Objectif zéro délinquance pour les JO : mais pourquoi seulement pour les JO ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'État, la Ville de Paris et le Cojo ont signé, mardi 23 mai 2023, les grandes lignes fixant les responsabilités de chacun pour la sécurité de la cérémonie d'ouverture des Jeux.
L'État, la Ville de Paris et le Cojo ont signé, mardi 23 mai 2023, les grandes lignes fixant les responsabilités de chacun pour la sécurité de la cérémonie d'ouverture des Jeux.
©Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Action déterminée

Les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont lancé une action déterminée pour réduire la délinquance avant que les projecteurs du monde entier se braquent sur l’Hexagone. S’il est possible de le faire pour les JO, est-il possible de le faire en temps normal ?

Olivia Dufour

Olivia Dufour

Olivia Dufour a commencé sa carrière en tant que juriste dans un cabinet d'avocats parisien avant de devenir journaliste en 1995. Spécialisée en droit, justice et finance, elle est actuellement responsable du développement éditorial du site Actu-Juridique (Groupe Lextenso). Elle est l'auteur de « Justice, une faillite française ? », publié en 2018 récompensé par le prix Olivier Debouzy, en 2020 de « Justice et médias, la tentation du populisme » et, en 2021, de « La justice en voie de déshumanisation », tous les trois publiés chez Lextenso Editions.

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Atlantico : A l'occasion des JO de Paris 2024, les juridictions d'Ile-de-France sont d’ores et déjà mobilisées avec un objectif : zéro délinquance pour sécuriser la capitale et les lieux des épreuves. Cette opération de lutte contre la délinquance et de « grand nettoyage » de la capitale a-t-elle des chances d’aboutir ?

Olivia Dufour : Le ministre de l’intérieur a lancé un plan Zéro délinquance en novembre 2022 dans la perspective des JO olympiques et paralympiques de 2024. Il identifie 42 secteurs à sécuriser par un renforcement de la lutte contre la délinquance. Évidemment, plus d’actions policières, cela se traduit par plus de procédures judiciaires derrière, en nombre, mais aussi en complexité. Quand on démantèle par exemple un important trafic de drogue, cela signifie beaucoup de prévenus, d’actes d’investigation et donc de trouver du temps d’audience pour juger une grosse affaire. Certaines juridictions dont la Seine-Saint-Denis s’inquiètent déjà depuis des mois de ce surcroît d’activité qui a commencé fin 2022 et va monter en puissance jusqu’à la fin des jeux. Jusqu’aux JO, il va falloir absorber les dossiers supplémentaires liés à l’action intensive des forces de l’ordre pour éradiquer la délinquance, puis pendant les épreuves, la justice s’attend à une hausse de la délinquance proportionnelle à celle de la population.  Or on le sait, la justice comme l’hôpital souffre d’un manque de moyens qui l’empêche déjà d’assurer ses missions ordinaires dans de bonnes conditions. Les magistrats tirent donc la sonnette d’alarme depuis le début de l’année. Ils ont été entendus et le ministère a envoyé des renforts ce mois-ci dans le cadre des traditionnelles distributions d’effectifs de rentrée. A Bobigny par exemple, on est en train de démanteler les trafics de cigarettes. Ceux-ci peuvent paraître dérisoires, mais ils suscitent des guerres de territoire et toute une économie parallèle. Évidemment, l’accent est mis aussi sur la lutte contre le trafic de stupéfiants. Efficace ? On le saura durant les jeux. La question qu’on ne peut manquer de se poser c’est : pourquoi faut-il un événement comme les JO pour s’apercevoir qu’on est capable de déployer des moyens et une volonté politique pour lutter vraiment contre la délinquance. Cette réaction est un terrible aveu : d’habitude on laisse faire et tant pis pour les populations qui en souffrent, à commencer par la Seine-Saint-Denis qui est déjà un département en difficulté en raison de son niveau de pauvreté.

Y aura-t-il suffisamment de moyens pour rendre possible cet objectif ? Ne risque-t-il pas d’y avoir des juridictions qui seront lésées à travers l’Hexagone par rapport à la capitale ?

C’est tout le problème, habituellement en janvier et en septembre, on répartit les maigres effectifs supplémentaires sur tout le territoire en ciblant les affectations sur les tribunaux les plus en détresse. Les juridictions qui ont crié le plus fort « au secours » sont les mieux servies. Mais cette année, le choix a été fait de se concentrer sur l’Ile-de-France, ce qui met en danger les autres juridictions. A Epinal par exemple, le bâtonnier a découvert, effaré, que s’il manquait de juges dans son tribunal c’était à cause des JO. Les syndicats d’ailleurs l'avaient prévu et lorsqu’ils demandaient des renforts pour assurer le plan zéro délinquance, ils savaient qu’ils risquaient de préjudicier aux autres juridictions. Le tribunal de police du Mans est fermé, faute d’effectifs. Et je suis sûre qu’au-delà de ces exemples médiatisés, de très nombreuses juridictions sont en difficulté.

Pourquoi cette mobilisation et ces efforts n’ont-ils pas été menés bien avant et ne sont-ils pas possibles hors de périodes exceptionnelles comme les JO ?

Les JO agissent comme un formidable révélateur. On a l’impression qu’ils nous réveillent d’une espèce de léthargie. D’un seul coup les projecteurs du monde entier vont se braquer sur la France, on est obligé de regarder ce qui ne va pas et on découvre qu’on a tout laissé filer. Alors on se met à travailler en urgence. Mais vous observerez qu’on ne s’occupe que de ce qui va être visible. C’est un peu comme si des gens invitaient des amis et décidaient de faire le ménage dans leur maison uniquement pour l’occasion et seulement dans le salon. Pourtant ça fait des décennies qu’on sait que la justice et la police manquent de moyens. Visiblement, tant que ce sont les habitants et les touristes ordinaires qui en subissent les conséquences, ce n’est pas grave. Bien sûr on comprend qu’un pays se prépare à un tel événement dans l’objectif que tout soit parfait, mais là nous ne sommes pas dans l’ajustement à la marge, on va juste se mettre à traiter sérieusement les problèmes dans le but d’obtenir des résultats sur un sujet aussi important que la sécurité !

Est-ce le signe que la volonté politique permettrait d’avoir une justice plus efficace et d’être plus performant dans le cadre de la lutte contre la délinquance ?

Bien sûr, mais la justice n’est pas vendeuse électoralement, donc elle est laissée à l’abandon. Tout au plus lui accorde-t-on lors de chaque élection présidentielle un court chapitre à la lettre S comme Sécurité pour aligner les promesses jamais tenues et qui ne concernent que la justice pénale alors que c’est toute la justice, y compris la justice civile, qui contribue à la paix sociale et au maintien de l’état de droit…Cela étant, il faut reconnaître que le président Macron semble avoir enfin mesuré l’étendue du problème. Les moyens qu’il met sur la table, en particulier dans le dernier projet de réforme, sont enfin conséquents. Le recrutement exceptionnel de 1500 magistrats récemment annoncé est historique. Simplement, ça arrive bien tard, après des décennies d’abandon, donc ce ne sera pas de l’argent magique. Cet effort devra être maintenu durant des années pour que la justice française s’aligne sur les standards européens en termes de nombre de magistrats par habitant et de part du budget de l'État. Comme le rappellent régulièrement les syndicats en s’appuyant sur les chiffres du Conseil de l’Europe : la France compte, pour 100 000 habitants, 35,7 greffiers, 3,2 procureurs et 11,2 juges contre une moyenne européenne à 56,13 greffiers, 11,8 procureurs et 22,4 juges. Sans oublier l’état des prisons, souvent indigne. Le taux actuel de surpopulation est de l’ordre de 120%, ce qui signifie concrètement que dans une cellule pour deux personnes de 9m2, contenant un wc et bloc cuisine on ajoute un matelas par terre pour accueillir une troisième personne. Dans certains établissements comme à Perpignan, on dépasse 230% ! Par temps de canicule comme celle qu’on vient de vivre, il peut faire jusqu’à 50° dans les cellules. Mais ça non plus ce n’est pas vendeur. J’entends cette partie de l’opinion qui pense qu’ils l’ont bien mérité. Lorsqu’on maltraite à ce point les gens, on les dresse contre la société et c’est toute la société que l’on met en danger. La prison comme disait Giscard d’Estaing, c’est la privation de liberté et rien d’autre. Sachant que le plan zéro délinquance va forcément engendrer une hausse des peines de prison, il faut s’attendre à une très forte augmentation de la surpopulation carcérale. Quelle bombe à retardement est-on en train de fabriquer ?

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