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Non, la création de ce budget de la zone euro annoncé par le duo Merkel Macron n’est pas du tout une décision historique et voilà pourquoi
©LUDOVIC MARIN / AFP

Couple franco-allemand

Retour et décryptage sur l'accord "historique", la nouvelle feuille de route entre Angela Merkel et Emmanuel Macron, suite au sommet franco-allemand de Meseberg. Le contenu sera débattu au cours du prochain Conseil européen à la fin du mois de juin.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Suite au sommet franco-allemand de Meseberg, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont pu présenter une ébauche d'accord entre les deux pays en vue de "refonder la zone euro". Un accord que le quotidien économique Les Echos a pu qualifier "d'historique" dans ses colonnes. Au regard des points avancés par les deux dirigeants, comment évaluer le contenu de cette feuille de route qui sera débattue au cours du prochain Conseil européen des 28 et 29 juin prochains ? 

Rémi Bourgeot : Angela Merkel est scrupuleusement restée fidèle à sa position sur le sujet. Cette position est celle qu’avait élaborée Wolfgang Schäuble avant son départ du ministère des Finances pour aller présider le Bundestag. Depuis plus d’un an, les dirigeants allemands expriment l’incapacité dans laquelle ils se trouvent, au vu de l’équilibre politique allemand et des tabous sur la solidarité avec le Sud de l’union monétaire, de s’engager sur la voie d’un parachèvement institutionnel de la zone euro. Angela Merkel a toujours fait savoir qu’une concession strictement symbolique était envisageable et même acquise, à savoir la constitution d’un budget très limité, dédié à la zone euro. On avait, peu après l’élection d’Emmanuel Macron, assisté à une passe d’armes par médias interposés, au cours de laquelle la chancelière avait expliqué que le budget de la zone euro ne pourrait s’élever qu’à quelques milliards d’euros et surtout pas à plusieurs centaines de milliards, tandis que le président de la République affichait son ambition de plusieurs points de PIB, soit plusieurs centaines de milliards d’euros justement. 
Aucun montant n’a été précisé au cours du sommet franco-allemand. Néanmoins Angela Merkel a pris le soin de préciser aux médias allemands ces derniers jours qu’elle restait dans tous les cas fidèle à la position qu’elle tient depuis l’émergence de ce débat. Par ailleurs, cette proposition doit naturellement être débattue dans le cadre du prochain conseil européen, où les autres pays du Nord de la zone comme les Pays-Bas et la Finlande ne vont pas manquer de s’assurer que ce budget reste d’un montant strictement symbolique. On évoque dans les cercles bruxellois la possibilité d’un accord sur une dizaine de milliards d’euros par an, suivant un plan de sept ans, à compter de 2021, ce qui permettrait donc aux pays du Nord de neutraliser le sujet pendant à peu près une décennie.
A part cette concession symbolique et qui avait déjà été annoncée à de nombreuses reprises par les responsables allemands et notamment par Wolfgang Schäuble, on ne peut que constater l’ampleur de l’impasse. La mise en scène d’un accord franco-allemand en lieu de ce qui est en réalité un refus de la part de Berlin de soutenir les projets de réforme d’Emmanuel Macron ne renvoie pas à une démarche de nature économique en tant que telle.
De plus, si ce budget limité doit contribuer au financement de projets d’investissement, son rôle d’amortisseur de crise est fortement contraint, étant par ailleurs entendu que l’essentiel des montant consentis à cet effet devront être remboursés, en particulier en ce qui concerne l’assistance prévue au coût de la prise en charge du chômage au cours d’une récession.
Sur la question de l’union bancaire, on voit confirmé le rôle, limité, du MES comme possible soutien au fonds de gestion des faillites bancaires, qui est lui-même alimenté par le secteur bancaire. Sur la question de l’assurance commune des dépôts à l’échelle de la zone euro, le refus allemand est indépassable et ne donne lieu à aucune concession, même symbolique. Par ailleurs, l’idée d’un Fonds monétaire européen semble être abandonnée et on évoque une simple institutionnalisation du Mécanisme européen de stabilité, la doctrine d’assistance et de mise sous surveillance des pays en crise étant dans le fonds inchangée.

Comment évaluer les concessions d'Angela Merkel en comparaison des ambitions initiales d'Emmanuel Macron ? Comment qualifier l'issue de ces négociations du point de vue français ? 

La concession d’Angela Merkel porte sur le principe même de l’établissement d’un budget, même si son montant sera symbolique. Les lignes rouges allemandes restent inchangées, et la position s’est même évidemment durcie depuis l’élection fédérale très difficile de septembre 2017. Angela Merkel se retrouve menacée par l’aile droite de la CDU et surtout par sa variante bavaroise, la CSU. Horst Seehofer, qui est ministre de l’Intérieur au sein de la coalition et qui est lui-même progressivement évincée par la frange plus jeune et plus conservatrice de son parti, a été jusqu’à présenter une forme d’ultimatum dans les médias à la chancelière, en réclamant un durcissement de la politique migratoire allemande et européenne, en vue de l’élection régionale de l’automne prochain. Le rejet de la solidarité financière au sein de la zone euro va de pair avec le durcissement de la politique migratoire, et Angela Merkel ne dispose pas aujourd’hui, du fait de son affaiblissement évident et la crise politique généralisée, de marges de manœuvre conséquentes. Ainsi, du fait de la remise en cause de l’ensemble du spectre politique, même ses faibles concessions à Emmanuel Macron font déjà débat à Berlin, bien qu’elles aient été annoncées de longue date.
L’annonce d’un accord franco-allemand remplit probablement une fonction politique vis-à-vis de l’opinion publique française. Madame Merkel devra naturellement s’efforcer d’expliquer à l’opinion allemande qu’elle n’a consenti aucune concession significative. Dans les cercles politiques et de commentateurs attentifs, l’idée d’une convergence de vue franco-allemande sur la gestion de la zone euro n’a pas de fondement aujourd’hui et devrait, même en France, se dissiper rapidement. Certains cercles pourront néanmoins affirmer que la modestie des réformes finalement annoncées au terme d’un accord européen sera davantage due à la complexité de trouver un accord rapide entre tous les membres de l’union monétaire qu’à un rejet catégorique de la part de Berlin. Ces modestes mesures pourront dès lors être présentées comme autant d’étapes majeures qui ne demandent qu’à être approfondies sous l’impulsion du couple franco-allemand dans les années à venir. Angela Merkel a volontiers pris part à l’exercice au moment elle cherche un soutien français pour mettre en œuvre un durcissement de la politique migratoire européenne, notamment au moyen d’un dispositif commun qui pourrait être mise en place en dehors des frontières européennes.

En reprenant les termes de cette ambition initiale du président français, quels auraient été les apports, pour la zone euro, d'une négociation parfaitement réussie ? Les propositions faites étaient-elles à la mesure des défis que rencontre la zone euro ? 

Emmanuel Macron se montrait déjà inquiet quant à l’avenir de la zone euro lorsqu’il était ministre de l’Economie. Il prédisait ainsi que l’union monétaire s’acheminait vers un éclatement au cas où une intégration budgétaire véritable ne serait pas mise en place. Sur la base de ce constat, il avait établi un certain nombre de recommandations visant à la stabilisation de la zone euro en temps de crise, qu’il met en avant depuis le début de sa campagne présidentielle. Ses projets d’approfondissement des outils de gestion de crise consistent à rompre le cercle vicieux qui lie les finances étatiques à l’état du secteur bancaire et qui produit des résultats dévastateurs en cas d’explosion de bulles en particulier. C’est précisément ce qu’ont vécu les pays dits périphériques après l’explosion de la bulle immobilière, qui a été le prélude à la crise de l’euro.
Les mesures d’Emmanuel Macron prennent tout à fait en compte les enjeux qui se présentent lorsqu’il s’agit de gérer une crise économique et financière. Elles butent néanmoins contre la réalité des opinions publiques dans le nord de la zone, et en particulier en Allemagne, où le cœur de ses propositions visant à l’établissement de mécanismes communs est tout simplement tabou.
Le seul véritable outil d’amortissement de crises est aujourd’hui la BCE qui s’est efficacement transformée en ce sens sous la présidence de Mario Draghi. Néanmoins même cette évolution est désormais remise en cause par Berlin qui souhaite y faire de nouveau prévaloir ses conceptions monétaires au travers de la nomination de l’actuel président de la Bundesbank, Jens Weidmann.
Par ailleurs, la question des mesures de gestion de crise n’est qu’un pan de la gestion d’une union monétaire. La question des divergences économiques réelles entre pays reste entière. 

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