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Non assistance à institution en danger ? Le discours lunaire d’Emmanuel Macron sur l’école
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

D'un autre temps

Le discours d'Emmanuel Macron, lors de la cérémonie en hommage à Samuel Paty, montre à quel point le président a une vision nostalgique - et déconnectée - de l'institution. "L'école de la République éveillant l’esprit des élèves" a été sacrifiée sur l'autel du "programme" à terminer vaille que vaille.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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La réunion dans la cour de la Sorbonne, mercredi dernier, en hommage à Samuel Paty, professeur d’histoire au collège de Conflans-Sainte Honorine (Yvelines), lâchement assassiné par un jeune fanatique islamiste tchéchène, a débuté par la lecture d’une Lettre aux instituteurs et institutrices écrite par Jean Jaurès et publiée dans La Dépêche de Toulouse, le 15 janvier 1888. Beau texte énonçant les missions du « maître » : non seulement, apprendre aux élèves à lire et à écrire, mais aussi en faire, à la fois des citoyens en leur enseignant les droits et devoirs inhérents à une « démocratie libre » et des hommes conscients que l’égoïsme est « à la racine de toutes les misères ». Aux instituteurs et institutrices encore le devoir de montrer aux élèves « la grandeur de la pensée », de leur inculquer « le respect et le culte de l’âme ».

Et puis vint le discours du président Macron. Beau discours, solennel, grave, plein d’émotion, belles paroles présentant une école de la République éveillant l’esprit des élèves, leur apprenant à devenir des citoyens responsables. Mais, le bémol, pour parler familièrement, est que cette école n’existe pas. C’est on ne peut plus clair quand M. Macron, se trompant manifestement d’époque et gagné par la nostalgie, déclare : « Nous avons tous ancré dans nos cœurs, dans nos mémoires, le souvenir d’un professeur qui a changé le cours de notre existence ; vous savez cet instituteur qui nous a appris à lire, à compter, à nous faire confiance, cet enseignant qui ne nous a pas seulement appris un savoir mais nous a ouvert un chemin, par un livre, un regard, un instant passé par sa considération. » Belles paroles toujours, mais paroles d’un autre temps, d’un temps où il y avait encore des instituteurs, des maîtres, des enseignants, conscients de leur mission éducative, et pas seulement instructive [à cet égard, l’on peut dire que l’Education nationale n’a jamais été aussi éducative que lorsqu’elle ne s’appelait encore que « ministère de l’Instruction publique »].

Mais aujourd’hui, il n’y a plus que des « professeurs des écoles », il n’y a plus que des « profs », qui traînent leur déprime et leur mal-être à longueur de classes, qui souffrent de leurs frustrations de ne pouvoir être les profs attentifs, écoutés, qu’ils voudraient être. Où sont-ils cependant ces profs qui « se remettent mille fois en question » pour reprendre les termes de M. Macron, qui « doutent » ? Où sont-ils ces profs qui, selon les mots de Ferdinand Buisson cité par le président, donnent à l’élève « l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité, et non pas la recevoir toute faite d’un maître » Sans doute, existe-t-il des profs-éducateurs, façon Buisson ou Jaurès, mais combien sont-ils ? Peu à l’évidence, non toujours par absence de volonté mais par manque de temps. Comme je l’indique dans mon livre L’Ecole à la ramasse (L’Archipel, 2019), le grand fautif est le « programme » qui accapare la majeure partie sinon la totalité du temps des profs. Le prof de 2020 n’a qu’un objectif : faire le programme – en entier de préférence, « bourrer » les élèves de connaissances, abstraites, indigestes, souvent inutiles. Alors, soyons sérieux un instant, comme il faut aller très vite, comment les profs pourraient-ils avoir le souci de développer l’esprit critique de leurs élèves, d’accepter d’être contestés dans leur enseignement ? Et puis le contexte ne se prête guère à un dialogue profs-élèves. Dans des classes surchargées, indisciplinées, violentes souvent, comme un prof pourrait-il consacrer à chaque élève le temps nécessaire au développement de sa personnalité, de ses capacités, lui donner envie d’exercer, maintenant et plus tard, des responsabilités ? Les « hussards de la République » ont définitivement disparu et avec eux le respect dû au « maître » : telle est la réalité !

Le président Macron n’est d’ailleurs pas dupe du grand écart existant entre son discours laudateur, un tantinet « démago » tout de même, de l’école républicaine et la réalité scolaire beaucoup plus sombre. Il sait combien les profs sont désarmés, dépossédés de cette autorité morale que possédaient leurs glorieux aînés. « Nous redonnerons aux professeurs, affirme-t-il, le pouvoir de faire des républicains, la place et l’autorité qui leur reviennent (le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, veut même les remettre « au centre de la société » : rien que ça !). « Nous les formerons », ajoute M. Macron – c’est donc qu’ils ne le sont pas, ou pas assez, ou mal ! « Nous les considérerons comme il se doit » - c’est donc qu’ils ne le sont pas ! A l’évidence, le prof est devenu « un fonctionnaire comme un autre », mal payé (les profs français, depuis Jaurès et Buisson, et même avant, ont toujours été fort mal rémunérés), peu considéré.

Bon, c’est certain, l’Education nationale est une immense ruine, une institution en faillite, comme je le dis dans mon livre. Le chantier de la reconstruction est considérable. Il faudra du temps pour redonner le prestige aux enseignants et ré-apporter le goût du savoir à des élèves qui s’ennuient terriblement dans nos écoles. Il faudra du temps pour faire admettre à la grande maison qu’elle doit former des hommes et faire des citoyens, expression préférable à celle de « républicains ». Dans ce système infantilisant que reste l’école française, non seulement les élèves n’acquièrent aucun sens d’esprit critique mais ils sont mal instruits : français mal maîtrisé, carences en maths, en histoire… Décidément, M. Blanquer a du pain sur la planche.

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