Nouvelles rafles de Boko Haram : et pendant que le monde s’indigne des exactions des califoutraques islamiques, qui se préoccupe des otages du Nigeria ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Boko Haram continue ses rafles et autres kidnapping au Nigeria
Boko Haram continue ses rafles et autres kidnapping au Nigeria
©REUTERS/Afolabi Sotunde

Une indignation chasse l'autre

Des dizaines d'insurgés de Boko Haram ont attaqué le 10 août le village de Doron Baga, sur les rives du lac Tchad, au Nord-Est du Nigeria. Une attaque au cours de laquelle une centaine de prisonniers ont été faits par le groupe terroriste et où 28 personnes ont trouvé la mort. 85 ont toutefois été libérées samedi. Une situation inquiétante et un activisme du groupe islamiste qui ne faiblit donc pas.

Amzat Boukari-Yabara

Amzat Boukari-Yabara

Amzat Boukari-Yabara est docteur en histoire, chercheur associé à l’EHESS et à l’Université de Montréal. Ses travaux portent sur l’histoire et la géopolitique de l’Afrique. Il a publié un ouvrage le Nigéria aux éditions DeBoeck en septembre 2013.

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Atlantico : Comment expliquer que le groupe islamiste fasse moins parler de lui en ce moment alors qu’il est toujours actif dans la région ? En quoi les événements en Irak contribuent-ils à moins médiatiser les actions de Boko Haram ?

Amzat Boukari-Yabara : Le président du Nigéria Jonathan Goodluck veut se représenter à l’élection présidentielle prévue dans 6 mois. Or la gestion de Boko Haram est un échec flagrant de sa politique. Les services de renseignements étrangers qui travaillent sur Boko Haram en ce moment se font eux aussi discrets principalement depuis l’enlèvement des jeunes filles. Ils font un travail de terrain important. Le contexte international joue aussi : le Nigeria a décrété l’état d’urgence pour Ebola plus vite que pour Boko Haram. Sans doute parce que le virus Ebola touche la ville de Lagos qui est le centre économique du pays tandis que le groupe islamique est quant à lui basé dans le Nord, une zone où il n’y a pas de pétrole contrairement au Sud du pays.

La situation est différente par rapport à l’Irak : elle reste localisée au Nigéria, car elle concerne trois Etats sur 36 plus les marges périphériques des pays voisins, et il n’y a pas de stratégie d’expansion de Boko Haram contrairement à l’Etat islamique qui est plus internationalisé. A la différence de l’Irak, aussi, l’Etat n’est pas défaillant et il y a des forces qui peuvent contenir les menaces. En Irak, il y a des bouleversements au niveau des forces en présence qui n’ont pas lieu d’être dans les pays près du lac Tchad. Les actions de Boko Haram n’ont pas la même force d’indignation qu’en Irak. Il y a des enlèvements et des massacres mais le projet islamiste au Nigéria ne concerne pas que les Chrétiens. Le groupe islamiste tue aussi des musulmans. 

De la même manière, la mobilisation internationale pour les 200 lycéennes nigérianes enlevées par la secte en avril faiblit de plus en plus. Comment expliquer que le sort des jeunes femmes intéresse désormais moins le monde ?

La mobilisation internationale a montré ses limites. On peut s’indigner et manifester mais les manifestations ne feront pas revenir les filles. Quand le chef de Boko Haram Abu Bakr Shekau a entendu la campagne "Bring back our girls" il a répondu "Bring back our boys" en parlant des sympathisants et des combattants du groupe islamiste emprisonnés au Cameroun et au Nigéria. Certains d’entre eux sont emprisonnés car ils sont jugés proches des membres de Boko Haram, sans que cela soit toujours prouvé. Amnesty International a d’ailleurs dénoncé des arrestations et des détentions parfois arbitraires.

La mobilisation internationale est une stratégie de Boko Haram. La vidéo de l’enlèvement des jeunes femmes a été publiée pour faire réagir l’opinion internationale et les gouvernements mais aussi pour mettre mal à l’aise le gouvernement nigérien par rapport à cette situation. Avec cet enlèvement, Boko Haram avait pour objectif la libération d’un certain nombre de personnes emprisonnées, ce qui n’a pas été le cas. On peut penser que sans cette mobilisation internationale le Cameroun aurait pu libérer des combattants de manière plus discrète. Par ailleurs, les femmes ne sont les seules concernées. Des jeunes hommes sont eux aussi enlevés pour en faire des combattants. Il y a par ailleurs des enlèvements de pêcheurs aussi près du lac Tchad ou de conducteurs de bateaux pour la logistique.

Plusieurs enlèvements non revendiqués se sont récemment déroulés dans la région. Comment peut-on analyser cette stratégie de Boko Haram ? Pour le groupe islamiste comme pour le Nigéria, n’est-il pas finalement plus judicieux de communiquer le moins possible ?

La stratégie de communication de Boko Haram est moins importante qu’à une certaine époque. Il y a désormais cette capacité du groupe à ne pas se précipiter dans la communication, cela représente une évolution depuis le début de l’année. Ils cherchent à prendre le gouvernement nigérian à contre-pied mais cela suppose qu’il y ait des taupes. L’intérêt du pouvoir est de moins communiquer sur Boko Haram, de dire que la situation est sous contrôle dans la quasi-totalité du pays à part le Nord-Est même si Boko Haram est capable de frapper un tiers du pays. Tout ça est lié aux élections qui approchent.

Boko Haram, c’est plusieurs factions qui se coalisent, des groupes plus annexes sont chargés des opérations. Il y a des dissensions entre le commandement et ceux qui mènent des opérations sur le terrain. En fonction du résultat de l’opération, ils en réfèrent ou non à la structure suprême. Cela prend donc un certain temps avant de remonter. Il y a un nouveau dur autour du fondateur de la secte Mohamed Yusuf (le chef spirituel mort en 2009, ndlr) et une dizaine de milliers de jeunes désoeuvrés regroupés sans avoir la formation idéologique. Une partie du groupe est liée à l’application radicale de la Charia et l’autre est purement criminelle. On voit surtout la branche criminelle dans les médias,  peu la branche idéologique. Il y a par ailleurs eu au niveau du commandement une tentative de négocier avec Boko Haram mais les "modérés" ont été contraints de se réfugier à l’étranger, notamment à Dubaï. Le Nigéria est un Etat qui n’apporte pas de protection à ceux qui se sont désolidarisés de Boko Haram.

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