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Open Data : derrière les querelles partisanes, l’urgence technologique
©Reuters

Urgence

Si le débat sur l'Open Data est ancien en France, notre pays reste pourtant en retard sur ses voisins européens en matière d'ouverture des données publiques. Le secteur du droit n'y fait pas exception, bien qu'il soit mûr pour évoluer dans le bon sens : un « bon sens » qui doit favoriser la valorisation des données aux données en elles-mêmes et passer outre les querelles de clochers.

Louis  Leclerc

Louis Leclerc

Louis Leclerc est consultant en gestion des risques et spécialiste de l'Amérique Latine. Il est le fondateur de la société d'accompagnement à l'international AmIntel. Il est également l'ancien responsable Amérique Latine de la stratus C-Radar (ex-Data Publica).

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Être informé sur le trafic routier ou la qualité de l'air que l'on respire, suivre l'activité de ses élus, se déplacer aisément en ville ou à la campagne, investir de manière éclairée, maîtriser sa consommation énergétique, bénéficier de conseils personnalisés de la part de son avocat ou de son notaire : voilà quelques exemples d'applications, aussi quotidiennes que désormais indispensables à tout un chacun, de l'Open Data. En France, le sujet de la mise à disposition des données publiques est un véritable serpent de mer. Et pour cause : en dépit des promesses et rodomontades de nos responsables politiques, notre pays reste désespérément à la traîne de ses partenaires et concurrents européens en matière d'Open Data.

Privatisation des données publiques et Open Data

Un retard qui s'illustre de manière particulièrement criante en ce qui concerne le droit. Selon un récent classement de ses États membres établi par l'Union européenne (UE), la France pointe ainsi en vingt-septième – et dernière – position pour l'accès en ligne des décisions de justice. Et ce alors que la Commission européenne fait du partage d'informations judiciaires une priorité, permettant selon elle de « renforcer la transparence des systèmes judiciaires, d'aider les citoyens et entreprises à comprendre leurs droits et (contribuant) à la cohérence de la jurisprudence ». En d'autres termes, de l'ouverture aux citoyens des décisions de droit dépend la bonne santé de notre démocratie. L'enjeu est donc de taille, et ne saurait être relégué au second plan par paresse technophobe ou, pire, volonté de conserver de pures rentes de situation.

Les éditeurs juridiques l'ont bien compris, eux qui, dans une récente tribune parue dans Les Echos, disent « non à la ''privatisation'' des décisions de justice » et se prononcent, enfin, pour l'Open Data. Regrettant que « bien (que ces décisions) soient rendues ''au nom du peuple français'', le manque de clarté qui entoure le régime de leur disponibilité représente un frein pour tout le secteur juridique », les auteurs de la tribune estiment, à raison, que « l'ouverture des données juridiques publiques représente (…) une nécessité démocratique ». Ces données « sont un bien commun, et il est grand temps de les partager à tous », concluent les signataires. Nul, en effet, n'est censé ignorer la loi – mais comment ne pas l'ignorer, quand on sait que seul 1% du droit français est consultable en ligne ?

La valorisation des données compte plus que les données elles-mêmes

Si tous les acteurs, de la Legal Tech aux éditeurs juridiques, semblent tomber d'accord sur l'importance d'ouvrir les données publiques au plus grand nombre, et que la volonté politique ne fait, pour une fois, pas défaut – comme le démontre l'adoption de la loi du 7 octobre 2016 « pour une République numérique » –, l'Open Data tarde, on l'a dit, à pleinement voir le jour en France. À tel point que selon plusieurs experts renommés, « ce mouvement de repli fait craindre un ralentissement dans la mise en œuvre de l'ouverture dans certains secteurs, qui pourrait à terme limiter les bienfaits de l'open data, au détriment des citoyens ». Pour les signataires de cette autre tribune, l'Open Data est bien « source de valeur démocratique, économique et sociétale. Le rôle de l'Etat et des collectivités locales est d'ouvrir l'accès à ces données afin de permettre aux entreprises d'apporter cette plus-value ». 

Attention cependant : que des sociétés privées interviennent pour valoriser ces données ne signifie, en rien, que l'open data sera privatisée. 

L’erreur, fréquemment commise, est symptomatique d’une méconnaissance inquiétante du sujet. Ainsi, contrairement à ce qu’avancent les éditeurs juridiques dans la première tribune pré-citée, la problématique ne réside pas tant dans la mise à disposition du jeu de données que dans son exploitation et sa valorisation. Les applications technologiques (génération automatique de contrats, algorithmes de traitement du langage, intelligence artificielle (IA), machine learning) sont au moins aussi importantes, sinon plus, que les données elles-mêmes. Ainsi, sans les solutions fournies par l'entreprise Linkurious, jamais les 370 journalistes de l'International Investigative Journalist Consortium (ICIJ) n'auraient pu exploiter les quelque 11,5 millions de documents à leur disposition et révéler au grand public le scandale des « Panama Papers ». 

Au Brésil, pays ô combien procédurier et producteur de normes, le libre accès aux décisions juridiques a permis l’émergence d’acteurs comme Jusbrasil. Malgré toute la bonne volonté des institutions et Cours brésiliennes, la profusion et la dispersion des données judiciaires rend difficile leur exploitation et c’est donc une entreprise qui s’est chargée de les centraliser pour un usage simplifié et des gains de temps certains.

Mieux comprendre l'Open Data pour ne pas la diaboliser

La technologie prime donc sur la donnée brute. Mais ne tournons pas le dos à la technophobie pour sombrer dans la technophilie la plus aveugle : le vrai sujet de l'Open Data, c'est l'équilibre entre droit d'accès à l'information publique – et donc la transparence administrative – et protection des données personnelles. « Plus que l'Open Data lui-même, rappelle la CNIL, c’est davantage le contexte dans lequel il s’inscrit qui doit appeler à la vigilance : informatisation de la société, des administrations comme des acteurs privés ; diffusion spontanée de données personnelles par les internautes ; indexation de données nominatives par de puissants moteurs de recherche ; développement du Big Data... ». Heureusement, la loi pour une République numérique a déjà tranché la question, et comme le rappelle la CNIL « les objectifs parfaitement légitimes poursuivis par la politique d’ouverture des données publiques sont pleinement conciliables avec la protection de la vie privée ». Ne manque donc plus qu'une nécessaire accélération d'un mouvement qui, dans de trop nombreux secteurs comme le droit, fait encore l'objet de querelles partisanes.

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