Où habitent les pauvres en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
HLM de Chavanoz Moulin-Villette.
HLM de Chavanoz Moulin-Villette.
©wikipedia.org

Home sweet home

La rigidification du marché immobilier français et la crise économique redessinent depuis 2008 la répartition géographique des populations en fonction de leurs moyens. Banlieues, campagnes, petites villes, tour d'horizon des nouveaux habitats des Français les plus démunis.

Maryse Bresson

Maryse Bresson

Maryse Bresson est enseignant-chercheur en sociologie à l'UFR des sciences sociales et au laboratoire Printemps, UVSQ. Elle est notamment l'auteur de la Sociologie de la précarité, aux Editions Armand Colin. 

Voir la bio »

Atlantico : Plus que jamais, la crise économique aidant, le marché immobilier semble rigide et inaccessible pour en partie de la population. Quelles sont aujourd’hui en France les populations les plus précaires, en particulier face à l’immobilier ? Comment ont-elles évolué ?

Maryse Bresson : Une enquête du CREDOC auprès des organismes sociaux parue en 2010 a tenté de répondre à cette question. Selon ses résultats, présentés par Christine Olm, les populations les plus en difficulté de logement sont les personnes en situation de pauvreté monétaire. De ce point de vue, il faut rappeler qu’il y a en France environ 8 millions de personnes pauvres, soit plus de 13% de la population et que parmi elles, plus de 3,5 millions (soit, plus de 5,5% de la population) vivent dans des conditions de logement dégradées.

La part du logement dans les budgets est de plus en plus importante. Dans un contexte économique difficile, le problème pour les précaires se traduit par la dégradation de la qualité du logement et, aussi, par des difficultés accrues d’accès ou de maintien dans un logement. De ce point de vue, les individus les plus fragilisés sont, de manière logique, notamment les jeunes, et les personnes âgées. 

En résumé, pour répondre à la question des personnes précaires notamment, vis-à-vis du logement ; il y a donc les personnes confrontées à la hausse du coût de la vie et qui n’arrivent plus à payer leurs charges de logement ; les actifs en rupture d’emploi, en contrat précaire, ou au chômage qui ont des revenus irréguliers et/ou insuffisants pour payer ces charges ; mais aussi les personnes en situation de rupture ou simplement, d’éloignement de leur milieu familial et de ce point de vue, les jeunes sont très exposés. Quant aux personnes âgées, elles présentent aussi le risque de problèmes de santé accrus qui peuvent dégrader leur situation économique (pour payer les charges de logement) ou nécessiter des travaux d’aménagement qu’elles ne peuvent pas payer, par exemple. Enfin, les immigrés arrivés récemment en France ont du mal à obtenir une régularisation de leur situation et donc aussi, à accéder à l’emploi et au logement.

Les banlieues, la campagne ou plus généralement la province pour les Franciliens sont souvent décrites comme des solutions de repli pour les populations les plus précaires. Quels sont réellement les mouvements – ou les impossibilités de mouvements – de ces populations ? Quelles sont les zones ou habitent ces Français ?

Je n’ai pas connaissance d’enquête précise sur ces questions mais, il faut prendre garde à ne pas simplifier l’analyse et à voir la pluralité des mouvements – ce qui n’empêche pas de mettre en évidence une logique d’ensemble qui se dessine.

Ainsi les historiens ont beaucoup étudié les déplacements de populations pauvres vers les pays riches ou encore, de la campagne vers les villes. Mais, dans nos pays riches, les pauvres justement ne peuvent ou ne veulent pas se déplacer – c’est d’ailleurs souvent un objectif non avoué des politiques de “rénovation urbaine” que de les inciter à partir. Par ailleurs, parler par exemple des populations qui “préfèrent” quitter la région parisienne pour aller en province, ou encore à la campagne, où le coût de la vie est réputé moins élevé et l’accès au logement plus facile c’est ne pas tenir assez compte des autres contraintes et d’abord, celles d’accès à l’emploi, ou à la formation pour les jeunes. Enfin, il faut se souvenir que le logement c’est aussi l’endroit où une sociabilité s’est créée, avec des réseaux d’interdépendance, et que le déplacement a un coût en particulier, pour les plus précaires qui peuvent perdre justement tous les réseaux d’entraide qui leur permettaient de “tenir”.

Enfin, il faut bien sûr distinguer d’un côté, les mouvements “spontanés” de population, de l’autre, les mouvements provoqués par des politiques volontaristes – notamment, de rénovation urbaine. Evidemment ces mouvements n’ont pas la même signification, ni les mêmes conséquences.

Donc, il ne faut pas simplifier les mouvements “des pauvres et précaires” en général, qui sont à la fois limités, et différenciés. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas des logiques à l’oeuvre, que la sociologie urbaine s’est efforcée de mettre en évidence. Dans un article paru en 2004 dans la revue Esprit intitulé : La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation, Jacques Donzelot montre que deux phénomènes s’additionnent et cumulent leurs effets : d’une part, les aspirations des ménages aisés à se concentrer “entre soi” ; d’autre part, les politiques qui ont favorisé depuis des décennies l’accession à la propriété. Le résultat est un triple mouvement.

Premièrement, les catégories les plus aisées se sont approprié ou réapproprié les centres villes où les prix des logements sont devenus dissuasifs pour les classes populaires et même, pour les classes moyennes. C’est la gentrification. Les classes moyennes et les classes populaires les plus aisées, attirées par la perspective de la “ville à la campagne”, sont allés acheter un pavillon de banlieue dans les couronnes plus éloignées des villes. Ce sont elles qui viennent travailler en ville en voiture ou en transports en commun, au prix de déplacements quotidiens qui produisent aussi de la pollution. C’est la périurbanisation. Les précaires enfin n’ont pas pu bénéficier de l’accession à la propriété et sont restés sur place, dans les anciennes zones d’habitat social qui désertées par les classes moyennes, se sont dégradées. C’est la relégation que subissent maintenant les “banlieues sensibles”, mais aussi les “quartiers pauvres” des grandes villes. Et c’est donc là que les immigrés viennent, pour trouver des logements, avec les habitants déjà installés trop précaires pour partir (d’où aussi l’image de quartiers-ghettos).

De ce point de vue, c’est donc l’absence de mouvement ou plutôt, l’impossibilité de pouvoir choisir le mouvement qui caractérise les précaires – soit qu’ils doivent rester dans des habitats dégradés ; soit qu’ils subissent une injonction à partir alors qu’ils ne veulent pas et qui peut les précariser encore plus (dans le cas d’opérations de rénovation urbaine notamment).

Quel impact a cette évolution au niveau de la cohésion du pays ? Peut-elle engendrer des problèmes sociaux ou au contraire servir de base à la création d’une autre dynamique loin des grands espaces urbains ?

Ce triple mouvement mis en évidence (gentrification – périurbanisation – relégation) constitue à l’évidence une menace au niveau de la cohésion du pays. D’abord les catégories sociales ne se mélangent plus. Ensuite certaines populations se sentent exclues, reléguées.

Pour qu’il y ait une dynamique loin des grands espaces urbains, il faudrait qu’il y ait de la richesse créée et des flux de richesse qui passent sur ces territoires de relégation. On peut attendre un dynamisme qui viendrait des initiatives prises “par en bas”, “bottom up” comme disent les anglo-saxons. C’est ce que cherche à impulser la politique de la ville. Mais tant que le premier mouvement de ceux qui réussissent dans ces quartiers est d’en partir ; tant que le fait même de partir de ces quartiers est présenté comme un symbole de réussite, la dynamique des territoires est compliquée à établir et maintenir.

Pour recréer une dynamique favorable à la cohésion sociale, ma conclusion est qu’il faut repenser la mixité sociale – slogan souvent repris à propos des logements d’habitat social mais qui va au-delà, puisqu’il s’applique à tous les territoires, sans exception. Mais c’est difficile car cela va à l’encontre d’une aspiration que personne ne semble mettre en cause : le libre choix de s’établir, et de choisir son voisinage de proximité, à hauteur de son niveau de revenus.

En conclusion, je dirais que, le fonctionnement du marché immobilier et la montée des précarités ne sont pas seuls en cause pour expliquer les difficultés des plus précaires par rapport au logement ; il y a une responsabilité de la politique publique menée depuis des années, et aussi de chacun de nous, de nos aspirations individuelles ;  la cohésion sociale passe par une revalorisation assumée du mélange ou de la mixité sociale.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !