Non, l’Occident ne soutient pas le nazisme à l'ONU contrairement à ce que développe la propagande russe<!-- --> | Atlantico.fr
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Les portraits de Vladimir Poutine et de Volodymyr Zelensky.
Les portraits de Vladimir Poutine et de Volodymyr Zelensky.
©Tiziana FABI, ludovic MARIN / AFP

Nations Unies

Comme chaque année depuis 2012, la Russie a soumis un projet de résolution devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies contre la glorification du nazisme. Parmi les pays qui ont voté contre ce texte figurent notamment la France et l’ensemble des Etats européens.

Nicolas Bernard

Nicolas Bernard

Nicolas Bernard, avocat, est spécialiste de la Seconde Guerre mondiale. Il est l'auteur de La Guerre du Pacifique ("Texto", 2019), ouvrage qui s'est rapidement imposé comme une référence.

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Atlantico : Après le vote d’une résolution à l’ONU déposée par la Fédération de Russie sur la lutte contre la glorification du nazisme, les réseaux sociaux se font beaucoup l’écho du fait que l’UE s’est abstenue et que les Etats-Unis et l’Ukraine ont voté contre. On peut lire parfois que l’Occident soutiendrait le nazisme à l’ONU. S’agit-il à nouveau d’une propagande russe ? Que contient exactement cette résolution ?

Nicolas Bernard : Le 5 novembre 2022, la Russie, appuyée par d’autres Etats autoritaires tels que le Belarus, la Corée du Nord, Cuba ou encore la Syrie, a soumis au vote de l’Assemblée générale des Nations Unies une résolution condamnant la glorification du nazisme, du néonazisme et du racisme. Cette résolution a été adoptée par 105 voix pour, 52 voix contre (dont les Etats-Unis, l’Ukraine, le Japon, le Royaume Uni, les pays membres de l’Union européenne incluant la France) et 15 abstentions.

Une telle résolution n’a qu’une portée déclarative, c’est-à-dire qu’elle est dépourvue, pour les Etats, d’effet contraignant. Elle invite les Etats à renforcer leurs législations prohibant la haine et la discrimination raciale mais stigmatise surtout la résurgence du nazisme. Plus précisément, elle prétend défendre « la mémoire des innombrables victimes des crimes contre l’humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale, en particulier ceux commis par l’organisation SS et par ceux qui ont lutté contre la coalition antihitlérienne et collaboré avec le mouvement nazi »

En conséquence, ladite résolution condamne notamment « toute manifestation organisée à la gloire de l’organisation SS et de l’une quelconque de ses composantes, dont la Waffen-SS », ainsi que « l’édification de monuments et ouvrages commémoratifs et par l’organisation de manifestations publiques à la gloire du passé nazi, du mouvement nazi et du néonazisme » ou « le fait de déclarer ou de s’ingénier à déclarer que ces membres et ceux qui ont combattu la coalition antihitlérienne, collaboré avec le mouvement nazi et commis des crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont participé à des mouvements de libération nationale, ainsi que par le fait de rebaptiser des rues pour glorifier ces personnes »

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Toutefois, la générosité des termes camoufle mal ce qui ne reste qu’une manipulation russe, destinée à faire croire que l’Occident prendrait la défense de l’hitlérisme dans l’enceinte des Nations Unies.

Cela fait plusieurs années que la Russie dépose cette résolution au vote. Quel est le but de la manœuvre ?

Chaque année depuis 2005, la Russie fait voter par l’Assemblée générale des Nations unies une telle résolution, formulée en des termes quasi-identiques d’une année à l’autre. Cette pratique s’inscrit dans un réflexe propagandiste remontant à la Guerre Froide, lorsque l’Union soviétique agitait l’épouvantail antifasciste pour discréditer l’Occident, à commencer par l’Allemagne de l’Ouest, dénoncée comme un repaire d’ex-nazis revanchards et de marchands de canons. 

Tout d’abord, en effet, en faisant voter chaque année une telle résolution, le Kremlin tente de se ménager, à très peu de frais, une réputation de défenseur des libertés et de l’amitié entre les peuples. Il cherche également à rappeler que l’URSS a joué un rôle essentiel dans l’écrasement du Troisième Reich, le seul véritable titre de gloire de l’époque soviétique encore susceptible de flatter la mémoire nationale russe.

Surtout, l’opération vise, dès l’origine, à vitupérer les Etats baltes ainsi que, depuis le mouvement Euromaidan de 2014, l’Ukraine. Rappelons que ces pays, longtemps inclus et opprimés dans l’espace soviétique, ont possédé des mouvements nationalistes, dont la plupart ont pactisé avec l’Allemagne nazie, jusqu’à participer à la Shoah ou à massacrer des Polonais. Or, ces bourreaux ont longtemps été célébrés comme des héros, et les récits mémoriels de ces pays peinent encore à s’affranchir de cette image. Sans surprise, c’est eux que la résolution russe cible expressément sous le vocable de « mouvements de libération nationale ». Ainsi, Moscou, comme sous la Guerre Froide, pratique l’amalgame et le saut aux conclusions, assimilant ces complaisances mémorielles à une résurgence du nazisme dans le pays baltes et en Ukraine.

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Pourquoi est-ce que les Occidentaux ne la votent pas ?

D’abord parce qu’ils ne sont pas dupes de cette manœuvre diplomatique. Les Etats-Unis, pour leur part, ont toujours voté contre : d’abord parce que le Premier Amendement de leur Constitution garantit une liberté d’expression quasi-absolue, si bien qu’il n’est nullement compatible avec la résolution façonnée par la Russie ; ensuite parce que, comme le souligne à juste titre le Département d’Etat américain depuis 2020, ces résolutions constituent « une tentative à peine voilée de légitimer des récits trompeurs de la Russie, qui cherche à dénigrer d’autres pays sous le prétexte de lutter contre la glorification du nazisme »

L’Union européenne précise également que de telles résolutions, de par leur rédaction, sont à la fois imprécises et tendancieuses, portent atteinte aux conventions internationales, et instrumentalisent la mémoire de la Seconde Guerre mondiale à des fins fort éloignées de la lutte contre le racisme et la xénophobie. L’Ukraine, pour sa part, s’oppose aux résolutions russes depuis la chute du régime pro-russe en 2014. Kyiv adopte, en l’espèce, une ligne dite « antitotalitaire », condamnant en bloc crimes nazis et soviétiques (notamment la famine de 1932-1933 et le pacte de non-agression du 23 août 1939 avec Hitler). 

Ces positions sont néanmoins exploitées par la Russie pour prétendre que l’Occident, en refusant de voter en faveur de ces résolutions, ferait le jeu du nazisme. Il s’agit surtout de convaincre la population russe qu’il est victime d’une conspiration occidentale, où l’OTAN serait la nouvelle Wehrmacht

Alors que la Russie exploite beaucoup l’argument de la dénazification pour justifier la guerre en Ukraine, ce vote à l’Onu prend-il une résonance particulière ?

Pour la Russie, la résolution votée le 5 novembre 2022 cherche à conforter la légitimité de l’invasion de l’Ukraine, présentée comme une opération de « dénazification ». Comme toujours, le Kremlin compte sur ses thuriféraires étrangers, qui se croient partis en croisade contre les « ukronazis », pour propager cette désinformation.

Il y a plus. Depuis 2013, ces résolutions caractérisent comme manquement à la Charte des Nations unies le fait, pour un État, de ne pas combattre effectivement les manifestations à la gloire des Waffen SS et autres organisations « nazies » : une telle mention n’a rien d’innocent, car elle tente d’offrir un fondement juridique à l’agression de l’Ukraine par la Russie, laquelle prétendrait agir au nom des Nations unies ! 

Signalons, sur ce point, une nouveauté notable : alors que jusqu’à présent l’Union européenne s’abstenait prudemment de voter ce texte, voici à présent qu’elle vote contre. Depuis l’agression militaire de l’Ukraine par la Russie, pareil vote témoigne d’un engagement plus marqué de l’Europe contre Moscou, et d’un soutien plus prononcé à Kyiv, ici sur le terrain des symboles : l’Union européenne fait comprendre au Kremlin que cette comédie diplomatique a assez duré.

Est-ce possible de combattre ces idées et si oui par quel moyen ?

D’abord et avant tout en rappelant la vérité, c’est-à-dire en dénonçant cette initiative russe pour ce qu’elle est : une basse opération de propagande qui exploite sans vergogne le traumatisme mémoriel des crimes nazis. Moscou, du reste, n’a critiqué que mollement la présence à Erevan, capitale de son allié arménien, d’un monument à la gloire de Garéguine Njdeh, indépendantiste local ayant combattu le communisme et collaboré avec les nazis…

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