite, et de la perception de la mondialisation. C’est la traduction d’une déception vis-à-vis d'une Europe qui ne protège pas d'une mondialisation perçue comme menaçante d'abord pour l'emploi.

Une autre donnée intéressante concerne les Etats-Unis dont l'image s'est améliorée de 22 points depuis 2006. Cela est notamment lié au fait que la politique des Etats-Unis est perçue par l'opinion moins hégémoniste, et aussi évidemment qu’Obama transcende les clivages politiques à l’étranger alors qu'en 2006 Bush clivait fortement et négativement les opinions publiques

Par rapport à la perception que les sympathisants de droite avaient de ces mots en 2006, quelle évolution constate-t-on ?

Vincent Tournier : Les études sociologiques nous apprennent que, dans l’ensemble, les valeurs évoluent plutôt lentement. Dans cette enquête, on perçoit cependant quelques inflexions intéressantes. On voit tout d’abord que l’image des Etats-Unis s’est améliorée mais il faut rappeler qu’en 2006, on était peu de temps après le clash entre Jacques Chirac et George W. Bush sur l’intervention en Irak. Globalement, l’antiaméricanisme est peu répandu dans l’opinion publique, il existe plutôt chez les intellectuels. Cela ne signifie pas que les Français revendiquent le modèle américain puisque le mot libéralisme connaît plutôt une certaine baisse (- 7).

Par ailleurs, on observe une certaine érosion des mots mondialisation (- 6) et Union européenne (- 8). Cela confirme que les grands projets internationalistes des années 1980-1990, sans être remis en cause, ne s’inscrivent plus dans la même dynamique qu’autrefois. On peut penser qu’il s’agit là  d’une inquiétude sur l’avenir de la France en Europe et dans le monde. La crise de 2008 est passée par là. Les craintes face à l’extérieur se retrouvent dans la baisse des justement positifs concernant l’islam (- 18) et les immigrés (-26). La récente critique de l’Aide médicale d’Etat par Laurent Wauquiez, pointant la hausse importante du budget qui lui est consacré, illustre cette polarisation.

On peut ajouter que ces inquiétudes sur la mondialisation ne s’accompagnent pas forcément d’une demande d’intervention de l’Etat. On enregistre au contraire une baisse du soutien aux services publics (- 10) et le terme de socialisme, qui était déjà peu apprécié, connaît un net déclin (- 20).

Bernard Sananès : Même à droite, l’idée du libéralisme a reculé par rapport à 2006, traduisant aussi ce besoin de protection et cette peur d'une financiarisation excessive de la société.

On constate aussi un durcissement de l'opinion à droite, mais aussi dans l’ensemble de la société française, sur les sujets d’immigration et sur l’islam, une tendance observée depuis plusieurs années.

Enfin, il y a dans notre étude des tendances structurelles et des variables qu'on ne peut pas déconnecter de l'actualité. Ainsi, le jugement porté sur le mot "socialisme" ne peut pas être dé-corrélé de la défiance exprimée à l’égard de l’exécutif. De même, la dernière grève de la SNCF, incomprise dans l'opinion, doit contribuer à la dégradation de l'image des services publics.

En quoi cette étude est-elle révélatrice du positionnement politique des Français au niveau global ?

Vincent Tournier : Cette  étude a le mérite de mettre en évidence la complexité du clivage gauche-droite. Plus exactement, elle montre que les mêmes lignes de fracture existent au sein de tous les électorats. On le voit notamment sur la question centrale de l’Etat. L’Etat n’est pas un véritable point de démarcation. Les mots comme « services publics » et « Etat » sont certes plus approuvés à gauche qu’à droite, mais ils rencontrent aussi un soutien important à droite. Plus significatif encore, le terme « protectionnisme » apparaît aussi clivant à droite qu’à gauche : cela signifie que, à droite comme à gauche, il existe des demandes de protection. Donc, contrairement ce que l’on pouvait anticiper dans les années 1980, l’électorat de droite n’a nullement basculé vers le libéralisme économique ; par contre, une partie de l’électorat de gauche est attirée par les idées libérales.

Cela explique du coup la difficulté des partis politiques aujourd’hui. Comme leurs électeurs expriment des demandes contradictoires, ils sont obligés de satisfaire tout le monde, ce qui peut donner le sentiment qu’ils font un grand-écart idéologique, voire qu’ils sont contradictoires. Même les questions de société n’entrent pas dans un schéma simple. C’est ce que montre le mariage homosexuel : certes, il s’agit d’un sujet clivant entre la gauche et la droite, mais environ un tiers des sympathisants de l’UMP l’approuve, ce qui explique le relatif embarras de l’UMP qui n’a pas été très engagée dans l’opposition à cette loi.

Bernard Sananès : Au niveau global, on constate que la lecture des valeurs qui est faite par les Français est moins teintée d’idéologie. Par exemple le travail et l’égalité sont des mots appréciés par les personnes sondées, qu’elles soient de gauche ou de droite. D’ailleurs j’ai le sentiment que les responsables politiques de droite ont oublié l’attachement de leur camp à l’égalité, tout comme ceux de gauche ont oublié l'attachement de leur camp à la valeur travail. Finalement, l'enseignement le plus fort de cette étude est que les français apparaissent moins idéologues que pragmatiques.  On le voit aussi lorsqu'on les interroge sur leur perception de l’entreprise. Y compris lorsque l’on n’accole pas le qualificatif "petite" ou "moyenne", toujours facteur de sympathie, l’entreprise est jugée de manière positive par 79% des français. Comme on l'observe dans d'autres études, l'entreprise est désormais avant tout associée la sortie de crise et moins à la notion de profit.

Une autre donnée à signaler est l'écart de classement entre les services publics et l’Etat. Si deux tiers des français sont attachés aux services publics, ils sont plus critiques vis-à-vis de l’Etat. Les services publics évoquent la proximité, essentielle pour les Français, tandis que l’Etat est synonyme de pesanteur et de complexité.

Au vu du niveau de popularité des mots recensés dans l’étude, retrouve-t-on à droite la rupture traditionnelle entre libéraux et conservateurs ? Pourquoi ?

Vincent Tournier : Je ne présenterai pas les choses exactement de cette manière. Parler d’un clivage entre la composante libérale et la composante conservatrice sous-entend qu’il existe une droite libérale. Or, les idées libérales ont très peu pénétré la société française, même à droite. Il n’y a pas à proprement parler de droite libérale, même si la liberté est fortement valorisée chez les électeurs. Je dirai plutôt que l’électorat de droite est traversé par deux lignes de clivage : l’une concerne les valeurs morales sur un axe qui oppose les valeurs traditionalistes aux valeurs plus individualistes ; l’autre concerne l’identité nationale, avec un axe qui met en opposition le nationalisme et le mondialisme. Potentiellement, il existe donc plutôt quatre familles ou tendances au sein de la droite, même s’il est difficile d’évaluer le poids respectif de ces différentes composantes. Quoi qu’il en soit, on retrouve cette diversité dans le sondage avec une adhésion à des couples de valeurs en apparence contradictoires comme  la tradition et la liberté, le profit et les services publics, l’entreprise et l’Etat, etc.

Bernard Sananès : Sans parler de véritable rupture on observe un rééquilibrage des aspirations des sympathisants de droite. La dureté de la crise, la dérive de la financiarisation est passée par là. Mais cela démontre aussi qu'il sera très difficile de rassembler sur une ligne claire, les différentes famille de la droite. On comprend pourquoi les grands partis PS comme UMP sont devenus des machines à investir des candidats pour l'élection présidentielle. Le grand écart idéologique est plus facile à masquer derrière une campagne très personnalisée.

Diriez-vous que les attentes actuelles des sympathisants de droite qui transparaissent dans l'étude rencontrent une offre politique qui lui correspond ? Pourquoi ?

Bernard Sananès : D'abord parce que comme le PS, l'UMP a du mal à dégager une ligne fédératrice, alors qu'une fracture majeure, celle sur la construction européenne partage son propre camp. Ensuite, il n’y a pour l’instant pas vraiment d’offre politique de droite qui soit audible, à cause des affaires, des divisions au sein de l’UMP et de son absence de leadership.

L’attente existe, mais depuis la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, elle ne trouve pas de discours ou d’offre répondant à la fois à l'urgence des réformes et en même temps au fort besoin de protection et de lutte contre les injustices.

Vincent Tournier : Pour comprendre les tensions actuelles au sein de la droite, il faut avoir à l’esprit que l’électorat de droite est lui-même pluriel. Cette diversité rend complexe l’unification dans un parti unique. La création de l’UMP a pu se faire en 2002 dans un contexte particulier, lié au coup de tonnerre du 21 avril, et encore l’unification est restée imparfaite puisqu’une partie des centristes a refusé l’alliance. Mais du coup, l’UMP est moins homogène que le RPR d’autrefois, ce qui l’oblige à proposer un programme moins cohérent, moins unifié. Le côté positif, c’est que les différents électorats de droite peuvent trouver des propositions qui leur conviennent ; l’inconvénient, c’est que les électeurs se sentent un peu perdus et n’approuvent pas toutes les propositions. Il suffit de lire le programme de l’UMP lors des dernières élections européennes pour mesurer ces tiraillements internes. On y trouve des formules aussi étonnantes que celle-ci : « parce que nous sommes patriotes, nous sommes européens ». Le risque est donc de produire une rhétorique très élaborée, savamment dosée pour satisfaire tout le monde, mais qui ne veut finalement plus rien dire. C’est un des éléments qui expliquent la crise de confiance dans les partis politiques.  

François Fillon s’est prononcé pour une politique plutôt libérale. Au regard de la popularité de ce concept, ce positionnement est-il judicieux ?

Bernard Sananès : C’est pour lui une manière de se démarquer, de retrouver de l'aspérité, et une forme de cohérence brouillée depuis la bataille pour la présidence de l'UMP et les déclarations vis à vis du FN/ Le libéralisme en tant qu’absence de règle n’a jamais été très populaire en France, et le courant libéral n’a jamais été majoritaire. Avec ses prises de position, François Fillon vise surtout à se réapproprier la rupture. Il faudra qu'il démontre que sa rupture n'est pas qu'une rupture libérale.

Vincent Tournier : Toute la difficulté pour le futur leader de l’UMP est d’arriver à se situer au centre de gravité du parti. Quoiqu’on en dise, Jean-François Copé y était parvenu : il a su incarner le point d’équilibre de l’UMP, c’est ce qui lui a permis de tenir à la tête du parti en dépit d’une élection difficile contre son rival, François Fillon. Si Copé a été contraint de démissionner, ce n’est pas à cause d’une contestation interne, mais à cause des affaires de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy qui ont provoqué l’affolement d’une partie des cadres, et dont ont su tirer profit les opposants de Copé. Le problème est que François Fillon incarne une tendance droitière au sein de l’UMP ; il fait un diagnostic très sombre sur la société française actuelle et propose un programme de rupture radical, quitte à susciter des mouvements sociaux, comme le montrent les propos recueillis récemment par le site Contrepoints (http://www.contrepoints.org/2014/06/28/170370-pour-francois-fillon-il-faut-en-france-une-reforme-brutale). Si Fillon venait à prendre la direction de l’UMP, les centristes et les modérés se sentiraient lésés et menacés. C’est toute la raison d’être du triumvirat. Le but de ce triumvirat est d’encadrer Fillon, ou plutôt de le rééquilibrer avec des gens qui incarnent des tendances plus modérées, que ce soit Juppé et Raffarin. Il fallait aussi des personnalités de rang au moins équivalent (en l’occurrence des anciens premiers ministres) pour pouvoir lui tenir tête. Cela montre que le cheminement de Fillon n’est pas tracé d’avance. Or, il semble vouloir griller les étapes. Sa stratégie de droitisation est probablement judicieuse en prévision de la future élection présidentielle, mais on n’est pas encore en 2017. S’il veut conquérir l’UMP, il doit d’abord démontrer qu’il peut incarner l’ensemble des composantes du mouvement. Il doit donc donner des gages et convaincre ceux à qui il fait peur.

Méthodologie de l'étude :

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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