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Olivier Roy : « L’Europe ne comprend plus les croyants et nous y perdons tous beaucoup »
©LUCAS BARIOULET / AFP

Religion

Depuis des années, le débat sur l’identité chrétienne de l’Europe va bon train. Olivier Roy prend la question de front : l’Europe est-elle chrétienne aujourd’hui, et comment ?

Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

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Atlantico : En prélude à la publication de votre dernier livre, "L'Europe est-elle chrétienne?" (Seuil), vous écriviez  : "Le problème de l’Europe est aujourd’hui de promouvoir non pas l’expulsion du religieux vers la sphère privée, mais au contraire la resocialisation et la reculturation du religieux". En quoi le religieux est-il désocialisé et déculturé aujourdhui en Europe ? 

Olivier Roy : La sécularisation, qui a commencé dès la fin du XVIII siècle, a laissé la place, vers les années 1960, à une déchristianisation. La différence est que les valeurs de la sécularisation, par exemple la morale telle que définie par Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs, restaient des valeurs chrétiennes sécularisées (définition de la famille, du mariage, de la filiation, de la différence de genre etc.). On partageait donc des valeurs communes (et une « anthropologie familiale » commune). Il y avait toute une zone grise entre « messalisants » (ceux qui vont à la messe tous les dimanches) et athées, faite de pratiquants occasionnels ou de chrétiens culturels. Cette culture commune et cette zone grise disparaissent dans les années 1960 avec un changement « anthropologique » dans la culture dominante, où le fondement devient l’ "individu désirant". Toute la structure familiale est donc désormais dépendante de la liberté du désir individuel.

Disparaît aussi le savoir profane du religieux : on ne comprend plus les croyants qui apparaissent soient « bizarres » soit fanatiques. Claudel, Bernanos et Mauriac deviennent illisibles, au profit non pas forcément d’auteurs progressistes, mais de conservateurs qui ont perdu le contact avec le religieux et sont de purs produits du narcissisme jouisseur (et volontiers décadent pour la droite) comme Houellebecq et Renaud Camus.

Le religieux se reconstruit en communautés de foi à l’écart de la culture dominante. Ceci est bien illustré par la crise de la paroisse territoriale au profit des « fraternités ».

Comment cette reculturation et cette resocialisation peut-elle prendre forme ? 

Le premier problème est que la réponse au divorce moral, illustrée par l’encyclique « Humanae Vitae » de  1968, a été perçue comme purement normative (interdire l’avortement et plus tard le mariage homosexuel). Or, même avec la montée d’un populisme identitaire, on constate que les valeurs de 68 sont bien ancrées dans la société civile. Donc le discours de l’Eglise apparaît comme une simple demande de normes, d’interdits, et non comme une proposition de vie. La première réponse serait donc de passer d’un discours inaudible sur la norme à un engagement sur les valeurs. La deuxième réponse serait l’engagement social des communautés de foi. Elles le font en Italie (Sant’Egidio, Focolare, Communion et Libération), pas en France où elles suivent plutôt le modèle de « l’option bénédictine » (selon le livre de Rod Dreher) qui consiste en fait à vivre entre soi, pour ne pas se compromettre avec le nouveau paganisme.

Quels sont les acteurs qui peuvent agir en faveur d'un tel projet ? 

Normalement ce serait aux leaders religieux, les évêques pour l’Eglise catholique. Mais en France ils sont dans une sorte de crispation quasiment « syndicale » et ont du mal à sortir d’une langue de bois mal calibrée, comme l’a bien illustré le procès de Mgr Barbarin. Quant aux « laïcs » chrétiens,  ils ont perdu du poids depuis la recléricalisation de l’Eglise entreprise par Jean Paul II en réaction au concile de Vatican II.

N'y-a-t-il pas un risque de voir prendre forme, dans un tel schéma, un retour vers le religieux "sans culture" - le tout religieux- dont l'exemple que vous décrivez, au sujet de l'Islam, est le salafisme ?

C’est déjà fait : on a le salafisme pour l’Islam, l’évangélisme pour le christianisme (qui a influencé aussi beaucop de catholiques) et les mouvements de type « haredi » pour les Juifs. Tous se méfient de la culture, de la littérature, de l’engagement social, et se vivent comme en rupture avec un monde (re)devenu païen.

Quels sont les indices qui permettraient de penser que les populations occidentales sont en recherche de spiritualité ? Percevez vous, par exemple, les succès de librairie d'ouvrages de "développement personnel" comme des pis-aller du religieux ? 

Bien sûr. Toute la littérature sur la « réalisation de soi », la quête du bonheur, le développement des techniques de spiritualité (yoga), des « apocalyptismes » (deep ecology), de même que la critique de la science, montrent qu’il y a une demande de spirituel, de transcendance, de quête de vérité au-delà de la science et de la technique.

Mais tout cela reste profondément individuel et ne recrée pas de lien social : on reste dans le schéma de l’individu en quête de bonheur.

La vague populiste actuelle peut-elle également être le signe d'une telle demande ? 

D’un malaise, mais pas vraiment d’une demande. Le populisme  d’aujourd’hui n’est pas une demande d’idéal, mais un repli identitaire. Il ne s’agit pas (ou plus) d’un retour du fascisme ou du nationalisme, il n’y a rien qui fasse « vibrer ». Il est réactif, individualiste, jouissif et un peu étroit. On a Houellebecq pas Barrès, Salvini et pas Mussolini (ceci n’est pas une apologie du fascisme, c’est juste pour montrer qu’il n’y a aucune quête du dépassement de soi dans le populisme d’aujourd’hui).

Au delà du populisme, le réveil religieux peut-il être autre chose qu'une opposition au politique tel qu'il est perçu actuellement ? 

Cela dépend justement des … religieux. Entre l’option bénédictine (le repli), la récupération du populisme pour reconquérir le champ de la loi (stratégie des évangéliques américains) ou une nouvelle forme d’engagement missionnaire (appel du Pape Francois), la gamme des possibles est vaste, mais demande de faire des choix.

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