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Opération droits de douane sur les machines à laver : Donald Trump débarque à Davos en confrontant les tenants du libre échange à leurs contradictions
©NICHOLAS KAMM / AFP

Déséquilibre(s)

Le président américain a décidé d’imposer des tarifs douaniers sur les importations de machines à laver et de panneaux solaires

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : ce 22 janvier, à la veille du forum économique mondial de Davos, Donald Trump a signé la mise en place de droits de douane sur les lave-linges et les panneaux solaires. Faut-il voir une telle décision comme le départ de la mise en place par le président américain d'une politique protectionniste ? Une telle décision a-t-elle un sens économique ?

Rémi Bourgeot : Une lecture strictement politique et partisane serait ici vouée à l’erreur d’interprétation. Il s’agit de vieux dossiers déjà, soulevés en particulier par des entreprises privées qui ont saisi leurs autorités nationales, américaines en l’occurrence, face à ce qu’elles considèrent être une pratique concurrentielle déloyale. L’Union européenne est confrontée au même sujet, notamment sur les panneaux solaires, mais les divisions entre Etats-membres freinent la mise en place d’une politique cohérente en matière commerciale, d’autant plus que l’UE est affectée par de phénoménaux déséquilibres commerciaux en son sein également, en plus de ceux avec le reste du monde.

Les Etats-Unis, sous Barack Obama avait déjà imposé des tarifs s’élevant à plusieurs centaines de pourcent, en vertu de leur politique anti-dumping, contre certaines catégories d’acier chinois, dont les prix s’effondraient du fait de la déflation industrielle qui a touché le pays.

Notons qu’un certain nombre de responsables qui suivent une approche en général favorable au libre-échange, comme Al Gore, se sont exprimés en faveur de ces mesures.

On assiste, depuis l’élection de Donald Trump, à une sorte de paralysie du débat économique selon un schéma binaire.

Pourtant, malgré l’évolution de leur doctrine commerciale, les Etats-Unis ne se sont jamais engagés sur la voie d’une acceptation totale des déséquilibres commerciaux. Ces déséquilibres ont eu tendance à être acceptés dans la mesure seulement où ils étaient vus comme profitant aux intérêts d’un certain nombre d’entreprises américaines qui voyaient leur marge croître ainsi qu’aux consommateurs américains qui payaient moins cher. Les procédures lancées par des entreprises américaines quant aux cas de concurrence internationale déloyale sont prises très au sérieux par les autorités, et cela n’est pas propre à Donald Trump. Donald Trump a probablement instrumentalisé cette annonce de façon habile pour mettre ses interlocuteurs de Davos sous pression, mais le débat est trop important pour le ramener à sa personne, et il faut noter que la presse américaine a plutôt eu sur ce dossier tendance à éviter cet écueil.

Quels seront les effets d'une telle politique, aussi bien pour les consommateurs que pour les travailleurs américains ?

Sur le dossier des lave-linges par exemple, LG a immédiatement réagi en évoquant une hausse de ses prix de vente aux Etats-Unis de l’ordre de 50$, ce qui sous-entend en fait un effet assez limité pour le consommateur. A l’opposé, on a vu l’action Whirlpool grimper à Wall Street en anticipation d’une amélioration de sa position concurrentielle ; ce qui, dans le cas effectif d’un regain d’activité, s’accompagnerait dès lors d’une amélioration des perspectives d’emploi pour les travailleurs du secteur.

Le libre-échange et le protectionnisme ne sont que des références intellectuelles. La mise en place d’un tarif douanier ne signifie pas la guerre commerciale. Les tarifs sont omniprésents dans le monde et, évidemment les grands pays exportateurs comme la Chine limitent l’accès à leur marché intérieur.

Une politique de tarifs douaniers prohibitifs qui viseraient simplement à isoler des secteurs entiers de la concurrence internationale seraient contreproductive, dans le sens où elle freinerait l’innovation et les gains de productivité. Dans le cas où les entreprises d’une juridiction donnée sont soumises à une concurrence qui repose sur de purs écarts de nature monétaire, de politiques salariales de compression où de subventions massives, tous les Etats en viennent dès lors, s’ils n’ont pas délégué leurs prérogatives en la matière, à adapter leur politique tarifaire.

Naturellement, la crise politique qui balaie le monde développé accroît la pression qui pèse sur les dirigeants. On constate même au sein des courants les plus favorables au libre-échange une prise de conscience du caractère caduc des illusions de la « mondialisation heureuse » des années 1990.

Dans quelle mesure une telle décision, intervenant à la veille du forum de Davos, et touchant aux "lave-linges", c'est à dire un bien de consommation courant et également produit sur le sol américain, pourrait-elle avoir un effet plus "politique" qu'économique ?

Donald Trump cherche à insérer ces mesures dans son approche de type « America first ». Cela a quelque chose de décalé en réalité, tellement ces dossiers, en particulier celui des panneaux solaires, étaient déjà sur la table et n’ont guère été bouleversés par sa rhétorique. Barack Obama avait mis en avant son idée d’accord commercial transpacifique, qui était ambiguë. D’un côté il s’agissait d’abaisser encore les tarifs avec des pays à très bas coûts salariaux en Asie du Sud-Est notamment et, de l’autre, de consolider la position américaine en Asie face à la Chine. Mais, dans la réalité concrète de ses décisions en matière de déséquilibres commerciaux et de tarifs, Barack Obama a engagé une forme de tournant réaliste à divers égards.

Donald Trump se retrouve, sur de nombreux dossiers, contraint par la doxa républicaine, en particulier en matière géopolitique et fiscale. Il est ainsi loin de pouvoir gouverner sur les bases de la rhétorique économique qu’il avait développé au cours de sa campagne.

Sur les dossiers commerciaux, il tente d’associer à sa personne une évolution qui dépasse en réalité de plus en plus les clivages partisans aux Etats-Unis. Hilary Clinton avait, au cours de la campagne, quelque peu ajusté sa position sur ces sujets, mais elle s’était tout de même fait l’incarnation d’un certain ultra-conformisme qui tranchait avec l’évolution en cours aux Etats-Unis et notamment avec le réalisme que Barack Obama avait tenté de développer en pleine crise financière.

Les Etats-Unis se sont développés de façon spectaculaire au XIXème et au début du XXème siècle dans le contexte d’une politique de protection douanière résolue jusqu’à devenir la première puissance industrielle, et cette culture économique y reste en réalité ancrée. Historiquement, le protectionnisme a été associé aux Etats-Unis à la doctrine du Parti républicain d’alors, résolument abolitionniste, alors que les démocrates du Sud, esclavagistes, défendaient tout aussi farouchement un libre-échange reposant sur une main d’œuvre gratuite. Il serait erroné d’associer dans la culture politique américaine la politique de protection douanière à l’extrémisme. C’est plutôt le contraire.

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