Une opposition en plein chaos, une majorité en plein psychodrame : les scénarios d'un automne politique sans précédent<!-- --> | Atlantico.fr
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Entre une majorité aux abois et une opposition en pleine guerre des égos, l'automne s'annonce particulièrement chargé en électricité
Entre une majorité aux abois et une opposition en pleine guerre des égos, l'automne s'annonce particulièrement chargé en électricité
©REUTERS/Christian Charisius

Tel le phénix

De mémoire d'historien ou de politologue, on a rarement vu ça : une majorité on ne peut plus abandonnée par ses électeurs, qui ne se retrouvent plus en elle, et une opposition dans un état de désorganisation tel qu'elle est incapable de profiter de la situation. Dans un tel contexte, l'automne 2014 est sans doute le dernier moment pour que la gauche puisse redresser la barre, avant que l'UMP et l'UDI ne se mettent en ordre de bataille.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Bertrand  Rothé

Bertrand Rothé

Bertrand Rothé est agrégé d’économie, il enseigne à l’université de Cergy-Pontoise et collabore régulièrement à Marianne. Il est déjà l’auteur de Lebrac, trois mois de prison (2009) et co-auteur de Il n’y a pas d’alternative. (Trente ans de propagande économique).

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Atlantico : Face à une droite encore livrée aux luttes de pouvoir et aux affaires, et à un centre en manque de chef depuis que Jean-Louis Borloo a annoncé son retrait, la majorité ne fait pas très bonne figure non plus : le couple Hollande-Valls continue de s’enfoncer dans l’impopularité, les frondeurs ont pris rendez-vous pour la rentrée et les résultats du Pacte de responsabilité restent encore largement hypothétiques. Dans une telle situation, de quelle marge de manœuvre la gauche dispose-t-elle pour se remettre en selle cet automne ?

Jean Garrigues : La marge de manœuvre est assez faible, à la mesure des contraintes de toutes sortes qui pèsent sur la politique gouvernementale, et des critiques qui l’affaiblissent de tous côtés. Mais il existe une volonté de refondation, qui a été affirmée au lendemain des élections européennes, que ce soit par Manuel Valls, qui parlait d’ouvrir un "nouveau cycle" pour la gauche française, ou par Jean-Christophe Cambadélis, qui a repris les mêmes termes. Il a été décidé d’organiser des états généraux des socialistes, fondés sur la consultation de la base du parti. Cette consultation est de nature à prendre de vitesse les courants, et notamment ceux qui sont hostiles à Valls ou Hollande, dans la perspective du congrès de 2015. Les congrès socialistes étant traditionnellement des confrontations de courants, Manuel Valls, qui est plutôt minoritaire, a recours à la seule façon de court-circuiter la majorité "aubryste", à savoir passer par la consultation de la base. Notons qu’un axe s’est formé entre Matignon et la rue de Solférino pour mettre en place cette refondation. On peut parler de fait nouveau, car depuis le Congrès de l’Arche en 1991 et le Congrès de Dijon en 2003, aucune véritable réflexion de fond n’a été menée de manière collective (c'est-à-dire à l’écart des confrontations de personnes ou de clans) sur ce que pourrait être un nouveau Parti socialiste. Cette volonté s’inscrit dans la continuité de l’annonce du Pacte de responsabilité, c'est-à-dire clairement vers le choix du social-libéralisme, que certains appellent encore social-démocratie. L’axe de refondation est donc impulsé de l’Elysée. Reste à savoir si la base des militants suivra dans cette direction.

Bertrand Rothé : "Politic as usual" pourra-t-on conclure deux jours après le 26 mai. La claque des européennes n’a servi à rien. Refusant de tenir compte de l’expression de la souveraineté populaire, le gouvernement continue sa route. Déni de démocratie ? Pas du tout. Voilà Hollande devenu gaulliste ; persuadé que les Français sont des veaux. Amnésiques ! En 2007 ils ont accepté sans rechigner le traité de Lisbonne, un copié-collé du Traité Constitutionnel qu’ils avaient refusé à une large majorité en 2005. Alors pourquoi n’accepteraient-ils pas une nouvelle fois de se faire avoir ? Les politiques et le gouvernement ont été rassurés par les pythies des médias qui affirment à qui veut bien l’entendre que le scrutin européen n’est qu’un défouloir nécessaire à un "peuple querelleur et rétif au changement" mais que devant les réalités de la politique nationale il ferait preuve de raison et rejoindrait comme un seul homme qui l’UMP et le PS.

En l’absence d’une opposition organisée, dans quelle mesure peut-on dire que l’automne 2014 est le moment où jamais pour la majorité ? Sera-t-il trop tard ensuite pour se préparer à la présidentielle de 2017 ?

Jean Garrigues : Nous nous trouvons vraisemblablement à un moment charnière, car l’UMP est provisoirement désorganisée, déconsidérée, divisée, et orpheline de son leader charismatique, "plombé" par les affaires.  Le moment est donc plutôt favorable, en dépit du contexte catastrophique, d’autant qu’il n’y a pas d’échéances électorales à court terme. C’est le moment où jamais car ensuite, face à une opposition en ordre de marche ce sera beaucoup plus difficile. Dans l’immédiat, la principale difficulté réside dans la confrontation entre la ligne socio-libérale du couple exécutif et celle d’une autre gauche, plus attachée aux valeurs historiques de protection et de redistribution, telle qu’elle s’incarne dans le courant aubryste, chez les amis de Benoît Hamon ou parmi les frondeurs du groupe parlementaire. Le rapport de force n’est pas évident à gérer pour Hollande et Valls.

Compte tenu de cette situation, à quelles idées les membres de la majorité devraient-ils réfléchir cet été dans la perspective d’effectuer une "bonne rentrée" ?

Jean Garrigues : La priorité étant au redressement économique, il est essentiel que le Pacte de responsabilité se concrétise. Or on voit bien que ce Pacte se veut une initiation à l’initiative entrepreneuriale, soit une idée contraire à la doctrine historique de la gauche, qui fait d’abord passer la reprise économique par la redistribution sociale et l’encouragement à la consommation. Cette révolution mentale a commencé dans les années 1980, mais on voit bien qu’elle génère toujours des réticences. Manuel Valls a déclaré dans l’édition du 23 juillet d’El País qu’il voulait réinventer la gauche et faire bouger le pays "malgré les corporatismes et les rentiers." Cette déclaration fait échos aux bras de fer du Premier ministre avec les corps intermédiaires et un certain nombre de catégories socioprofessionnelles, dont les syndicats du secteur maritime ou, dans un tout autre domaine, les professions réglementées. Son but est donc de bousculer un certain nombre de rentes de situations, de manière à redresser les finances publiques.

Sur un autre plan, le divorce entre les citoyens et leurs élites doit être pris en compte pour redonner une légitimité à un certain nombre d’acteurs du pouvoir, les partis politiques au premier rang. Jean-Christophe Cambadélis a expliqué qu’à l’époque du numérique il fallait trouver de nouvelles formes de mobilisation. Il faut aussi réfléchir à la stabilisation des dépenses partisanes et à la manière de redonner au parti une fonction de proposition. Par ailleurs, une réflexion sur le rôle des parlementaires, cibles privilégiées de la vindicte populaire, s’impose aujourd’hui. Un travail a été effectué sur le non cumul, mais une réflexion reste à mener sur la réduction du nombre de mandats, le rôle du Sénat, ou l’instillation d’une dose de proportionnelle aux législatives. On peut aussi se demander s’il ne serait pas judicieux de remettre en cause la loi de 2000 sur le quinquennat, dont les conséquences ont été désastreuses pour la pratique institutionnelle de la Ve République. Un septennat non renouvelable ne serait-il pas la solution ? On est bien loin de la réforme territoriale, qui fait couler beaucoup d’encre, alors qu’elle ne fait pas partie des préoccupations premières des Français.

Jean-Luc Mélenchon a annoncé au site Hexagones vouloir prendre du recul par rapport à la politique. Comment la gauche peut-elle tirer parti du retrait de celui qui avait su réunir derrière lui les communistes ?

Jean Garrigues : Il est sûr que le retrait de Jean-Luc Mélenchon apparaît comme une bonne nouvelle pour le PS, car son charisme a permis au Front de gauche d’atteindre un niveau que d’autres leaders, plus ternes que lui, ne sauront pas égaler. On se souvient que le retrait d’Olivier Besancenot a été très préjudiciable au NPA. Mais il faut bien voir que le retrait de Mélenchon est le fruit d’une analyse politique, qui prend acte de la difficulté du Front de Gauche à capter le vote protestataire, davantage tenté par le FN. La ligne social-libérale de la gauche pourrait en être renforcée, à ceci près que les dissidents pourraient être tentés de remplir le vide laissé par Mélenchon et trouver alliance avec le parti de ce dernier. Les frondeurs sont retenus dans le PS par des motivations électorales, mais si l’alliance avec le Front de gauche leur permettait d’entrevoir des élections victorieuses dans une grande force qui serait véritablement socialiste, alors ils iraient combler l’absence du leader charismatique. Mais il est plus vraisemblable que l’éclipse de Mélenchon ne soit que provisoire, car sans lui le Front de gauche en tant que tel ne peut plus prétendre à rien.

Bertrand Rothé : Peut-il y avoir une rentrée sociale difficile ? Cela pourrait être un sujet. Voire le sujet. Mais les choses ne sont sûrement pas suffisamment mûres. Six mois de hausse consécutive du chômage, n’est ce pas suffisant ? Record absolu ! 10,4 % de la population active sans emploi, autant de familles sans avenir. Mais il semble que cela ne préoccupe pas beaucoup les syndicats de salariés et encore moins les médias. La hausse de juin est traitée en page 16 de la presse quotidienne régionale. La gauche de la gauche devrait s’emparer du sujet mais son leader "se dit fatigué et souhaite prendre du recul". Jean Luc Mélenchon n’avait pas trouvé la solution. Les derniers scores du Front de Gauche en sont la preuve. Le tandem avec le PC est un échec. Les tabous de la gauche, le refus d’envisager la sortie de l’Euro voire de l’Europe et encore plus celui de mettre en œuvre une politique protectionniste crée un boulevard au FN. Dans cette histoire seul le FN pourrait bouger, mais y a-t-il intérêt ? La politique ouvertement libérale de Hollande et le catéchisme pro européen des génies du PAF sont du pain béni pour lui, ils lui font faire des économies de communication importantes. 

François Hollande s’est stabilisé à 18% de popularité, tandis que Manuel Valls a baissé de 6 points en juillet, à 45 %. Celui-ci peut-il être encore plus tiré vers le bas par le président de la République ? A quelle réaction cela obligerait-il le président de la République ? Le spectre de la dissolution s’en verrait-il renforcé ?

Jean Garrigues : Il est logique que Manuel Valls soit tiré vers le bas par la mise en œuvre d’une politique dont on voit bien qu’elle est difficile à mener, peu concrète, et ne donne pas encore de résultats. Aussi longtemps que les résultats ne seront pas visibles, sa cote de popularité baissera. Cependant cet effritement ne devrait pas l’entraîner aussi bas que François Hollande, car son image énergique et autoritaire l’en prémunit.

La dissolution est une hypothèse peu probable dans l’immédiat. Mais elle ne serait pas forcément un mauvais calcul pour François Hollande, car dans la perspective d’une dissolution, et donc d’une cohabitation avec un Premier ministre de droite, ce dernier qui serait conduit à assumer le manque de résultat de la politique menée aujourd’hui. Le facteur décisif pour une éventuelle dissolution n’est donc pas le niveau de popularité de Manuel Valls, mais le calcul électoral de François Hollande dans la perspective d’une présidentielle. Cela dit, nous sommes là dans la politique-fiction la plus cynique, exactement ce qui est aujourd’hui rejeté par l’opinion.

Propos recueillis par Gilles Boutin et Alexis Franco

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