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Notre-Dame de Paris : c'est peut-être encore Victor Hugo qui en parle le mieux
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Monseigneur Patrick Chauvet publie "Notre-Dame d'espérance" aux éditions Presses de la Renaissance. Le 15 avril 2019, Notre-Dame de Paris a été dévastée par un terrible incendie. Mgr Patrick Chauvet a vu sa cathédrale partir en flammes au moment où il terminait l'écriture de ce livre. Il raconte son rapport intime et son attachement à ce monument. Extrait 2/2.

Patrick Chauvet

Patrick Chauvet

Patrick Chauvet, recteur-archiprêtre de la cathédrale Notre-Dame de Paris, est auteur de nombreux livres spirituels. Il est expert auprès du Saint-Siège à l'Unesco pour les questions éducatives.

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Le jour de mes adieux à Saint-François-Xavier, je fus très gâté. Les paroissiens m’avaient offert une superbe statue représentant le Christ ressuscité montrant ses plaies. Mon équipe sacerdotale, le manuscrit de Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo. Non, ce n’était pas l’original, mais un fac-similé merveilleux ! À travers ce manuscrit, on découvre le travail de l’écrivain. Le recteur a relu Hugo, notamment ce récit épique qui pourrait lui donner quelques idées pour l’animation du parvis. 

Comme enseignant, j’ai commenté plus d’une fois quelques pages de ce grand visionnaire au vocabulaire si riche ! 

Attardons-nous, le temps d’un chapitre, sur celui qui m’inspire lorsque je suis sur le parvis de la cathédrale, contemplant cette façade magique. 

Au début de janvier 1831, Hugo termine ce long roman. Il l’a écrit en six mois. Mais, durant trois ans, il avait beaucoup lu : chroniques, chartes, inventaires ; il avait exploré le Paris de Louis XI et ce qui en restait de ses vieilles maisons. Surtout, il connaissait à fond la cathédrale : ses escaliers en spirale, ses mystérieuses chambrettes de pierre, ses inscriptions anciennes et modernes. De ce roman, espérait-il, tout serait historiquement exact : le décor, les êtres, le langage. 

En fait, si l’érudition était réelle, les personnages apparaissaient surréels, l’archidiacre, Claude Frollo, était un monstre ; Quasimodo, un de ces nains hideux à grosse tête dont fourmillait l’imagination hugolienne, et Esmeralda, une gracieuse vision plutôt qu’une femme. 

Il y avait quelque chose de Victor Hugo en Claude Frollo, déchiré par la lutte entre le désir et le vœu de chasteté ; il y avait quelque chose de Pepita et d’Adèle en Esmeralda, brune avec ce reflet doré des Andalouses, ses yeux noirs et sa taille fine ; il y avait le thème essentiel pour Hugo, de la triple rivalité, autour de la bohémienne, de l’archidiacre, du sonneur bossu ; le lecteur, s’il connaît bien l’auteur, sent ces secrètes correspondances ; invisibles et puissantes, elles animent le roman. 

Mais la véritable héroïne, c’est « l’immense église de Notre-Dame qui, découpant sur un ciel étoilé la silhouette noire de ses deux tours, de ses côtes de pierre et de sa croupe monstrueuse, semblait un énorme sphinx à deux têtes assis au milieu de la ville ». Comme en ses dessins, Hugo avait, en ses descriptions, le don d’éclairer fortement ses modèles et de projeter sur un fond clair d’étranges et noires silhouettes. Capable d’aimer ou de haïr des objets inanimés, il prêtait une vie extraordinaire à une cathédrale, à une ville. 

Son roman n’est ni un livre catholique ni même un livre chrétien. Beaucoup furent choqués par cette histoire d’un prêtre dévoré de désir et sensuellement amoureux d’une bohémienne. En tête de son ouvrage, il avait écrit : Anankè… fatalité et non Providence ; « Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine ? » Harcelé par les haines,  blessé par les déceptions d’amitié, Hugo était prêt à répondre « oui ». Une force cruelle régnait sur le monde ; fatalité, le drame d’Esmeralda, fille innocente et pure, prise dans la toile des tribunaux ecclésiastiques ; Anankè suprême, la fatalité intérieure du cœur humain ! 

Peut-être aussi, écho sonore de son temps, cédait-il à un anticléricalisme ambiant un : « ceci tuera cela… la presse tuera l’Église… toute civilisation commence par la théocratie et finit par la démocratie… », propos d’époque. 

Lamartine lui a reproché : « C’est une œuvre colossale… c’est le Shakespeare du roman, c’est l’épopée du Moyen Âge… seulement c’est immoral par le manque de Providence assez sensible ; il y a de tout dans votre temple, excepté un peu de religion. » 

Qu’importe ! Hugo donne la mesure de son imagination et de sa puissance verbale ; il a le vocabulaire le plus répandu de notre langue, car il aime travailler les mots ; il en utilise six mille ! Pourquoi cette séduction du mot ? Car il accroche l’oreille. Hugo fait preuve d’habileté ; en effet il écrit son roman, puis il le saupoudre de mots ; c’est ce qui donne de la couleur à ses poèmes. 

Lire ou relire Notre-Dame de Paris pour nous faire découvrir ce Paris, grouillant et coloré, avec sa cour des Miracles peuplée de figures inquiétantes de truands et sa cathédrale dont la masse imposante s’anime d’une vie mystérieuse et fantastique : mélange du sublime et du grotesque, dans la personne de Quasimodo en particulier. 

L’intrigue est simple ; nous sommes en 1482, le poète Gringoire s’égare dans la cour des Miracles ; menacé d’un mauvais sort, il doit son salut à une séduisante bohémienne, Esmeralda. L’archidiacre Frollo éprouve pour celle-ci une sinistre passion et a chargé le sonneur de Notre-Dame, Quasimodo, de s’emparer d’elle. Mais le capitaine Phœbus délivre la jeune fille qui s’éprend de son sauveur. Pour sa tentative de rapt, Quasimodo, qui est un monstre difforme, a été condamné au pilori : émue de pitié, Esmeralda lui donne à boire, et le malheureux conçoit pour elle un attachement passionné.

Cependant, Frollo assassine Phœbus et laisse accuser la bohémienne. Elle est amenée devant Notre-Dame pour y faire amende honorable. Quasimodo alors l’entraîne dans la cathédrale où elle jouira du droit d’asile. Mais les truands attaquent le lieu pour délivrer leur amie : ils sont repoussés par le sonneur. Je suis sûr que vous connaissez cette scène violente et grandiose où Quasimodo défend à la fois Esmeralda et sa cathédrale menacée par les gueux qui veulent la piller. 

Comment ne pas partager avec vous quelques lignes du livre X, chapitre IV, à lire ou relire, assis sur le parvis, en fin de journée, au soleil couchant, donnant des couleurs de feu à la façade ? 

« Qui eût pu voir Quasimodo en ce moment eût été effrayé. Indépendamment de ce qu’il avait empilé de projectiles sur la balustrade, il avait amoncelé un tas de pierres sur la plate-forme même. Dès que les moellons amassés sur le rebord extérieur furent épuisés, il prit au tas. Alors il se baissait, se relevait, se baissait et se relevait encore, avec une activité incroyable. Sa grosse tête de gnome se penchait par-dessus la balustrade, puis une pierre énorme tombait, puis une autre, puis une autre. De temps en temps il suivait une belle pierre de l’œil, et, quand elle tuait bien, il disait : Hun ! » 

Victor Hugo, par le rythme du vocabulaire donne le mouvement, et on imagine l’agitation de Quasimodo ! Le gnome cruel qui crie victoire après avoir tué un des assaillants ; mais il est seul contre tous et il entend les grandes portes du portail central craquer sous l’effet d’un bélier. 

« Les gueux ne se décourageaient pas. Déjà plus de vingt fois l’épaisse porte sur laquelle ils s’acharnaient avait tremblé sous la pesanteur de leur bélier de chêne multipliée par la force de cent hommes. Les panneaux craquaient, les ciselures volaient en éclats, les gonds à chaque secousse sautaient en sursaut sur leurs pitons, les ais se détraquaient, le bois tombait en poudre broyé entre les nervures de fer. Heureusement pour Quasimodo, il y avait plus de fer que de bois. » 

Prenons le temps de regarder les portes de la cathédrale ; Hugo les avait bien vues ; la description qu’il en donne montre qu’il les connaissait ! Le Hugo visionnaire souligne à travers son texte la force de Notre-Dame. 

Ultime défense, Quasimodo organise des coulis de plomb fondu qui tombe sur les assaillants : « Tout à coup, au moment où ils se groupaient pour un dernier effort autour du bélier, chacun retenant son haleine et raidissant ses muscles afin de donner toute sa force au coup décisif, un hurlement plus épouvantable encore que celui qui avait éclaté et expiré sous le madrier s’éleva au milieu d’eux. Ceux qui ne criaient pas, ceux qui vivaient encore, regardèrent. Deux jets de plomb fondu tombaient du haut de l’édifice au plus épais de la cohue. Cette mer d’hommes venait de s’affaisser sous le métal bouillant qui avait fait aux deux points où il tombait deux trous noirs et fumants dans la foule, comme ferait de l’eau chaude dans la neige. On y voyait remuer des mourants à demi calcinés et mugissant de douleur. Autour de ces deux jets principaux, il y avait des gouttes de cette pluie horrible qui s’éparpillaient sur les assaillants et entraient dans les crânes comme des vrilles de flamme. C’était un feu pesant qui criblait ces misérables de mille grêlons. » 

Tout Hugo est là ! Nous voyons s’animer la cathédrale devenue vivante, agitée, et l’auteur achève son récit par une vision : « Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. »

Je m’arrête là ! Mais il faut relire cette histoire et venir à Notre-Dame. Il y a d’ailleurs des jeunes étudiants qui ont parfois ce roman au programme de leurs concours et qui demandent une visite de la cathédrale « à la Hugo ». Il faut que les pierres bougent, et la langue de ce grand romancier y aide. 

Merci, Victor Hugo, d’avoir attiré les regards sur cette cathédrale qui était bien abîmée par les années et le manque d’entretien. Il n’était pas le seul à dénoncer ce scandale. N’est-ce pas la mission du poète que de raviver notre patrimoine ?

Extrait du livre de Monseigneur Patrick Chauvet, "Notre-Dame d’espérance", publié aux éditions Presses de la Renaissance.

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