Orban relégitimé par les Hongrois, rediabolisé par Bruxelles. Mais pourquoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre hongrois Viktor Orban prononce un discours à côté de membres du parti Fidesz dans leur base électorale, le 3 avril 2022.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban prononce un discours à côté de membres du parti Fidesz dans leur base électorale, le 3 avril 2022.
©ATTILA KISBENEDEK / AFP

Diabolisation

Fidesz, le parti du Premier ministre hongrois Viktor Orban, est arrivé en tête des législatives dimanche 4 avril. Malgré une victoire écrasante dans son pays, avec près de 54% des voix, Orban est toujours diabolisé par Bruxelles

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Le parti du Premier ministre Viktor Orban est arrivé en tête des législatives hongroises dimanche, se dirigeant vers un quatrième mandat d’affilée. Quels sont les principaux enseignements de ce scrutin ? 

Rodrigo Ballester : Les résultats finaux confirment un véritable raz de marée, la quatrième victoire de suite pour Orbán et sans aucun doute la plus marquée : 54% des voix et encore une majorité de deux tiers au Parlement hongrois. Après douze ans aux manettes de la Hongrie, c’est époustouflant, et d’ailleurs, inespéré. Les sondages prédisaient certes une victoire, mais bien plus serrée. Surtout, personne n’avait anticipé la dégringolade de la coalition de l’opposition : à peines 35% des suffrages et 56 sièges sur 199. Une défaite cinglante, et un résultat bien en-dessous de leurs attentes. 

Plusieurs enseignements peuvent en être tirés. Le premier, l’impact décisif de la guerre en Ukraine sur le résultat final, nous y reviendrons plus tard. 

Deuxièmement, le clivage Budapest et le reste du pays. Regardez la carte électorale et vous verrez un ilôt bleu (opposition) entouré d’un océan orange (Fidesz). C’est très révélateur : Orbán à perdu même dans les quartiers les plus cossus de Budapest, mais dans la Hongrie périphérique, c’est un véritable tsunami. Un clivage bien connu du monde occidental, notamment de la France. A une grande différence près : en Hongrie, l’électorat de Fidesz est en grande partie celui des villes périphériques, des déclassés et des perdants de la globalisation. Si en France ils perdent, en Hongrie, ils gagnent.

Troisièmement, l’internationalisation du scrutin notamment à travers de députés européens de gauche (ou même de personnalités du show-business !) et une campagne médiatique extrêmement agressive au niveau international ont été totalement contre-productifs pour l’opposition. 

Viktor Orban faisait face à une alliance inédite de six partis et les analystes pensaient que la bataille serait serrée. Contre toute attente, son parti Fidesz a recueilli près de 54 % des voix, contre 34,75 % pour l’opposition. Comment expliquer ce nouveau succès malgré la masse de l’opposition ? Quels ont été les thèmes de campagne ayant permis de porter Viktor Orban et son parti vers cette victoire, plus large qu'anticipée ?

Justement, le succès d’Orbán peut en partie être expliqué par la variété des partis, ou pour être plus précis, par la nature bariolée de la coalition de l’opposition. Un amalgame disparate de six partis couvrant pratiquement tout le spectre politique à l’exception de Fidesz, et liguant sous un même drapeau les socialistes, les libéraux urbains, les écologistes rouge-verts, quelques micro-partis et… Jobbik qui n’en finit pas de se reconvertir mais dont les relents antisémites sont à peine cachés sous une façade sociale en trompe l’œil. Une coalition extrêmement instable dont le seul but commun était de s’opposer à Orban, rien d’autre. Une coalition qui aurait probablement périclité en étant au pouvoir. Pas vraiment une option attirante en temps de turbulences géopolitiques. Image révélatrice de leur unité de circonstance, leur leader Marki Zay était absolument seul sur scène en lorsqu’il reconnaissait sa défaite. Aucun, je dis bien aucun membre de la coalition ne l’a accompagné lors de sa déclaration. 

Deuxième facteur de taille dans la défaite de l’opposition, Péter Marki Zay lui-même. Depuis sa nomination, le candidat a multiplié les gaffes et les maladresses, certaines des plus embarrassantes.  Orateur en roue libre, parfois vexant parfois excentrique, ses sorties ont de quoi laisser perplexe. Par exemple lorsqu’il déclare que son alliance accueille des « libéraux, communistes, conservateurs et fascistes » ou que « Fidesz a le plus grand nombre d’homosexuels dans ses rangs ». Stupéfiant, et j’en passe et des meilleures.

Sinon, il faut bien évidemment reconnaître l’impact crucial de la guerre en Ukraine sur la campagne, au bénéfice d’Orbán.  La Hongrie, petit pays d’à peine neuf millions d’habitant est aux premières loges du conflit. Il partage une frontière avec l’Ukraine et a reçu un demi-million de réfugiés. Orbán a lancé un message de prudence totalement en ligne avec le ressenti pragmatique majoritaire des hongrois, à savoir : solidarité absolue avec les réfugiés ukrainiens, alignement total avec l’UE et l’OTAN tout en se tenant à l’écart d’une implication directe dans le conflit. Une ligne électoralement payante. Sans la guerre, les résultats auraient probablement été bien plus serrés. 

Finalement, avant l’émergence de la guerre, Orbán mettait en avant son bilan économique depuis douze ans, qui est franchement excellent : moins de 4% de chômage, croissance robuste et continue, dette maîtrisée, politiques familiales généreuses, impôts au plus bas et une hausse des salaires sans précédents. Cela a également pesé dans  la balance.

Quelles sont les perspectives pour la Hongrie suite au nouveau sacre de Viktor Orban et du Fidesz ? L'opposition aura-t-elle un rôle à jouer ? Grâce à cette victoire, le dirigeant hongrois va-t-il pouvoir jouer un rôle central dans le cadre du dossier sensible de la guerre en Ukraine ? 

En ce qui concerne l’opposition, elle n’aura à mon avis aucun rôle. D’une part, parce qu’avec une majorité de deux tiers au Parlement hongrois, Orbán peut parfaitement s’en passer. Deuxièmement, car après une campagne tendue, il n’y a pas vraiment un désir de les associer à quoi que ce soit. Mais surtout, parce que l’opposition est totalement en miettes après cette Bérézina électorale. Rendez-vous compte : le Jobbik (extrême droite) s’est sabordé en s’alliant à la gauche ; les libéraux de gauches ont désormais un poids anecdotique au parlement et Marki-Zay lui-même a subi une défaite humiliante dans son fief avec une différence de douze points. Il ne siègera même pas au Parlement, sa carrière est probablement finie et enterrée ! Cette défaite retentissante fera sans doutes exploser les rivalités latentes pendant la campagne.  

Les perspectives pour la Hongrie seront celles d’un gouvernement extrêmement stable à la majorité très large, mais qui sera confronté à des défis majeurs, principalement causés par la guerre. Comme tous les autres pays de l’UE, mais peut-être davantage, il devra résoudre le problème des sources d’énergie. La Hongrie est très dépendante du gaz russe et a une coopération nucléaire avec la France et…la Russie. Sans parler de l’inflation et du coût des sanctions.  

Les relations entre Bruxelles et Budapest restent sinon un sujet majeur. Elles étaient exécrables avant la guerre mais se sont quelques peu apaisées depuis l’invasion russe. En effet, en plus de l’accueil exemplaire d’un grand nombre de réfugiés, Orbán a joué le jeu et s’est aligné sans ambages avec les positions de l’UE et de l’OTAN. On lui a d’ailleurs fait un très mauvais procès en le caricaturant pendant la campagne comme le meilleur allié de Poutine surtout pour sa réticence à inclure l’énergie dans les sanctions (comme l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et tant d’autres) et pour la relation tendue qu’il maintient avec le Président Zelenski. En outre, la Commission est devenue plus pragmatique et j’ose espérer que certaines querelles très clivantes (comme la loi hongroise sur la protection des mineurs qui proscrit la théorie du genre parmi les mineurs) seront enterrées pendant quelques temps.

De là à donner à Orbán un rôle central dans la guerre en Ukraine, je ne le pense pas. D’une part car il ne fait pas l’unanimité auprès de ses confrères et surtout, parce que le Premier Ministre hongrois préfère se concentrer sur la situation et les intérêts de son pays. A moins qu’il n’assume un rôle plus actif pendant la présidence hongroise de l’UE en 2024. Mais nous y sommes encore très loin. Qui sait ce qui se passera en Ukraine d’ici là ?

À l’issue des résultats, Vladimir Poutine a félicité Orban pour sa victoire. Comment Orban peut-il maintenir les liens amicaux qui le lient à Poutine au regard des massacres qu’on découvre en Ukraine ?

Permettez-moi de clarifier la question. Depuis le début de la guerre, Orbán a très clairement condamné l’agression russe et il continue à le faire. De surcroît, il a soutenu toutes, absolument toutes les mesures adoptées par l’UE et par l’OTAN. Et finalement, il accueillie à bras ouverts des centaines de milliers de réfugiés. Comme la majorité des pays d’Europe Occidentale, il est réticent à étendre les sanctions au domaine énergétique. 

Donc, en prenant tous ces éléments irréfutables en compte, à quels liens amicaux faites-vous référence ? Je suppose que vous faites référence aux contrats d’approvisionnement de gaz et la construction d’une centrale nucléaire en coopération avec la russe Rosatom, deux contrats que la Hongrie avait signé de longue date avec la Russie. Mais dans ce cas-là, si vous en déduisez des « liens amicaux », comment qualifieriez-vous l’Allemagne qui a carrément construit le gazoduc Nordstream II en ignorant largement les remontrances de l’UE, de l’Ukraine et des Etats-Unis ? Ou la centrale que la Finlande construisait avec les russes ? Non, ce n’est simplement pas sérieux de faire ce procès en « putinisme » à Orbán, c’est à la limite calomnieux. Et faire le lien avec les massacres de Bucha, c’est odieux. Demanderiez-vous la même chose à Olaf Scholz ? 

C’est ce qu’à fait en partie le Président Zelenski en reprochant à Orbán de ne pas être aussi impliqué dans la guerre que la Pologne ou les pays Baltes. Il aurait pû être aussi véhément avec la majorité des pays européens d’ailleurs mais il a choisi de s’en prendre particulièrement au Premier Ministre hongrois en pleine campagne électorale. Certes, l’Ukraine est sous les bombes et on peut se demander ce que nous ferions à la place de Zelinski. Ceci dit, il n’en demeure pas moins que ce-dernier s’est montré intrusif pendant la campagne hongroise et qu’il a soutenu une opposition qui elle, jurait de faire transiter des armes par le territoire hongrois. En plus, n’oublions pas que les relations entre Budapest et Kiev s’étaient détériorées depuis au moins cinq ans car cette dernière avait remis en cause les droits linguistiques de la minorité hongroise en Ukraine. 

Encore une fois, j’insiste sur l’accueil des réfugiés. Malgré les tensions politiques, la Hongrie (tant le gouvernement comme la société en général) ont accueilli avec générosité un très grand nombre de réfugiés sans hésitez une seule minute. Que lui reproche-t-on exactement, de ne pas se laisser entraîner directement dans un conflit armé, de suivre à la lettre les positions de l’UE et de l’OTAN ? Parfois, j’ai l’impression que quoi qu’il fasse, il est médiatiquement condamné d’avance.  

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