Noël 1914 : la véritable histoire derrière la mère de toutes les trêves<!-- --> | Atlantico.fr
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Une sculpture d'Andrew Edwards "All together".
Une sculpture d'Andrew Edwards "All together".
©Reuters

Pas qu'un mythe

Il y a tout juste 100 ans, alors qu'on déplorait déjà près de 100 000 morts au combat entre armées allemande et alliée, des soldats sortirent de leur tranchées encore fraîchement creusées dans ce qui ressembla à un grand moment de confraternité.

Yann Prouillet

Yann Prouillet

Yann Prouillet, historien, membre du CRID 14-18, a collaboré à la rédaction du dictionnaire analytique du témoignage « 500 témoins de la Grande Guerre » publié sous la direction du professeur Rémy Cazals.

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Atlantico.fr : L'histoire a retenu qu'en décembre 1914, des soldats alliés et allemands sont sortis de leurs tranchées respectives dans un grand moment de trêve confraternelle sur fond de match de football. Les choses se sont-elles réellement passées comme on a plaisir à le retenir aujourd'hui ? Cet épisode, qui a même inspiré un film, a-t-il eu l'ampleur qu'on relate un siècle plus tard ?

Yann Prouillet : En effet, plusieurs fictions (dont le film Joyeux Noël, de Christian Carion, sorti en 2005) ont popularisé le phénomène des fraternisations entre les belligérants pendant la Grande Guerre, jusqu’à la surréaliste partie de football entre soldats anglais et allemands en Belgique à Noël 1914. Le cinéaste avait ainsi fait découvrir un paradigme bien connu des historiens et des spécialistes de la littérature testimoniale de la Première Guerre mondiale. En effet, la question multiforme des fraternisations a été largement évoquée par un corpus conséquent de sources écrites et ce dès leur survenance dans le conflit. Ainsi, une certaine variété typologique se rencontre couramment dans la littérature de guerre à toutes les époques, y compris dans les études et témoignages les plus récents, et leur champ d’application est très étendu ; de la simple entente, tacite ou matérialisé, avec ou sans contact physique, à l’échange fraternel actif de fraternisation. Rapportée par les combattants dans leurs lettres ou leurs carnets de guerre, par les officiers dans leurs rapports militaires, par les journalistes et même par l’iconographie de la presse contemporaine, le phénomène de la fraternisation n’est pas un mythe de la Grande Guerre. Christian Carion avait réuni en une seule histoire des faits qui, pris séparément, se sont effectivement déroulés à un point ou à un autre du front, de la Belgique aux Vosges, dans les premiers mois de la guerre, mais qui, pour la plupart, se sont reproduits à maintes reprises jusqu’à l’Armistice.

L'histoire telle qu'elle est racontée voudrait que les soldats aient ainsi agi dans un mouvement de résistance au destin auquel les destinaient les Etats-majors. Ont-ils vraiment agi par pacifisme ou leurs motivations étaient-elles plus complexes ?

Malgré les attaques et les épisodes de mort donnée ou reçue, les combattants se sont assez rapidement rendu compte que le soldat d’en face souffrait les mêmes affres : inhumanité de la vie de la tranchée, conditions climatiques pénibles, attaques vouées à l’échec et extrême dureté d’un commandement peu regardant sur les conditions de vie et sur le sang versé. C’est la conjonction des caractéristiques d’une guerre cristallisée et la proximité avec celui « d’en face » qui va alimenter ce phénomène de contacts, plus qu’une opposition aux ordres, effectifs, donnés par une hiérarchie qui va, pendant toute la guerre, tenter de lutter contre des rapprochements qui nuisent à l’esprit combattif qu’il est nécessaire de maintenir aux combattants. Barthas relate ainsi une « fraternisation de la boue », le 10 décembre 1915 dans le secteur de Neuville-Saint-Vaast, et de conclure ; « Français et Allemands se regardèrent, virent qu’ils étaient des hommes tous pareils. Ils se sourirent, des propos s’échangèrent, des mains se tendirent et s’étreignirent, on se partagea le tabac, un quart de jus ou de pinard. » Ce sont en effet les circonstances ou les moments, comme celui de Noël, qui déclenchèrent l’inattendu, plus qu’une action collective murement réfléchie, liable à un rejet d’autorité ou à une volonté pacifiste. A Noël 1914, très rares sont les soldats qui ont effectivement auguré que la guerre durerait encore 4 ans !

Comment expliquer que l'on reste encore aujourd'hui si attachés à cette image ? Quelle valeur symbolique revêt-elle ?

Pris dans sa plus large acception, englobant tous types de contact et d’échanges entre belligérants, le phénomène de la fraternisation fut aussi universel qu’atemporel au cours de la Grande Guerre. En tout cas, il ne fut pas un non-dit de l’histoire, un enfant, illégitime et caché, de la guerre. Les fraternisations furent le reflet de la masse qui les a engendrées ; compréhensibles, naturelles et banalement humaines. Elles furent le réflexe des hommes qui composèrent le terreau même des combattants, semblables de sociologie, de tradition, de culture comme d’éducation et ce quelque soit le côté du no man’s land. Car c’est bien dans la similitude de condition du « poilu » d’en face que se reflète finalement la propre image du combattant.

Pour en savoir plus sur les témoignages des Poilus de la Grande Guerre, « 500 témoins de la Grande Guerre » publié sous la direction du professeur Rémy Cazals.

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